Le procès de l’affaire dite charbon fin a repris, ce jeudi 30 novembre 2023 dans la salle d’audience N⁰1 du Tribunal de grande instance Ouaga 1. Les débats se poursuivent avec toujours au centre, le rapport d’expertise présenté mardi dernier, par l’expert-douanier sollicité dans le dossier par le parquet. L’avocat de l’État remet en cause la légalité d’un document signé de la direction générale des Mines autorisant la société minière Essakane SA à exporter du charbon fin en 2015.
Comme le mardi dernier, les premières heures de l’audience de ce jeudi ont encore tourné autour de la cotation demandée par Essakane à la société Bolloré Transport pour l’expédition de plus de 600 tonnes de charbon fin. Avant-hier, mardi, l’expert avait affirmé que durant son enquête, il n’a eu pour seul document officiel chez Bolloré que la cotation. A la question de savoir pourquoi il s’est référé à ce document pour tirer ses conclusions, il a répondu que lors de son enquête, les premiers responsables de Bolloré lui ont notifié que seule cette cotation a été établie. Par rapport à cette réponse, la représentante du directeur pays d’Essakane a, une fois de plus, insisté sur le fait que la cotation ne peut être considérée comme un document contractuel. Elle a donc exhorté le tribunal à ne pas se fier au chiffre mentionné sur la cotation. « Quand je demande une cotation et que je mentionne une quantité, ici on parle d’environ 629 tonnes, ça ne veut pas dire que c’est effectivement 629 tonnes que je vais exporter. Je souhaite qu’on ne se cantonne pas sur les 629 tonnes mentionnées dans la cotation », a-t-elle plaidé. Par ailleurs, elle a précisé que la cotation portait sur 37 conteneurs.
Outre cela, les avocats d’Essakane ont projeté une copie d’un document signé du Directeur général des Mines de l’époque, autorisant à titre spécial Essakane SA à faire des exportations de charbon fin d’une quantité de 399 tonnes en 2015. Ils ont indiqué que c’est sur la base de cette autorisation que la mine a effectué ses exportations tout en restant dans les limites de la quantité autorisée.
Réagissant sur cette pièce fournie par la défense, l’expert a dit douter de la légalité du processus par lequel Essakane a obtenu une telle autorisation. À l’entendre, le directeur général des Mines ne jouit d’aucune qualité pour délivrer une autorisation spéciale d’exportation de charbon fin à une société minière. Il a ajouté que même le ministre des mines et des carrières n’a pas cette compétence, parce que, dit-il, la loi ne l’y autorise pas.
Cette affirmation a vivement fait réagir la défense. Les avocats d’Essakane ont jugé « très graves » les propos de l’expert. « Ça laisse supposer que Essakane a procédé par la corruption pour obtenir cette autorisation d’exportation. Nous pensons que c’est très grave et ces affirmations ne vont pas rester sans suite », s’est offusqué Me Yanogo.
Prenant la parole après la réaction de la défense, l’avocat de l’État a, pour sa part, renchéri sur les affirmations de l’expert-douanier. Il a aussi réaffirmé qu’il n’y a jusqu’à présent, aucune base légale qui permet au ministre des Mines et des carrières encore moins au directeur général des Mines d’autoriser une quelconque exportation de charbon fin au Burkina Faso. D’ailleurs, il a mis au défi la défense d’apporter la preuve de cette base est légale.
« Monsieur le Président, on ne va pas faire un cours de droit administratif ici. Ce que nous demandons à Essakane, c’est qu’on nous apporte la preuve que le ministre des Mines, en 2015, a autorisé l’exportation du charbon fin, après avoir reçu la demande d’autorisation de la société IAMGOLD Essakane SA. Qu’on nous donne aussi la preuve que le ministre a donné une habilitation au Directeur général des Mines d’autoriser de façon spéciale l’exportation de 399 tonnes de charbon fin (…) Si les éléments probants par rapport à ces observations ne sont pas fournis, vous conviendrez avec moi que ce document ne prouve en rien que la société avait une autorisation légale pour mener son opération d’exportation. Nous demandons à votre juridiction de leur demander de fournir la preuve que l’acquisition de ces documents qu’ils ont montrés ici a suivi le processus normal en matière légale. Sinon la fraude est déjà là, à ciel ouvert ! Parce qu’à ce jour, il n’y a aucune base légale pour exporter du charbon fin au Burkina Faso et nous mettons au défi Essakane de nous fournir cette base légale là », a lancé l’avocat de l’État.
Il a ajouté que l’État a grand intérêt à ce qu’Essakane SA lui prouve que la production de ces documents a respecté le processus légal en la matière. « J’ai entendu dire ici qu’il y a des suites à donner à certains propos tenus ici. Et s’il y a des suites à donner, l’État aussi a des comptes à demander à des gens par rapport à comment ces documents ont été produits », a-t-il réagi.
Se prononçant sur cette remarque, la représentante de la société minière Essakane SA s’est dite étonnée que ce soit l’État burkinabè qui leur demande aujourd’hui de fournir la preuve de la légalité des documents. Cela, a-t-elle ajouté, surtout que c’est l’autorité administrative minière qui leur a fourni ces documents. « Je suis étonnée que l’État vienne nous demander de prouver que le directeur général des Mines avait le mandat pour nous autoriser à faire les exportations. Je pense que ce n’est pas à nous de le prouver. Nous n’avons connaissance d’aucune manœuvre. Nous avons fait la demande à la structure habilitée qui est le ministère des Mines et nous avons eu l’autorisation du ministère des Mines. Maintenant, si on nous dit que la direction générale des Mines n’avait pas compétence pour signer les documents, nous nous n’avions pas connaissance de cela. Nous avons formulé une demande à l’autorité administrative et l’autorisation nous a été donnée. Nous nous en tenons à cela », a-t-elle déclaré.
Par ailleurs, elle a rappelé que le charbon fin étant un résidu issu du traitement de l’or, le traitement de ce minerais suit la législation qui régit l’exportation de l’or au Burkina Faso. « Si la législation prévoit que dès lors que j’ai l’autorisation d’exploitation de l’or, j’ai la possibilité de le traiter où je veux, je ne vois pas où est le problème du moment où le charbon fin est un résidu du traitement de cet or-là », a-t-elle dit.
Du reste, par rapport au fait que la société ait demandé à exporter 399 tonnes en lieu et place de la moitié de 447 tonnes initialement demandées, elle a expliqué que cela est dû au fait qu’entre la période de la demande formulée en juin 2015 au ministre et la période d’exportation, la quantité de charbon fin sur le site avait augmenté. La société a donc, à l’entendre, jugé utile d’exporter plus. C’est en cela, selon la représentante, que la deuxième demande a été formulée. D’ailleurs, elle a assuré que les échanges entre Essakane et les autorités minières sur ce sujet seront fournis au tribunal.