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Burkina : moi mère célibataire !

Publié le jeudi 28 decembre 2023  |  Libreinfo.net
Enfants
© Autre presse par DR
Enfants en rue
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Entre préjugés, stéréotypes et harcèlements, des mères célibataires vivent le calvaire lié à leur statut. Elles sont contraintes d’abandonner leur famille et de se retrouver seules face à leur sort. Mais de plus en plus, la donne change. Des mères qui vivent seules avec leur (s) enfant(s) s’affirment, arrachent leurs places et clament leur statut publiquement.

7 h 40. Garghin, un quartier situé à la périphérie sud de la ville de Ouagadougou, est en pleine effervescence en cette matinée. Progressivement comme partout dans les grandes villes, chacun prend sa place dans la chaîne sociale. Service, marché, école, usine… Dans une famille, Rosalie Zougmoré nous accueille.

Elle essaie de calmer un enfant au dos qui pleurniche. Malgré les mouvements brusques de l’enfant, notre hôte tient fermement un téléphone smartphone : c’est son entreprise. Rosalie Zougmoré est mère célibataire. Et malgré ses compétences en froid et climatisation, elle trime pour décrocher un emploi stable.

En attendant, elle ne croise pas les doigts. Elle ne peut se permettre ce privilège. Rosalie a lancé depuis quelque temps, son entreprise spécialisée en électricité bâtiment, froid et climatisation. A tout moment scotchée sur son téléphone, elle prospecte le marché, cherche de la clientèle sur les réseaux sociaux.

« J’ai vu des offres d’emplois dans notre domaine où les critères de recrutement écartaient les filles mères », lance la jeune mère avec une voix qui traduit tristesse et incompréhension.

La tête inclinée, elle ajoute que les rares entreprises qui acceptent « nous recruter aussi proposent des salaires qui ne couvrent même pas la moitié de nos charges. Imaginez pour un emploi où on décide de payer moins parce que vous êtes filles mères ».

La pression tous azimuts
Soudain, Rosalie Zougmoré devient amère. Elle dénonce avec force cette attitude des chefs d’entreprise qui constitue selon elle « une discrimination qui nuit à l’épanouissement de la société ». Puis un silence. Comme une introspection. Il y a encore quelques années, alors qu’elle était encore jeune fille, l’atmosphère était devenue insoutenable en famille.

« Ton âge avance, tu vas mourir sans enfant. Tu ne veux pas un mari, il faut chercher un mari », lui serinaient ses parents. « C’est tout cela qui m’a poussée à faire un enfant » nous dit-elle, comme une manière de contenter sa famille.

Mais les choses ne se sont pas passées comme elle le souhaitait. La jeune fille ne vit pas avec son conjoint et porte désormais le double fardeau de mère et de chef de famille. Loin de s’apitoyer sur son sort, Rosalie clame sa fierté d’avoir donné la vie.

Forgée par son expérience, Rosalie compte travailler dur pour agrandir sa jeune entreprise, se trouver un siège et recruter majoritairement des filles, car dit-elle, les filles mères ne doivent plus se renfermer et vivre au banc de la société.

Diane nom d’emprunt, elle, a fait l’amère expérience d’une grossesse non-désirée qu’elle a courageusement gardée, alors que l’auteur de la grossesse lui proposait l’avortement parce qu’elle portait une fille. 24 ans, teint bronzé et de taille moyenne, elle admire d’un regard sa fille de 5 ans. Une joie qui cache une épreuve douloureuse que le temps cicatrise.

« Bien que la grossesse ait été non-désirée, j’ai refusé catégoriquement d’avorter malgré ces intimidations » dit-elle, le regard lointain et nostalgique. Abandonnée par l’auteur de sa grossesse et rejetée par sa famille, elle a survécu aux épreuves grâce à l’intervention d’une association basée dans la commune de Saaba, située à la sortie Est de Ouagadougou. Elle l’a hébergée et prise en charge, pendant ses moments de détresse.

Renoué avec l’espoir de vivre! C’est le leitmotiv de Diane. « Je me demandais souvent ce qui m’a poussé dans cette situation. Mais quand je regarde mon enfant, je me dis que grâce à moi et à l’aide de Dieu, j’ai sauvé une vie en refusant d’avorter », se convainc-t-elle avec une fierté non dissimulée.

A côté, d’elle, sa bienfaitrice Alimatou Diabo, responsable de l’association « Shalom aux enfants ». C’est elle qui l’a soutenu des premiers moment de sa grosses, pendant son accouchement jusqu’à la scolarisation de l’enfant.

«Le père de l’enfant n’a reconnu la grossesse. Il y a déjà ce poids qui conduit à des détresses, d’anxiété. Il fallait lui apporté un soutien psychologique», explique Alimatou Diabo.

Après 4 ans de rupture dans ses études, Diane a repris le chemin de la quête du savoir. « Je suis actuellement une formation en secrétariat médical. J’ai été formée en habillement de chaussures en pagne par l’Association d’aide aux mères célibataires en détresse », reconnaît-elle.

Son combat de tous les jours pour remonter la pente se heurte à la hantise de perdre la garde de son enfant à tout moment. Sa belle-famille commence à la réclamer. « Ce qui pince mon cœur, c’est de penser qu’un jour, un inconnu (le père de l’enfant, ndlr), qui a disparu pendant 5 ans, va venir retirer ma fille », dit-elle, la gorge serrée avec une voix à, peine audible teintée d’impuissance.

Sur cette question qui préoccupe nombre de mères-célibataires, nous avons approché un magistrat qui explique la filiation de l’enfant né hors mariage. Anatole Kaboré, magistrat et enseignant vacataire à l’Ecole nationale de l’administration et de magistrature (ENAM), le code des personnes et de la famille n’oblige pas une femme à remettre l’enfant à son père.

« Selon le code des personnes et de la famille en son article 510 et autres, l’enfant né hors mariage, lorsque les parents ne vivent pas ensemble, est confié à l’un ou l’autre parent au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant. C’est-à-dire celui qui peut s’occuper de l’enfant de manière plus convenable.

La loi dit que si l’enfant n’a pas 7 ans, la règle est qu’il est avec sa mère sauf circonstances exceptionnelles. Même après 7 ans, ce n’est pas une obligation, ce n’est pas automatique. On va continuer de considérer les intérêts de l’enfant.

Prenez par exemple un père qui n’est jamais présent, qui est violent, alcoolique notoire, même si l’enfant à 12 ans, est-ce que cela va dans l’intérêt supérieur de l’enfant ? » questionne le magistrat Kaboré.

Tenir tête
Somgandé, un quartier de la capitale. Là, vit Madina Sawadogo, une mère célibataire depuis 4 ans, restée sans nouvelle de son conjoint parti en mission à l’extérieur. Cet après-midi-là, Madina Sawadogo est bien coquette. “Tête tissée”, cils bien dessinés, ongles vernis, teint luisant.

Travailleuse dans un débit de boisson, elle s’apprête à rejoindre son « bureau ». Avec le temps, la native de Dédougou dit s’être forgée une bonne carapace pour résister à la pression sociale sur son statut de mère célibataire. « Le jour où je déciderai de quitter le célibat, ce sera en toute responsabilité sans aucune influence, ni pression sociale ».
Dans une cour appelée communément « célibaterium », Madina partage la même situation que Adeline Somé, la trentaine. Elle, son conjoint, est parti en aventure, il y a maintenant 12 ans. Depuis, gardant espoir que son bien aimé reviendra, Adéline a décidé de ne pas retourner en famille et surtout de ne pas se remarier.

« Mon conjoint est un malien qui vivait au Burkina. Il est parti au Niger quand j’avais une grossesse de 3 mois. Au début de son départ, on s’appelait jusqu’à ce qu’il devienne injoignable. Aujourd’hui, l’enfant a 11 ans et demi. Aux dernières nouvelles, il serait au Congo » raconte Adeline.



Entre incertitude et angoisse, la jeune mère se demande si le père de son gosse est toujours en vie. Pour le moment, la vie pour elle se résume à se battre pour couvrir les besoins de son enfant. La restauratrice a pris une décision radicale, comme traumatisée par son histoire.

« Je ne suis pas prête à épouser un autre homme », clame-t-elle, l’air pensive. Pourquoi ? Pour ne plus avoir à souffrir dans les mains d’un autre homme qui viendrait à m’abandonner, dit-elle. Pour de nombreuses femmes comme Adeline, le célibat n’est plus une « fatalité ».

Même destin, même combat
La garde des enfants, surtout en bas âge, reste la principale préoccupation des mères célibataires les rendant vulnérables économiquement.

La cherté des crèches et autres garderies à Ouagadougou limite leur accès aux moins nanties, entravant ainsi les initiatives d’automatisation.

Cynthia Ouédraogo, mère d’une fillette de 16 mois, nous accueille dans son atelier de couture bordant une voie rouge au quartier Zone une de la capitale. Abandonnée par son copain parce qu’elle a refusé d’avorter, Cynthia n’a pas pour autant abandonné sa passion : la couture.

Une paire de ciseau dans une main, un pagne dans une autre, un mètre ruban autour du cou. Derrière son sourire, se cache une équation au quotidien, la garde de son enfant pour qu’elle puisse se consacrer entièrement à son activité. En attendant, Cynthia compte sur sa mère qui assure cette «corvée».

Au Burkina Faso, plusieurs associations qui font dans la défense des droits des filles et mères célibataires ont vu le jour. C’est le cas de l’Association d’aide aux mères célibataires en détresse (ASAMECED). Dirigée par Hadiara Nacro, elle-même mère célibataire, l’association se veut un cadre de formation, de sensibilisation et de suivi des mères célibataires.

L’ASAMECED est également l’initiatrice de la première édition des 48 h de la mère célibataire, un événement qui a réuni une quarantaine de mères et filles célibataires.

Placée sous le thème « Participation de la mère célibataire au développement socio-économique dans un contexte de défi sécuritaire », « Cette activité consistait à organiser des formations au profit de ces dernières pour leur permettre de se prendre en charge et s’occuper de leurs enfants » explique la présidente.

Au-delà de cette activité spontanée, l’association a créé plusieurs cadres d’échanges permettant aux mères célibataires de parler des problèmes qu’elles vivent. « C’est aussi une manière de les soulager et leur éviter souvent la dépression », dit-elle, avant de plaider pour que la société ait un regard plus indulgent vis-à-vis des mères célibataires.

Être une mère célibataire ne concerne pas seulement les jeunes filles. Il ya aussi les veuves. Personne ne demande à être une veuve », insiste-t-elle.

Pour sa part, Basile Bationo, parrain de cette première édition, a déploré le fait que certaines femmes se voient obligées de vivre dans le célibat à cause de ce qu’elles ont vécu auprès des hommes ou des chagrins que ces derniers leur ont infligés.

Dieudonné Tankoano, doctorant en sociologie et anthropologie soutient que cette catégorie de la population, à cause des pesanteurs socioculturels souffrent de rejet et autres formes de discriminations aux conséquences fâcheuses comme « la dépression, la prostitution et surtout l’éducation des enfants qui se retrouve hypothéquée ».

Le sociologue explique que l’expression «fille mère» n’est pas reconnue dans l’anthropologie africaine. «Dans l’anthropologie moaga et gourmantché, par exemple, on retrouve deux catégories de femmes : la jeune fille vivant en famille non-mariée et la femme mariée selon les rites coutumiers. Il n’y a pas de fille-mère ».

Ce qui expliquerait selon lui le regard de la société vis-à-vis de cette catégorie de personnes. « C’est ainsi que dans l’ethnie gourmantché, quand une fille non-mariée est enceinte, elle ne peut pas accoucher dans la famille parce qu’on estime que cela peut porter malheur à la famille ».

Cependant, il reconnaît que le statut de la femme évolue de sorte que la société est contrainte de changer son regard porté sur les « mères célibataires » qui s’assument de plus en plus.

« Cela est un dépassement de leur condition humaine qui les pousse à chercher à s’insérer dans la société pour éviter d’être totalement brimées. Cette catégorie de personnes appartient aussi à la société et elle doit bénéficier de ses avantages », explique le chercheur.

Ce combat pour être pris en compte dans le développement socio-économique du pays devrait engager l’ensemble des parties prenantes en l’occurrence les pouvoirs publics.

C’est sans doute dans ce sens que les premiers responsables de l’Université Joseph Ki-Zerbo ont lancé le 27 avril 2023, la construction d’une crèche au profit des étudiantes mères et du personnel de son université.

Cet édifice va permettre d’améliorer les conditions d’études des mères étudiantes et assurer une meilleure protection de leurs enfants, selon le président de l’université Joseph Ki Zerbo, Pr Jean François Silas Kobiané.

Par Daouda Kiekieta
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