Le mardi 1er octobre 2013, a eu lieu la rentrée judiciaire 2013-2014 au Burkina Faso, sous le thème « Le juge au sens de l’article 124 de la constitution ». A cette occasion, le REN-LAC souhaite à l’ensemble du monde judiciaire, magistrats, avocats, greffiers, huissiers, notaires, officiers de police judiciaires, gardes de sécurité pénitentiaires, une bonne rentrée judiciaire. Qu’elle soit marquée par une synergie d’action face aux menaces aussi bien internes qu’externes contre l’indépendance de la justice. Qu’elle soit également marquée par la promotion du bon exemple et par des victoires sur les maux qui minent cette institution, dont la corruption et l’impunité. A tous les justiciables qui sont dans l’attente du dénouement de leurs affaires, le REN-LAC leur souhaite du courage et que leur soif de justice soit étanchée.
Cette rentrée judiciaire intervient au moment où la justice burkinabè est au cœur des grandes préoccupations du fait, principalement, qu’elle est plus que jamais à l’épreuve de la corruption. En tant que service, elle est gangrénée par cette vermine. Dans les rapports 2011 et 2012 du REN-LAC sur l’état de la corruption au Burkina Faso, la justice se positionne au 3e rang des services perçus comme les plus corrompus par les enquêtés. Cette perception sombre des citoyens de l’image de la justice est corroborée par de nombreux faits impliquant, parfois des acteurs directs de la justice, comme en témoignent les récentes affaires SGS, SIRI, SONA’OR, pour ne citer que celles-ci. En tant qu’acteur clé de la lutte contre la corruption au Burkina Faso, il est aujourd’hui indéniable que la justice en est le maillon le plus faible. Les nombreux dossiers en souffrance, ainsi que l’absence d’enquête et de poursuite contre les personnes citées dans des affaires de malversations ou de mauvaise gestion par des structures étatiques, non étatiques et les médias, en sont une parfaite illustration. Cette situation peu reluisante tire sa source, principalement, dans le déficit d’indépendance de cette institution. C’est dire combien le choix du thème de cette rentrée judiciaire a été bien inspiré!
Aux termes de l’article 124 de la Constitution, « le pouvoir judiciaire appartient aux juges… ». Comme tout pouvoir, son exercice requiert l’indépendance nécessaire et un sens aigu de responsabilité, c’est-à-dire la pleine conscience qu’a le juge de ce qu’est son devoir ; ce devoir auquel les manquements entraînent la perte méritée du respect de soi-même. C’est d’ailleurs pourquoi, la même Constitution lui consacre, en son article 129, cette indépendance.
Elle implique que le pouvoir politique, dans sa composante exécutive ou législative, ne s’immisce pas, de quelque manière que ce soit, dans l’exercice de la mission du juge. Elle implique aussi, que le juge lui-même ne se mette pas à la solde du pouvoir politique, ou économique. L’indépendance dicte au juge un comportement exemplaire, empreint de probité, d’intégrité, de dignité, de conscience professionnelle et de courage pour assumer sa mission. Elle est un moyen pour garantir l’impartialité à tous ceux qui feront appel à la justice.
Or, de plus en plus, des faits donnent l’impression que le juge burkinabè manifeste une certaine peur d’assumer son indépendance. Tandis que sous d’autres cieux, le juge procède régulièrement, avec ténacité et courage, à la moralisation de la vie publique en mettant en examen plusieurs hommes politiques, de tout bord, y compris des présidents de la république. Au Burkina Faso, la justice reste souvent inerte quand il s’agit de sévir contre de grands délinquants à col blanc. Cette situation contribue pour une part considérable à l’effritement de la confiance du citoyen en la justice, qui se manifeste de plus en plus, et douloureusement d’ailleurs, par des actes de justice privée. C’est, en partie, de là que prend source l’incivisme tant redouté.
Peut-on construire un Etat de droit, une démocratie, sans l’existence d’une justice indépendante ? Assurément non !
S’il est vrai que l’Etat est le premier débiteur de l’indépendance de la justice, il n’en demeure cependant pas moins vrai que les juridictions et ceux qui les composent en sont aussi comptables. Les juges doivent par conséquent, apporter la garantie d’une justice véritablement indépendante, à même de garantir un traitement égal des Burkinabè devant la loi, de garantir un Etat de droit véritable. Ils doivent, en plus, défendre cette indépendance contre toute remise en cause, intérieure comme extérieure. Ce sens de la responsabilité s’acquiert et s’enseigne, car il ne naît pas toujours tout seul.
Convaincu du rôle primordial d’une justice indépendante dans la lutte contre la corruption, le REN-LAC :
- invite l’ensemble des magistrats, notamment ceux du parquet, à prendre conscience de la grandeur de leur tâche et la responsabilité qu’elle appelle, assumer et défendre comme il se doit leur indépendance ;
- appelle à une moralisation de l’appareil judiciaire, sans laquelle les malversations financières, les détournements de deniers publics et la corruption, ne trouveraient aucune solution ;
- soutien toute initiative allant dans le sens de combattre la corruption au sein de l’appareil judiciaire ;
- affirme son soutien au Centre d’Ethique Judiciaire (CEJ), dans son action engagée en juillet dernier, pour fait de corruption impliquant des magistrats, qui a été renvoyée au lundi 7 octobre 2013. Il exige un traitement diligent de ce dossier, afin que tous ceux qui sont impliqués de quelque manière que ce soit dans les actes de corruption dénoncés, subissent la rigueur de la loi;
- exige un traitement adéquat de tous les dossiers de corruption et de crimes économiques dénoncés et/ou pendants en justice ;
- encourage le ministre de la justice à traduire en actes concrets ses engagements à combattre la corruption au sein de cette institution, notamment par la saisine effective du conseil de discipline des magistrats dans les cas de corruption dénoncés et cités ci-dessus ;
- salue l’examen et l’adoption, le 3 octobre 2013, en conseil des ministres, d’un projet de loi portant prévention et répression de la corruption au Burkina Faso .
Ouagadougou le 4 octobre 2013,
Le Réseau National de Lutte Anti-Corruption