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Education inclusive: Ces enfants autistes qui excellent dans les écoles ordinaires

Publié le samedi 16 decembre 2023  |  Sidwaya
Rentrée
© aOuaga.com par A.O
Rentrée scolaire : le maire de l`arrondissement 9 de Ouaga sur le terrain
Mardi 1er octobre 2013. Ouagadougou. Le maire de l`arrondissement 9, Constant Lamoussa Ouédraogo, a effectué une tournée dans les écoles de son ressort pour voir comment se déroule la rentrée des classes
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Au Burkina Faso, l’accès à l’éducation n’est pas garanti à tous les enfants comme le disposent les textes en vigueur. C’est le cas pour plusieurs enfants autistes qui éprouvent des difficultés, en raison de leur handicap, à être scolarisés dans les écoles classiques. Mais depuis 2014, plusieurs initiatives dont l’assistance vie scolaire, offrent à des centaines d’enfants autistes la possibilité d’être scolarisés dans des écoles ordinaires. Aujourd’hui, beaucoup d’entre eux font partie des meilleurs élèves.

Mercredi 3 mai 2023, jour de classe. Il est 8 heures à l’école primaire publique Wemtenga C de Ouagadougou, à l’est du centre-ville. Dans la classe du Cours préparatoire deuxième année (CP2), c’est une séance de lecture ce matin-là pour les 62 élèves disciplinés et assis sur une vingtaine de tables-bancs. L’institutrice, Rosine Sawadogo appelle tour à tour les apprenants au tableau pour l’exercice. Après Sakina, Ibrahim, Romuald et Elodie, l’enseignante lance : « David (nom d’emprunt), au tableau ! ». Le petit David, faufile entre les tables-bancs et arrive au tableau. D’une voix suave et audible, il lit avec brio le texte au tableau. L’institutrice le félicite avant qu’il ne regagne, tout joyeux, sa place. David So (nom d’emprunt), 11 ans, souffre pourtant du spectre autistique depuis sa naissance, le mal ayant été diagnostiqué à l’âge de 3 ans. L’autisme est un handicap dont les manifestations sont décrites sous l’intitulé de Trouble du spectre de l’autisme (TSA). Selon les experts, il s’agit d’un trouble neuro-développemental dû à un dysfonctionnement cérébral et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’une personne sur 160 dans le monde en est victime. Au Burkina, l’absence de données précises sur l’autisme rend la prise en charge plus complexe.

Arrivé à l’école primaire publique Wemtenga C en 2022, le petit David a fait ses prouesses dès la classe de CP1 où il a été primé par l’Association des parents d’élèves (APE) pour avoir été 3e au classement général. Mais, il n’est pas le seul enfant autiste dans cette école. Tina Sanou et Daniel Koné (noms d’emprunt), âgés respectivement de 14 et 13 ans, en classe de CP1, sont également atteints de troubles du spectre autistique. Dans cette classe, l’institutrice, Rosalie Kaboré encadre 52 élèves. Elle explique fièrement que Daniel Koné a été 1er de la classe au 1ᵉʳ trimestre avec 8,88 de moyenne sur 10. « Il excelle en opération où il a eu une note de 10/10 lors de la composition. Au 2ᵉ trimestre, il a été 6ᵉ avec 8,44 de moyenne », relate-t-elle. Quant à Tina Sanou, poursuit l’enseignante, elle a été 8ᵉ ex avec 8,55 de moyenne au 1ᵉʳ trimestre et 6ᵉ ex (avec Daniel) en obtenant une moyenne de 8,44.



52 enfants déjà pris en charge



David, Daniel et Tina, tous enfants autistes, ont eu accès à l’école classique, malgré leur handicap et vont jusqu’à exceller en classe, parce qu’ils ont bénéficié d’un soutien spécifique. Cet accompagnement est l’œuvre de structures privées qui s’investissent pour la cause de ces enfants comme l’Association burkinabé d’accompagnement psychologique et d’aide à l’enfance (ABAPE).

A travers ce centre d’accueil des enfants autistes et déficients intellectuels, situé au quartier Wemtenga, dans l’arrondissement 5 de la ville de Ouagadougou, l’association reçoit des enfants de 2 à 15 ans. Cet espace aux allures d’une villa d’habitation et fondu dans un décor de couleur gaie, se veut un lieu de vie qui façonne, jour après jour, l’avenir de plusieurs de ces pensionnaires. Ouvert depuis 2011, il apprend aux enfants atteints d’autisme à communiquer et à se faire des amis.Chaque matin, vers 7 heures, des parents y convergent pour déposer leurs enfants. Sous le grand hangar à l’entrée de la cour, ce jeudi 27 juillet 2023, une dizaine d’enfants s’amusent pendant que d’autres font des gribouillages sur des feuilles. Pour préparer ces enfants (52 entre 2014 et 2023), à intégrer plus tard une école dite « normale » le centre s’appuie sur des « méthodes thérapeutiques innovantes », selon Boukari Pamtaba, psychologue et fondateur de la ABAPE : « Lorsque l’enfant arrive pour la première fois, il doit obligatoirement passer trois niveaux d’aptitude avant d’être affecté à la scolarité classique. Nous évaluons l’élève au niveau relationnel, pédagogique et communicationnel. S’il est apte, on l’intègre à l’école primaire. Tant qu’on n’arrive pas à combler les limites de l’enfant, on ne peut pas parler de scolarisation ». Il renseigne que chez David, l’autisme se manifestait par des troubles de comportement, de langage, d’instabilité et d’hyperactivité. Quant à Daniel Koné, dit-il, il était hyperactif.

A force de thérapie, poursuit-il, ils ont été déclarés aptes à intégrer l’école classique. Le centre collabore ainsi avec les établissements primaires et préscolaires pour préparer l’accueil des enfants autistes dans le système scolaire « normal ». Depuis 2014, il a débuté sa collaboration avec les écoles primaires privée “Bangré” et publique de Wentenga. « Pour que ces écoles adhèrent à la stratégie de mise en œuvre de l’éducation inclusive, les responsables ont été sensibilisés et formés à l’inclusion sociale des enfants autistes. Dans ces établissements scolaires, il n’y a pas de différence. Les enfants autistes reçoivent les mêmes cours que les autres élèves », précise le fondateur de l’ABAPE.



Jamais sans l’AVS



Les résultats scolaires de David, Daniel et Tina sont aussi le fruit d’un travail de longue haleine, dès le CP1. Selon la maitresse du CP2, Rosine Sawadogo, l’intégration de David, affectueusement appelé « Davy » et ses camarades n’a pas été facile. « Au début, ils étaient isolés et refusaient de se mêler aux autres enfants. Lorsqu’ils arrivent le matin dans la cour de l’école, ils pleurent et ne veulent pas entrer en classe. A la récréation, ils jouent seuls. Maintenant, je sens que ça va. Ils sont même enthousiasmés de venir à l’école. Avant de partir, ils sont très contents. Ils disent au revoir madame », se réjouit-elle.

Pour la directrice de l’école Wemtenga C, Julie Soma, certains enfants autistes comprennent et assimilent rapidement les leçons. Dans son établissement, plusieurs d’entre eux apprennent les mêmes disciplines que les élèves dits « normaux » même si elle reconnaît qu’il faut parfois de la patience. « Il n’y a pas de suivi particulier, mais une Assistante de vie scolaire (AVS), actuellement appelée Accompagnants d’enfants en situation de handicap (AESH) est chargée de reformuler les questions pour les rendre facilement compréhensibles aux autistes », indique Julie Soma.

Lorsque les enfants autistes arrivent dans les écoles classiques, ils sont assistés tout au long de leur cursus scolaire par des AESH recrutées et formées par l’ABAPE. Marie-Claire Sorry est une des monitrices du centre de l’ABAPE, détachée à l’école Wemtenga C pour suivre le travail des élèves autistes dans les classes. Elle leur permet de suivre une scolarité normale malgré leurs difficultés relationnelles. « Je suis là pour aider les enfants qui sont en situation de handicap dans les classes de CP1 et de CP2 à Wemtenga C. Souvent, quand les enfants viennent, ils sont seuls et le milieu est nouveau pour eux. Pour qu’ils puissent se sentir à l’aise, il faudrait qu’il y ait une personne à côté pour les aider », relate la monitrice. En classe, la jeune dame est un peu l’ange gardien des autistes. Elle est d’une grande aide pour la maîtresse qui doit faire face toute seule aux nombreux élèves parmi lesquels ceux en situation de handicap. « Au début, ce n’était pas simple, mais aujourd’hui, il y a beaucoup d’amélioration. En classe, ils bavardent, sautent et dansent. Il faut être tout le temps à leur côté pour interpeller par : ‘’C’est bon’’, ‘’laisse ça’’, ‘’croise les bras’’, ‘’suit au tableau’’, ‘’écrit’’ », souligne-t-elle. Rencontrée en classe avec ses élèves, la maîtresse du CP2 semble connaître désormais ces « tout-petits » peu ordinaires. Telle une psychologue, elle détecte avec facilité leur manque d’affection. « Davy est brillant, mais son seul problème est qu’il veut que l’on soit attentif à ses besoins émotionnels. Il veut sentir l’amour maternel. Quand la maîtresse arrive, il court et lui fait des câlins. Cela le motive à s’appliquer en classe », fait remarquer l’AESH. .



Essentiels, mais en nombre insuffisant



Malgré la mise en place d’une batterie de textes et des mesures prise par l’Etat burkinabè pour favoriser la scolarisation des enfants à besoins spécifiques, (fourniture de livrets d’informations complementaires, d’annales adaptées et de guides methodologiques, suivi des enseignants et des apprenants, renforcement des capacités des enseignants, remboursements des frais de scolarité, subventions des centres de prise en charge des enfants autistes), les parents ont toujours des difficultés à placer leurs enfants dans une école publique, un milieu encourageant l’inclusion des enfants dans le système éducatif. La bonne volonté des centres de prise en charge reste limitée et le plus important des obstacles est le manque d’AVS. « Les enfants que nous envoyons dans les écoles partenaires passent chaque année en classe supérieure. Il est difficile pour une seule AVS de suivre plusieurs élèves à la fois. Il nous faut forcément recruter du personnel spécialisé pour le suivi des enfants autistes dans ces écoles. Cela nécessite des moyens », estime le fondateur de l’ABAPE. Il ajoute que l’accroissement du nombre d’élèves autistes admis aux primaires crée dans le même temps un besoin de personnel dans ces écoles. « Cette année, nous avons trois enfants qui vont partir au primaire. Donc, nous devons forcément affecter encore une AVS et cela va impacter notre effectif », s’inquiète-il. Aussi, la réticence de certains chefs d’établissement à accueillir les enfants en situation de handicap ne favorise pas la mise en œuvre à grande échelle de cette stratégie.

C’est le constat que fait Ibrahim Zoungrana, psychologue et responsable de l’Association d’aide aux enfants autistes (3A). Il tient un centre pour enfants en situation de handicap installé dans la vaste cour de l’école primaire Paspanga D de Ouagadougou. Cette cohabitation depuis 2012 avec l’établissement public n’a jusque-là pas favorisé l’entrée des élèves autistes dans les classes ordinaires. « Nous sommes logés au sein d’une école publique. Mais aucun enfant de notre centre n’est dans cette école. Nous avons fait des tentatives d’approches qui n’ont pas marché », se désole le psychologue en ajoutant que « La plupart des établissements scolaires justifient leur refus par le manque de formation de leurs enseignants à tenir compte des spécificités de l’autisme. De plus, accepter les enfants autistes dans les classes demande des efforts supplémentaires ».

De son coté, la nouvelle directrice de l’école Paspanga D dit n’avoir pas connaissance, pour l’heure, de tous les dossiers de l’établissment. Mais Sylas Ouédraogo, enseignant depuis 2005 dans ce lieu d’apprentissage reconnait que leur école n’a pas encore accueilli d’élèves autistes bien qu’il y ait une bonne collaboration entre eux et l’Association d’aide aux enfants autistes (3A). Par ailleurs, il souligne que grâce à cette association, les enseignants de Paspanga D ont bénéficié d’une formation de quelques jours, mais « cette formation est insuffisante pour une prise en charge hollistique des enfants autistes », ajoute-il.

A qui la faute ?



Selon la psychologue et enseignante-chercheure à l’université Joseph-Ki-Zerbo de Ouagadougou, Rasmata Bationo, l’intégration des enfants autistes dans les écoles ordinaires peine à se systématiser au Burkina Faso parce que beaucoup d’établissements scolaires ne sont pas suffisamment outillés pour les accueillir. Les centres de prise en charge, poursuit-elle, font d’abord un « premier travail important de socialisation et d’acquisition de capacités psychosociales », avant de les référer dans les écoles classiques.

Cependant, explique-t-elle, ils rencontrent d’énormes difficultés. « C’est vrai que l’éducation inclusive est une des priorités de l’Etat burkinabè. Mais les centres ont du mal à mettre des enfants dans les écoles et classes inclusives par manque de moyens humains et techniques. L’école n’est pas suffisamment outillée et les enseignants ne sont pas assez préparés », dit-il.

Au Burkina Faso, la loi 012-2010/AN sur la protection et promotion des droits des personnes handicapées garantit l’éducation inclusive dans les établissements préscolaires, primaires, post-primaires, secondaires et universitaires. Tout établissement de formation initiale et continue des enseignants/alphabétiseurs est aussi tenu de prendre en compte l’éducation inclusive dans ses programmes de formation. Ainsi, des centres se sont créés dans l’optique d’assurer le suivi et la prise en charge psycho-éducative des enfants et adolescents souffrant d’un handicap. Cependant, des inégalités résistent encore.

La psychopédagogue, Alima Sawadogo qui a coproduit l’ouvrage « Fratrie et autisme : enjeux scolaires pour les frères et sœurs d’enfants autistes » (paru le 28 septembre 2021), affirme que l’inclusion des enfants autistes dans l’école ordinaire est plus difficile que celle des enfants ayant d’autres troubles. Même si la démarche des centres spécialisés est « louable et d’une très bonne technique », la psychopédagogue relève quelques failles de cette méthode qui, selon elle, répond en partie aux problèmes des enfants autistes. « Il est vrai que l’enfant intègre avec un minimum de compétences. Mais, il faut reconnaître que le fonctionnement de nos écoles et leurs programmes (les curricula sont composés de divers éléments – NDLR) ne sont pas adaptés au fonctionnement de l’enfant autiste », révèle Mme Sawadogo. A l’écouter, les enfants autistes ont, la plupart du temps, un problème d’attention . C’ est difficile pour certains de suivre une intégration totale, notamment aller à l’école du lundi au vendredi et suivre les horaires normaux. « Au Burkina Faso, l’intégration partielle n’étant pas prévue, certains contenus sont difficiles pour les enfants autistes à cause de leur fonctionnement. Rien n’est malheureusement fait pour les dispenser de ces contenus, rendant ainsi complexe l’apprentissage de ces enfants dans les écoles classiques », déplore-t-elle. A titre illustratif, elle evoque les activités de rédaction où il est parfois demandé d’imaginer une scène ou de raconter un évènement complexe.

La psychopédagogue ajoute que les épreuves d’expression orales telles que la lecture, les chants, etc. sont parfois pénibles, compte tenu du trouble de langage des enfants autistes, relevant ainsi la difficulté à les évaluer de la même manière que les élèves « sans handicap ». Une étude de Home and Stage (2016) révèle, par ailleurs, que « les expériences sensorielles particulières des personnes autistes peuvent impacter leur capacité à apprendre, non seuelement en influençant la concentration, mais aussi pour des raisons en lien avec l’anxiété et l’inconfort que cela génère ». La recherche indique que l’inclusion est plus faible pour les personnes autistes. Elles sont plus impactées avec une déficience intellectuelle associée et/ou des comportements défis. Les personnes ayant une forme sévère d’autisme sont souvent déficientes intellectuellement, mais pas toujours. Elles ont peu ou pas de langage et ont des difficultés à réguler/comprendre/interpréter leurs émotions. C’est pourquoi, pour plus d’efficacité, conclut Alima Sawadogo, il est nécessaire de repenser le système d’évaluation en les dispensant de certaines disciplines.

Wamini Micheline OUEDRAOGO
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