Ils sont une dizaine de leaders à être réquisitionnée pour aller sur les théâtres d’opérations dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Ainsi en a décidé la Transition dirigée par le capitaine Ibrahim Traoré. Une décision porteuse de germes de division, notamment au sein des organisations de la société civile et des syndicats, qui la qualifient d’arbitraire. Mais qui sont ces personnes dont la réquisition fait si tant de bruit?
S’il y a un sujet qui fait couler beaucoup d’encre et de salive, c’est bien les récentes notifications de réquisitions contre des leaders d’opinion «critique» contre le pouvoir de la Transition. Des journalistes aux leaders d’organisations de la société civile en passant par les syndicats, la moisson est abondante.
Au total, une dizaine de citoyens a été réquisitionnée pour aller au front. Déjà, une coalition d’organisations a appelé le lundi 6 novembre 2023 leurs militants et sympathisants à «s’organiser pour résister», alors que les réquisitions prennent effet à compter de ce 7 novembre 2023.
Un homme politique…..
Il s’agit de Ablassé Ouédraogo. Âgé de 70 ans, il est le président du parti politique «Le Faso Autrement». Titulaire d’un doctorat en Sciences Economiques, option « Economie du développement », Ablassé Ouédraogo a un parcours politique et diplomatique assez riche.
De mars 1994 à février 1999, Ablassé Ouédraogo a été Ministre des Affaires Etrangères du Burkina Faso sous la gouvernance du président Blaise Compaoré, puis Conseiller Spécial du Président du Faso de février à novembre 1999.
En politique, Ablassé Ouédraogo est élu pour la première fois en 2012 député de l’Assemblée Nationale, sous la coupe de l’Opposition politique. Il a été candidat malheureux aux présidentielles de 2015 et de 2020.
En dehors de la politique, il a occupé plusieurs postes dans des institutions internationales. De 1982 à 1994, Ablassé Ouédraogo a travaillé au Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD) dans plusieurs pays d’Afrique, le Niger, l’Ethiopie, le Congo, le Kenya…
Il a été le premier africain à occuper les fonctions de Directeur général adjoint de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) de 1999 à 2002. Ablassé Ouédraogo a également travaillé aux côtés de la présidence de la commission de la CEDEAO de 2007 à 2009.
Depuis la prise du pouvoir par le capitaine Ibrahim Traoré, il est de plus en plus critique de la gestion du pouvoir de la Transition. Certains observateurs y voient la raison de sa réquisition.
Yacouba Ladji Bama
Dans cette cohorte de réquisitions, les Hommes de médias ne sont pas en reste. Ainsi, le journaliste d’investigation Yacouba Ladji Bama a reçu sa notification de réquisition.
Du quotidien «Le Pays» au bimensuel d’investigation “Courrier confidentiel” en passant par «Le Reporter», ce célèbre journaliste est actuellement le directeur et promoteur du média d’investigation en ligne «BamYinga». Fort de ses 16 ans d’expériences dans le métier, il a révélé à l’opinion nationale et internationale plusieurs dossiers de mal gouvernance.
Il remporte en 2016, le Grand prix d’excellence Norbert Zongo (Sebgo d’or) du journalisme d’investigation, un prix qui récompense le meilleur article d’investigation, toutes catégories de presse confondues et ouvert à tout journaliste du continent africain.
Entre autres dossiers emblématiques qu’il a révélés : la supposée fraude d’or dénommée charbon fin, dont le dossier est en cours de jugement depuis 2018 et qui concerne plusieurs milliards FCFA.
C’est un journaliste dont la plume gêne. En janvier 2020, son véhicule avait été incendié à domicile par des individus non identifiés. Il a aussi fait l’objet de poursuites judiciaires pour des faits de diffamation.
Depuis la prise de pouvoir par le capitaine Ibrahim Traoré, il ne cesse de lancer des piques à la Transition politique pour défendre ses convictions. Réquisitionné par les autorités de la Transition pour aller au front, le célèbre journaliste a marqué son opposition dans une publication sur sa page Facebook.
«Au regard des différents noms sur cette liste (de réquisition, ndlr) en plus de ma personne, il est clair qu’il ne s’agit pas là d’une réquisition pour aller servir la patrie mais d’une réquisition visant à faire taire des voix discordantes» a-t-il écrit, ajoutant, qu’il «refuse d’aller au front pour le plaisir des gens avides de pouvoir».
La liste s’allonge au sein des médias
En plus de Ladji Bama, il y a son confrère Issaka Lingani. Journaliste et analyste politique, il est âgé de 64 ans. Il est le directeur de publication de l’ex-hebdomadaire «L’Opinion », créé en 1997.
Il a été désigné lauréat d’honneur au prix Galian de 2006. Issaka Lingani est un journaliste connu au Burkina Faso pour ses opinions politiques sur les plateaux télé.
Le pharmacien Dr Daouda Diallo au front
En plus des hommes politiques et des journalistes, les acteurs de la société civile et les défenseurs des droits de l’homme ne sont pas épargnés. C’est ainsi que Dr Daouda Diallo, le fondateur et le secrétaire général du Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC) est réquisitionné pour les besoins de la cause.
Le pharmacien Dr Diallo est également responsable du laboratoire médical du Centre hospitalier régional de Dédougou.
Fervent défenseur des droits de l’homme, il a plusieurs fois révélé et dénoncé, à travers son collectif, des cas d’exécution de civils attribués à tort ou à raison aux forces de défense et de sécurité burkinabè.
En 2022, il est sacré lauréat du prix Martin Ennals. Ce prix distingue des personnes ou des organisations qui se sont illustrées dans la promotion et la défense des droits humains. Ce combat de défense des droits humains lui a valu d’être élevé au rang de chevalier de l’Ordre de l’Étalon par l’ancien président Paul-Henri Damiba en 2022.
Du côté de la société civile, Rasmane Zinaba a été aussi réquisitionné par l’armée burkinabè. Âgé de 37 ans, Rasmane Zinaba est un jeune militant et cadre du Balai citoyen, l’une des organisations les plus influentes de la société civile burkinabè.
Ce mouvement était à l’avant-garde de l’insurrection populaire qui a renversé le régime de l’ancien président Blaise Compaoré, après 27 ans au pouvoir. Très actif sur les réseaux sociaux, Rasmane Zinaba connu aussi sous nom Coachzine, s’est engagé aux côtés de ce mouvement en 2013 alors qu’il n’avait que 27 ans.
Ses publications sur les réseaux sociaux ont généralement trait à la bonne gouvernance et au patriotisme. En août 2022, il rejoint le Front patriotique, un mouvement qui regroupe plusieurs partis politiques et des organisations de la société civile.
Gabin Korbéogo, l’enseignant-chercheur réquisitionné
Titulaire d’un doctorat en socio-anthropologie de l’université Johannes Gutenberg en Allemagne, Gabin Korbéogo est enseignant-chercheur à l’université Joseph Ki-Zerbo.
Il est l’auteur de plusieurs publications dont, “Pouvoir et accès aux ressources naturelles au Burkina Faso”, publié aux Editions l’Harmattan.
Cet ouvrage explore les répertoires des règles officielles et locales qui autorisent et interdisent l’usage et l’appropriation des ressources naturelles au Gourma rural (à l’est du Burkina Faso).
Syndicaliste dans l’âme, il a co-publié «Le syndicalisme étudiant, des origines à nos jours : un acteur permanent dans l’évolution socio-politique du Burkina Faso » un article qui retrace les origines du syndicalisme notamment en milieu estudiantin.
Il a été Secrétaire général du Bureau exécutif national de l’Organisation Démocratique de la Jeunesse du Burkina (ODJ) avant de devenir en avril 2018 Président national de cette organisation.
Gabin Korbéogo était le président du comité d’organisation du controversé meeting avorté du 31 octobre 2023. C’est quelques jours après la suspension dudit meeting que les réquisitions sont tombées.
Ce n’est pas la première fois que des responsables d’organisations sont réquisitionnés. Plusieurs autres leaders d’opinion avaient été également réquisitionnés ou enrôlés de force bien avant.
C’est le cas du médecin anesthésiste-réanimateur Dr Arouna Louré, président du mouvement «Les Révoltés » en septembre dernier et Boukaré Ouédraogo, président du mouvement de «l’Appel de Kaya», enrôlé de force en mars 2023.