En plus de la maladie qu’elles affrontent dans l’espoir d’une rémission, les malades du cancer du sein doivent faire face à un autre mal : la stigmatisation des siens et le rejet de la société. Plongée dans le double combat quotidien de ces femmes qui souffrent dans leur chair et leur âme.
Enfin, le rendez-vous ! Après plusieurs appels téléphoniques et de moult tractations pendant des jours, Madame Kaboré a accepté enfin de nous recevoir dans un endroit calme, loin des regards, où le silence apparent est souvent brisé par le chant des oiseaux.
Nous sommes à quelques encablures de la ville de Ouagadougou. Et Malgré la rencontre fixée, la prudence est encore de mise et traduit une méfiance.
Encore une dizaine de minutes d’attente. Et Mme Kaboré n’est toujours par là. Et pourtant, elle dit nous avoir vus venir. « Je te voyais venir et je voulais me rassurer à travers la description si c’est bien toi que j’ai eu au téléphone. Je suis derrière toi », nous lance-t-elle, une dernière fois au téléphone.
Pour toute réponse à la question de savoir comment elle vit avec le cancer, un silence puis des larmes. Après quelques instants, elle reprend. « La stigmatisation est énorme. Elles sont nombreuses les personnes qui refusent de s’approcher de moi parce que j’ai le cancer du sein. Tes proches disent que si tu as le cancer, tu es déjà morte », regrette-t-elle.
Parler de ce mal qu’elle vit au quotidien depuis 11 ans est un supplice. Malgré la volonté de la patiente de briser le silence, l’entretien est encore interrompu par des sanglots.
Le regard qui ronge…
Madame Kaboré a subi l’ablation de ses deux seins. Jusque-là à l’abri du besoin, celle qui était agent de santé dans une clinique vendait également de la glace à domicile et engrangeait un bénéfice d’environ 40 000 F CFA par mois.
Mais c’était avant que la nouvelle de sa maladie ne se répande comme une traînée de poudre dans le quartier. « J’étais obligée d’arrêter ce commerce, car dans tout le quartier personne ne voulait de ma glace. A la clinique également on refusait mes services et j’ai finalement perdu mon travail », raconte-t-elle, avec peine et douleur.
En plein traitement, et avec la tête rasée suite à la chimiothérapie, Mme Kaboré se rappelle avoir été moquée au restaurant. « J’ai été choquée. J’ai pleuré toute la journée. On ne veut pas s’approcher de toi, on ne veut pas de ta nourriture et dans ta propre famille, on te fuit », se désole la patiente avant de lâcher cette phrase déconcertante: « Je ne peux pas continuer sinon je vais encore pleurer. Je suis dégoutée de la vie avec cette situation ».
Puis des larmes, malgré nos mots pour essayer de la réconforter. « Tu m’as adouci le cœur, le fait de m’avoir écouté, je suis un peu soulagée », nous lance-t-elle en essuyant ses larmes.
Madame Zallé qui vit avec la maladie dit également faire face quotidiennement à ces regards inquisiteurs et ces propos désobligeants. « Un soir, à quelques mètres de ma concession, une fillette des domiciles voisins est venue vers moi et m’a demandé, tantie, c’est vrai que tu vas mourir ? Moi, je prie pour toi », raconte-t-elle.
Surprise, elle laissa tomber son sac, pris l’enfant dans ses bras en lui chuchotant qu’il n’en était rien, et qu’elle ne mourrait pas.
Une scène qu’elle dit garder dans un coin de sa tête. Malgré son combat contre le cancer qu’elle croyait livrer en silence, sa maladie était devenue un sujet de causerie et son entourage en parlait, jusqu’aux enfants.
« Certaines femmes qui venaient me vendre des condiments ou pour m’aider à faire la lessive m’ont simplement abandonné», se rappelle douloureusement l’agent de santé.
Abandonnée par les siens…
Des jours de négociations pour également décrocher une entrevue avec Mme Sawadogo, dans la commune rurale de Saaba, à la périphérie Est de Ouagadougou. Tout semble ficeler, mais la veille, elle se rétracte.
Nous insistons en expliquant une fois de plus l’objectif du reportage et en lui garantissant l’anonymat. Elle accepte. « A 9 heures si tu n’es pas là, je ne vais plus discuter », prévient-elle.
7 h 45 minutes, nous sommes dans la commune. Après de vaines tentatives, elle nous décroche enfin au téléphone et nous indique son domicile. Il est 8 h 45, quand elle nous accueille devant sa maison, le visage crispé.
Mme Sawadogo n’oublie pas comment son médecin lui a annoncé son cancer, après des examens. « Il m’a dit que j’avais le cancer et que le temps de vie d’une personne atteinte du cancer du sein ne peut excéder 5 ans ».
Le choc. « Il ne fallait pas qu’il dise de telle bêtise. C’est ainsi que j’ai commencé à crier sur lui, c’est toi qui es Dieu ? J’ai tout mélangé sur son bureau dans ma colère. Et lorsque les gens sont venus intervenir, je suis sortie en larmes, jusqu’à domicile. C’est là où commence mon calvaire », se rappelle-t-elle. La tête baissée, Mme Sawadogo fond en larmes. Puis le silence.
De ses résultats, elle en parle à son mari. Son époux, auprès de qui elle espérait un soutien pour commencer son véritable combat contre ce ‘’rongeur de vie’’, a une réaction qui la plonge davantage.
« Tu es infidèle, bordelle-là, tu es allée prendre cette maladie-là, tu vas répartir », lui rétorque-t-elle. Cette nuit-là, Mme Sawadogo la passera en pleurs au salon, son mari lui ayant refusé la chambre.
La stigmatisation commence dès le lendemain. Plus de droit à la parole, ignorée, indexée, certains allant jusqu’à lier sa maladie comme la conséquence de ses supposées infidélités, une « maladie sanction » infligée suite à la transgression des normes sociales et même divines.
« Quand je touche quelque chose dans la cour, on la mettait à l’écart. Jusqu’à ce qu’on m’interdise de rentrer dans la cuisine, car je n’y avais plus ma place», poursuit-elle. La hantise de la patiente maintenant, c’est le risque d’être séparée de ses enfants.
La stigmatisation, l’autre cancer
A l’Association de lutte contre les cancers féminins « ALCCF ONG Eureka », la stigmatisation est l’autre cancer à combattre. Ehako Marie Claire, la présidente regrette que dans certaines situations, la stigmatisation conduise à briser le moral des patientes, abrégeant ainsi leur vie alors qu’elles pouvaient vivre encore longtemps, avec le concours de la science.
« C’est le cas de cette femme que l’association a essayée d’accompagner, mais son mari ne l’a pas du tout aidé. Le monsieur a poussé la femme à la mort », explique la présidente qui interpelle le ministère en charge de la santé à considérer le cancer comme un problème de santé publique au même titre que les autres maladies.
Certaines patientes en viennent à perdre leur travail. C’est le cas de Anatou Seoné, secrétaire de l’Association Zéro Cancer Féminin. D’autres carrément chassées de leurs foyers et séparées de leurs enfants.
A Bobo Dioulasso, le président de l’Association vaincre le cancer, Pr Ollo Roland est permanemment confronté à la prise en charge des malades qui sont plus dévastées par la stigmatisation que par la maladie.
Selon lui, les manifestations de cette stigmatisation sont diverses. Elles vont de l’isolement social au rejet. « Pour beaucoup de cas que nous rencontrons, le problème, c’est le mari de la femme qui pense que sa femme a dû le tromper avec un autre homme », explique Dr Ollo Roland.
Pour contribuer à changer les regards, les associations de lutte contre le cancer s’investissent dans la sensibilisation. Elles vont vers les familles et les proches pour expliquer la maladie et ce dont les patientes ont besoin en cette période difficile de leurs vies : le soutien et l’accompagnement.
« Le cancer est certes une maladie grave et mortelle mais beaucoup de personnes en guérissent parce que ces personnes ont été accompagnées », s’évertue à expliquer la présidente l’ALCCF ONG Eureka, Ehako Marie Claire.
Une prise en charge holistique
Il est possible de vaincre le cancer, surtout quand il est détecté tôt, rassure également Dr Ilboudo Michel, cancérologue. Au-delà du traitement que lui et ses confrères administrent, il note que leurs faits et gestes sont interprétés par les patientes.
« Quand une patiente t’appelle au téléphone et que tu ne décroches pas, elle se dit tient, le médecin sait que c’est fini, il est en train de me fuir », dit-il. Pour lui, la prise en charge doit être holistique.
« On doit arrêter d’indexer et plutôt accompagner le patient à mieux se sentir. Toute la société est utile dans la prise en charge du malade », conseille le médecin.
Absolument, semble corroborer le Pr Ollo Roland Somé pour qui, les personnes atteintes de cancer ont besoin d’un réseau de soutien solide pour faire face aux défis physique, émotionnel et psychologique associés au traitement.
19 septembre 2023, nous sommes dans un centre de santé de la capitale. Au parking, nous patientons. Mme Sawadogo a rendez-vous avec son médecin traitant et nous nous sommes proposé de l’accompagner. Après quelques minutes d’attente dans cet environnement où les joies et les peines se côtoient, elle arrive sur une grosse moto.
Le casque bien vissé sur la tête, elle descend de sa monture, le visage grave, le regard lointain. Mme Sawadogo ne sort pas un mot, sauf pour répondre à notre salutation. Direction, le bureau du médecin, alors que nous nous installons sur un banc visiteur pour l’attendre.
Plus de 2 heures d’attente. A sa sortie, nous la retrouvons, le visage quelque peu lumineux. Un espoir. « Il a passé en revue tout ce qui concerne ma maladie. Il dit que je peux guérir ». La nouvelle rassurante de ce matin pour Mme Sawadogo.