L’Union européenne, par la voix de son représentant en Guinée, n’est pas allée avec le dos de la cuillère pour dénoncer les dysfonctionnements qui ont caractérisé les législatives du 28 septembre en Guinée. En effet, si elle reconnaît que les Guinéens ont fait preuve de civisme et d’engagement, elle a aussi critiqué les graves dysfonctionnement dont s’est rendue coupable la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Celle-ci est notamment accusée de manquer de transparence et de communication dans sa gestion du processus électoral. Cette voix, venant d’une institution aussi crédible que l’Union européenne, apporte de l’eau au moulin de l’opposition qui, à maintes reprises, avait élevé le ton pour dénoncer une gestion partisane et opaque du scrutin par la CENI. Tout laisse croire que même après le report de la date du scrutin, les corrections nécessaires exigées par l’opposition n’ont pas été faites par l’administration électorale.
Pour le cas de la Guinée, et si les accusations de l’Union européenne sont avérées, il faut craindre une explosion qui peut prendre des proportions gravissimes
La seule éclaircie dans cette grisaille électorale est l’engouement des Guinéens pour le scrutin, relevé et salué par l’ensemble des observateurs. Mais si le taux de participation représente un enjeu dans une élection, la transparence, qui doit accompagner les différentes étapes, constitue une condition sine qua non pour la crédibilité des résultats. Le véritable couac se trouve à ce niveau en Afrique. La conséquence en est que sous nos tropiques, les lendemains des élections sentent toujours le soufre et la poudre. Un tel constat renforce la thèse de Jacques Chirac pour qui « la démocratie est un luxe pour l’Afrique ».
En tous les cas, l’on est tenté de croire, si l’on en juge par le nombre des élections chaotiques dont l’Afrique est coutumière, que celle-ci est allée à la démocratie à contrecœur. En effet, depuis le célèbre discours de François Mitterrand en 1990 à la Baule, appelant le continent noir à s’engager dans la démocratie, certains Africains ont développé une technologie en matière de fraudes électorales qui, au fil des élections, se perfectionne. Les populations ainsi flouées investissent les rues pour crier leur colère. Ce scénario est caractéristique des après-élections en Afrique. Pour le cas de la Guinée, et si les accusations de l’Union européenne sont avérées, il faut craindre une explosion qui peut prendre des proportions gravissimes. En effet, il y a un manque de confiance entre les acteurs politiques en Guinée. Tout le monde suspecte tout le monde. Cet environnement délétère n’est pas de nature à permettre un dialogue franc entre le pouvoir du professeur Alpha Condé et l’opposition. Ensuite, les divergences politiques, et cela est fort regrettable, ne sont pas d’ordre idéologique, mais d’ordre communautaire et ethnique. Dans ce pays, on est d’abord Soussou, Malinké, Peul avant d’être Guinéen.
Tous les acteurs de la scène politique du moment, à l’exception du professeur Alpha Condé, ont tous bu, dans des proportions différentes certes, à la source du parti-Etat de Sékou Touré et de l’immobilisme politique de Lansana Conté
Ce critère qui relève du champ de l’irrationnel et de la contingence a été instrumentalisé par les différents régimes qui se sont succédé en Guinée, de Sékou Touré à Alpha Condé en passant par Lansana Conté.
Si fait que la Guinée manque cruellement de culture politique démocratique. Tous les acteurs de la scène politique du moment, à l’exception du professeur Alpha Condé, ont tous bu, dans des proportions différentes certes, à la source du parti-Etat de Sékou Touré et de l’immobilisme politique de Lansana Conté. Cet héritage politique fait de dictature, de délation et d’intolérance structure encore les mentalités en Guinée et elles ne sont pas préparées à admettre le fait qu’en démocratie, l’adversaire politique n’est pas un ennemi que l’on doit anéantir par tous les moyens. Tous les acteurs politiques en Guinée se rendent à l’évidence qu’en démocratie, c’est l’autorité de l’argument qui doit encadrer les débats politiques. Le professeur Alpha Condé, qui a souffert de la dictature de Sékou Touré et de Lansana Conté, doit travailler à l’avènement d’une Guinée nouvelle, autrement, la stabilité et la concorde nationales dont le pays a besoin pour enfin amorcer son développement, seront renvoyés aux calendes grecques.