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Révision de la constitution burkinabè : Les inquiétudes du Conseil supérieur de la magistrature

Publié le vendredi 29 decembre 2023  |  Minute
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© Autre presse par DR
Le Conseil supérieur de la magistrature
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Dans le compte rendu de ses travaux du 06 décembre 2023, le Conseil des ministres a annoncé avoir examiné un projet de loi portant révision de la Constitution et marqué son accord pour sa transmission à l’Assemblée législative de Transition (ALT).

Lors de la rencontre statutaire du 21 décembre 2023 entre le Président de la Transition, Chef de l’Etat, Garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire et le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), le projet de loi portant révision de la Constitution dont le CSM a eu fortuitement connaissance du contenu, a été succinctement évoqué en ses aspects relatifs au pouvoir judiciaire.

Réuni les 27, 28 et 29 décembre 2023 en sa deuxième session extraordinaire de l’année, le CSM a, suite à un amendement de son ordre du jour, décidé d’y ajouter un point relatif audit projet.

Il convient de rappeler que le pouvoir judiciaire, gardien des libertés individuelles et collectives, constitue l’un des piliers de la démocratie et de l’État de droit. Sa remise en cause, au détour d’une réforme constitutionnelle non participative, représente un danger pour les principes constitutionnellement consacrés dans notre pays en l’occurrence, l’indépendance du pouvoir judiciaire.

L’examen dudit projet permet de faire un certain nombre de constats et d’observations touchant fondamentalement à l’indépendance du pouvoir judiciaire au niveau des articles 130, 132, 133 et 134.

D’abord, c’est le lieu pour le CSM de dénoncer la violation flagrante de l’article 133 de la Constitution qui dispose, en son alinéa 1. que : «Le Conseil supérieur de la magistrature donne son avis sur toute question concernant l’indépendance de la magistrature et sur l’exercice du droit de grâce ». En effet, la transmission du projet de loi à l’ALT par le Gouvernement de la Transition s’est faite sans l’avis du CSM, ce qui interroge sur les intentions réelles de ses initiateurs.

En rappel, suite à l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, il avait été procédé à un diagnostic des maux qui minaient la justice et qui, selon les conclusions des états généraux de la Justice, constituaient des causes de la rupture de confiance avec les citoyens, notamment l’influence du politique remettant en cause son indépendance. L’une des solutions adoptées, à travers un processus participatif autour des états généraux de la Justice, a été de renforcer l’indépendance de la justice avec l’adoption, par des assises nationales, du Pacte national pour le renouveau de la Justice (PNRJ). La mise en œuvre de certaines recommandations dudit pacte a permis d’engranger des résultats significatifs perceptibles à différents niveaux comme en témoignent les données statistiques du ministère de la Justice, les rapports de performance des juridictions depuis 2015 et surtout le rapport de l’enquête sur le calcul des indicateurs de la Politique sectorielle Justice et Droits humains (PS-JDH). Par ailleurs, le rapport de synthèse daté du 22 septembre 2023 relatif aux consultations des forces vives des régions organisées par l’Assemblée législative de Transition, a recommandé fortement le renforcement de l’indépendance de la Justice notamment en soustrayant le juge des influences politiques.

Toute initiative de révision de nature à remettre en cause le Pacte social ayant résulté de ces assises requérait, à tout le moins, un bilan préalable de la mise en œuvre et une implication de toutes les parties prenantes. Ce qui est loin d’être le cas en l’espèce, entraînant le risque d’une réforme de circonstance, contre productive pour la construction d’une nation de justice et de paix.

Ensuite, les dispositions du projet de loi relatives au pouvoir judiciaire constituent un recul grave au regard de toutes les recommandations des fora et études antérieurs (Forum national sur la Justice organisé du 5 au 7 octobre 1998 ; Rapport du Collège des Sages sur les crimes impunis de 1960 à nos jours adopté le 30 juillet 1999 ; Etude nationale Prospective « Burkina 2025 réalisée en avril 2005 ; Rapport du Centre pour la gouvernance démocratique (CGD) sur la Justice et l’Etat de droit au Burkina Faso. septembre 2011; Rapport général du comité de réflexion sur les préoccupations des acteurs du monde judiciaire, novembre 2011; Etude sur le renforcement de l’indépendance du pouvoir judiciaire au Burkina Faso, décembre 2013 ; Pacte national pour le renouveau de la Justice, mars 2015).

Ce recul résulte, en premier lieu, de l’alinéa 2 de l’article 130 qui projette que: « Les magistrats du parquet sont soumis à la loi, à l’autorité de leurs supérieurs hiérarchiques et celle du ministre chargé de la Justice. Cette curieuse réforme constitutionnelle qui vise à soumettre les magistrats du parquet à l’autorité du ministre de la Justice, ouvre la voie à l’ingérence de l’exécutif dans l’action du pouvoir judiciaire, en ce sens que ce ministre pourrait freiner ou empêcher l’action de la Justice, voire intervenir ponctuellement dans les procédures judiciaires en cours.

En deuxième lieu, l’article 132 projette que: « Le Conseil supérieur de la magistrature comprend des membres de droit, des membres élus et des membres désignés. Il est composé pour moitié de personnalités non magistrates.

Ne peut être membre du Conseil supérieur de la magistrature toute personne membre de l’organe exécutif d’un syndicat de magistrats, d’une association de magistrats, ou de l’organe dirigeant d’un parti ou formation politique.

Les membres du Conseil supérieur de la magistrature élisent en leur sein un président lequel est nommé par décret en Conseil des ministres.

Une loi organique précise la composition, les attributions, l’organisation et le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature”.

Le recul, dans cette disposition projetée, se rapporte notamment au nombre de personnalités non magistrats, membres du CSM, et à la qualité du président du CSM qui pourrait être un non magistrat en raison de son mode de désignation envisagé.

En ce qui concerne la composition du CSM, elle doit lui permettre de garantir son indépendance comme le recommandent les différents instruments juridiques internationaux et régionaux, relatifs à l’indépendance de la magistrature, qui s’accordent sur un Conseil composé exclusivement ou majoritairement de magistrats. En tout état de cause, dans tous les pays où il existe un organe similaire, les magistrats sont toujours majoritaires, en nombre, dans sa composition.

S’agissant de la qualité du président du CSM, la formulation de la disposition projetée comporte le risque, outre la possibilité de crises internes envisageables et sous-jacentes, que la personnalité non « magistrat » qui viendrait á être élue soit en total déphasage avec les qualités requises pour incarner une telle institution représentative du corps de la magistrature.

En troisième lieu, la projection de l’article 133 est que : Le Conseil supérieur de la magistrature donne son avis sur toute question concernant l’indépendance de la magistrature.

Le Conseil supérieur de la magistrature comprend des chambres disciplinaires, une commission des carrières et une commission d’admission des requêtes dont la composition, l’organisation, le fonctionnement et la procédure applicable devant elles sont définies par la loi organique qui le régit ». Ainsi formulée, cette disposition supprime l’avis du CSM sur l’exercice du droit de grâce tel qu’il est prévu dans l’actuelle Constitution et prévoit théoriquement plusieurs chambres disciplinaires, contrairement à ce qui est d’application selon les textes en vigueur qui ne consacrent qu’un seul conseil de discipline pour tous les magistrats, sans distinction de fonction. Il convient de rappeler que l’avis du CSM, pour l’exercice du droit de grâce, s’explique par le besoin de préserver l’autorité des décisions de justice et d’éviter que par ce mécanisme, le détenteur de ce pouvoir exorbitant fasse échec abusivement à l’exécution des condamnations pénales en ne respectant pas les conditions de mise en œuvre du droit de grâce.

L’article 134 envisage que: « Le Conseil supérieur de la magistrature décide des nominations et des affectations des magistrats du siège. Les magistrats du parquet sont nommés et affectés sur proposition du ministre chargé de la justice». Le ministre de la Justice, lors de son passage à l’émission “3 minutes pour convaincre” de la Radiotélévision du Burkina du 20 décembre 2023, a évoqué, à l’appui d’une telle réforme, le besoin d’efficacité dans l’application de la politique pénale. Il convient cependant d’observer que la mise en œuvre des mécanismes prévus par le code de procédure pénale permet au ministre de la Justice de faire appliquer sa politique pénale, sans qu’il soit besoin de lui attribuer le pouvoir de nomination, d’affectation, de notation et le pouvoir hiérarchique sur les procureurs comme cela est projeté. En outre, cette disposition qui soumet la nomination et l’affectation des magistrats du parquet à la proposition du ministre de la Justice permet de relever, en souvenance de l’histoire récente de notre pays, qu’il s’agit d’une porte ouverte à l’ingérence de l’exécutif dans le judiciaire et à la promotion des magistrats à la solde de l’autorité politique qui les propose et les fait nommer.

Enfin, il est utile de rappeler que l’article 131 de la Constitution en vigueur dispose que: « Le Président du Faso est garant de l’indépendance du Pouvoir Judiciaire.

En cette qualité, il préside chaque année, au cours du mois de novembre, une rencontre avec les membres du Conseil supérieur de la magistrature pour discuter des questions en rapport avec le renforcement de l’indépendance du Pouvoir Judiciaire. Une rencontre extraordinaire peut toujours être tenue le cas échéant ».

Cette disposition, dans son esprit, permet au Président du Faso, pour respecter le serment qu’il prête à son investiture de garantir la justice à tous les habitants du Burkina Faso. d’échanger de manière constructive avec le CSM sur tous les aspects relatifs au renforcement de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Il incombe donc au Garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire de défendre cette indépendance et non de la fragiliser.

Fort des éléments susmentionnés, le CSM:

rappelle que l’indépendance du pouvoir judiciaire, loin d’être un privilège pour les animateurs de la justice, est la garantie nécessaire d’une justice efficace, efficiente et crédible ;

exhorte les autorités de la Transition à respecter l’engagement énoncé dans les discours de prise de pouvoir, consistant à œuvrer contre « la restauration au forceps d’un ordre ancien par des actes de nature à remettre en cause l’indépendance de la justice et à créer des précédents graves ;

rappelle aux membres de l’ALT les conclusions des journées d’échanges avec les forces vives des régions sur les réformes politiques, institutionnelles et administratives de la Transition, particulièrement en ce qui concerne la nécessité de renforcer l’indépendance de la justice ;

invite l’ensemble des Burkinabè à se remémorer que l’une des aspirations majeures de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 était l’avènement d’une justice affranchie de toute emprise politique, concrétisée partiellement dans le format actuel du CSM ;

prend à témoin l’opinion sur les risques que comporte un tel projet de révision pour le système judiciaire.
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