La cérémonie solennelle de la rentrée judiciaire 2013-2014 des cours et tribunaux du Burkina Faso a eu lieu, le mardi 1er octobre 2013 à Ouagadougou, sous le thème : « Le juge au sens de l’article 124 de la Constitution ». La rencontre, placée sous le très haut patronage du président du Faso, président du Conseil supérieur de la magistrature, Blaise Compaoré, a également clos l’année judicaire 2012-2013.
Après trois mois de vacances, les membres des différents corps et corporations de la grande famille judiciaire burkinabè sont d’aplomb pour affronter les différents dossiers à eux soumis. En effet, le traditionnel rituel de rentrée judiciaire s’est déroulé le mardi 1er octobre 2013 à Ouagadougou, sous le thème : « Le juge au sens de l’article 124 de la Constitution ». Il était placé sous le très haut patronage du président du Faso, président du Conseil supérieur de la magistrature, Blaise Compaoré.
La Cour des comptes a assuré cette année, la présidence tournante conjointe pour les hautes juridictions. Le thème à l’ordre du jour a été présenté par le magistrat Badou Emile Toé, procureur général près la Cour des comptes. De son exposé, il ressort qu’aux termes de l’article 124 de la Constitution, « le pouvoir judiciaire est confié aux juges » et qu’il est exercé sur tout le territoire du Burkina Faso par les juridictions de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif déterminées par la loi ». Néanmoins, il a fait savoir que bien que le sens et la portée du terme « juridiction » soient accessibles à tous, cela n’est pas le cas du concept
« juge » dont la signification et la réalité sont plus complexes.
A cet effet, a-t-il affirmé, le besoin de justice des populations du point de vue historique du « pays des Hommes intègres », a toujours été satisfait par des juges professionnels et non professionnels associés.
« Professionnels ou non, les juges sont des (hommes et femmes) personnes physiques. Mais, le terme juges désigne également les structures, les personnes morales qui exercent le pouvoir judiciaire et que la Constitution vise sous l’appellation de juridiction », a-t-il expliqué.
« Tous les juges ne sont pas des magistrats… »
A entendre le magistrat Toé, de l’article 124 de la loi fondamentale, il résulte, entre autres, que seules des juridiction peuvent prétendre exercer le pouvoir judiciaire et qu’elles doivent appartenir à l’un ou l’autre des deux groupes juridictionnels que constituent l’ordre judiciaire et celui administratif. En conséquence, de son avis, sont exclus du cercle des juridictions, le Conseil supérieur de la magistrature, la Haute Cour de justice, le Conseil constitutionnel, toutes les formations collégiales ou unipersonnelles, coutumières ou religieuses, civiles ou militaires. Par contre, il a soutenu que sont affectés à l’ordre judiciaire, la Cour de cassation qui en est la juridiction supérieure, les Cours d’appel, les Tribunaux de grande instance, ceux pour enfants, ceux d’arrondissement, etc.
Parmi les juridictions de l’ordre administratif, a indiqué le magistrat, il y a le Conseil d’Etat, la Cour des Comptes… « En réalité, seul le Conseil d’Etat est à même de jouir des prérogatives du supérieur (…). La Cour des Comptes est laissée-pour-compte », a-t-il relevé. De ce fait, il a déclaré que dans la perspective d’une réforme législative, il conviendrait, par exemple, de l’élever au rang d’institution supérieure de contrôle (ISC), indépendante, jouissant de toutes autonomies (financière, administrative…), incluant le pouvoir de recruter et de former son propre personnel, sans lien de rattachement à aucun ordre de juridiction.
Pour le magistrat Toé, le fait que l’entendement commun pense que le terme juge évoque, a priori, celui de magistrat, est une méprise et une erreur collective qu’il faut empêcher. « Les magistrats sont des agents publics de l’Etat, membres d’un corps professionnel régi par un statut particulier. Certes, il est des magistrats juges (juges professionnels), mais tous n’ont pas qualité de juges. A l’inverse, tous les juges ne sont pas des magistrats, etc. », a-t-il souligné. En ce qui concerne l’indépendance appliquée à la magistrature ou au pouvoir judiciaire global, il a estimé qu’elle « a fait couler beaucoup d’encre et de salive ».
« Le pouvoir judiciaire est incompatible avec la corruption... »
En outre, il a noté qu’elle peut être exercée par le magistrat du siège qui le désire, sous garantie constitutionnelle du président du Faso. A sa suite, le bâtonnier de l’Ordre des avocats du Burkina Faso, Me Mamadou Traoré, a remercié l’ensemble des juridictions supérieures du Burkina Faso d’avoir associé le barreau à l’audience solennelle de la rentrée judiciaire 2013-2014. De son analyse de l’article 124 de la loi fondamentale, il a signalé que la justice est un pouvoir au même type que le législatif et l’exécutif et non une autorité. « Le pouvoir judiciaire est au cœur de l’Etat de droit et il constitue le thermomètre de la démocratie. Cependant, force est de constater la méfiance naturelle du pouvoir politique à l’égard de celui judiciaire », a-t-il évoqué.
Me Traoré a expliqué ce rapport dialectique par le fait qu’en démocratie, la détention du pouvoir procède toujours du suffrage universel, alors que le juge n’est point élu, même si la Constitution légitime le pouvoir judiciaire. Il a signifié qu’aujourd’hui, à tort ou à raison, la Justice burkinabè est créditée de maux divers et se trouve quotidiennement et violemment pris à parti, soupçonnée de partialité, de corruption et de négligence.
« Cette situation conduit certains citoyens à une justice de rue, privée, inacceptable et intolérable. Le pouvoir judiciaire est incompatible avec la corruption. Le juge doit être indépendant du politique. Il doit aussi être transparent, au-dessus de tout soupçon et de tout reproche », a-t-il martelé.
Le ministre en charge de la Justice, par ailleurs vice-président du Conseil supérieur de la magistrature, Dramane Yaméogo, a indiqué que la dévolution du pouvoir judiciaire au juge lui impose l’obligation d’assumer les actes qu’il accomplit dans l’exercice de ses fonctions. « Cette responsabilité revêt une importance capitale, en ce sens qu’il bénéficie d’une présomption d’intégrité, de dignité et de loyauté vis-à-vis du peuple », a-t-il relaté. Tout cela, a-t-il dit, conforte le citoyen en général et le justiciable en particulier, à exiger du magistrat qu’il soit du siège ou du parquet, à un être quelqu’un à qui on peut se confier. Selon lui, le jugement négatif que porte la population sur le juge ne concerne heureusement qu’une infirme partie des magistrats. « Si le juge est si mal compris aujourd’hui, cela tient vraisemblablement au fait que, soit les décisions qu’il aura rendues ne correspondent, ni en droit ni en fait, aux attentes légitimes des citoyens, conscients que leurs droits n’ont pas été respectés… », a précisé le ministre Yaméogo.
Le président de la Cour des comptes, Noumoutié Herbert Traoré, a observé que la justice doit être l’affaire de tous. En plus, il a appelé les juges à exercer leur métier, tout en ayant à cœur d’accomplir leur devoir qui est celui de rendre justice. M. Traoré d’ajouter :
« une société qui maîtrise ses juges et sa Justice tend à se décomposer ». De même, il a confié que le juge doit inspirer confiance et être pour chacun des citoyens, un recours.
« L’institution judiciaire doit être un mémoire fidèle de notre société et elle doit retrouver son rang », a-t-il fait remarquer.
A la fin de la cérémonie, le chef de l’Etat, Blaise Compaoré, a déclaré avoir participé à une séance éducative. Il a insisté sur le fait que l’appareil judiciaire est une machine complexe. « Nous devons continuer de réfléchir sur comment donner plus de capacité à la Justice car juger n’a jamais été facile, que ce soit au Burkina Faso ou ailleurs. Les justiciables doivent toujours être aux côtés des juges », a-t-il émis, comme vœu.