Face à la montée graduelle de la tension depuis que la CGT-B a annoncé son meeting à la Bourse du travail, pour le 31 octobre, le président de la délégation spéciale de Ouagadougou a demandé aux organisateurs de surseoir à la manifestation en raison des ‘’risques réels d’infiltration et d’accentuation de la fracture sociale’’, au moment où le ‘’contexte sécuritaire national mobilise l’essentiel des Forces de défense et de sécurité sur le théâtre des opérations.’’ Cet exposé des motifs a poussé le collectif syndical ainsi que les autres organisations de la société civile partenaires, à reporter sine die ce meeting de tous les dangers, malgré les incohérences relevées dans les arguments du maire supposé être sans étiquette politique. En tout état de cause, les Ouagavillois peuvent pousser un ouf de soulagement après cette désescalade, d’autant que des partisans zélés du régime avaient promis, avec des menaces dans la bouche et des machettes en main, d’empêcher le complot contre la transition, maquillé en revendications sociales, ourdi par la CGTB et ses alliés naturels dont les extrémistes se disaient prêts à faire pire que Talion, car ce serait ‘’les deux yeux pour un œil, et toute la mandibule pour une dent’’ au cas où ils venaient à être agressés. Même si ceux qui voulaient se réunir le 31 octobre pour dénoncer la vie chère, entre autres, n’excluent pas de remettre le couvert le cas échéant, il faut se féliciter de leur décision de jouer balle à terre comme on dit, après avoir pris sans doute la mesure des risques de débordements, mais aussi de boycott de la manifestation par leurs propres sympathisants qui pourraient trouver ce meeting inopportun dans ce contexte où le pays est dans une situation difficile.
On ne peut que regretter la remise en cause de pas mal de dispositions de la Constitution
Bref, Ouagadougou ne sera donc pas le théâtre d’actes de violence en ce jour du 31 octobre hautement chargé de symboles, qui est dédié chaque année à la commémoration de nos compatriotes qui ont sacrifié leur vie afin que le Burkina Faso soit un pays où la démocratie est une réalité incontournable. Comme chacun le sait, l’insurrection populaire est survenue il y a neuf ans. Cette journée compte parmi les jours fériés, chômés et payés, par devoir de mémoire aux martyrs qui sont tombés les 30 et 31 octobre 2014, suite aux échauffourées et aux émeutes qui ont affolé la garde prétorienne du président d’alors, Blaise Compaoré, qui a réprimé dans le sang, les manifestants, abandonnant ainsi sur le macadam, 24 morts et 625 blessés, selon le bilan officiel. Cette date ne marquait pas seulement la fin des illusions du président Compaoré qui espérait enjamber le mur de la Constitution pour s’octroyer un énième mandat. Mais elle symbolisait aussi et surtout le début d’une nouvelle ère démocratique dans ce pays où désormais si tu prends des libertés avec la loi fondamentale, ‘’fo nan pama yellé’’ (tu vas avoir des problèmes en langue mooré). C’est vrai qu’en 2014, il n’a fallu, pour ainsi dire, que quelques jours d’embrasement pour que l’insatiable Blaise Compaoré entende la voix de la raison en rendant le tablier. Mais est-ce qu’un nouveau Burkina Faso est pour autant sorti de terre, avec une démocratie durablement enracinée, un respect strict des libertés individuelles et collectives et une gestion saine des ressources publiques ? Le pays des Hommes intègres se porte-t-il mieux, neuf ans après avoir payé ce lourd tribut à la démocratie ? Rien n’est moins sûr, surtout quand on sait que depuis que ces vies ont été fauchées à la kalachnikov, et à la fleur de l’âge, beaucoup de choses dans beaucoup de domaines sont allées de Charybde en Scylla, au point que certains de nos compatriotes n’hésitent pas à considérer la commémoration de la journée du 31-Octobre comme un simple show mediatico-politique qui trahit, de façon flagrante, les idéaux pour lesquels les ‘’victimes expiatoires’’ ont accepté le sacrifice suprême. D’ailleurs, on ignore jusqu’à présent les circonstances de la mort violente de ces insurgés, s’ils ont été tués avant ou après le départ forcé de Blaise Compaoré du pouvoir, et qui en sont les auteurs. La Justice n’a pas encore trouvé de réponses à toutes ces questions, et on finit par oublier que la meilleure manière de rendre hommage à ces victimes, c’est d’abord de leur rendre justice. On espère que le dossier sera bientôt jugé. Mais en attendant, on ne peut que regretter la remise en cause de pas mal de dispositions de la Constitution pour laquelle ces martyrs qu’on célèbre, se sont battus jusqu’à y perdre la vie.
De nombreux acquis ont été vendangés par la suite
C’est vrai que cette insurrection populaire a permis une éclaircie démocratique avec l’élection dans les urnes, du premier président civil de l’histoire du pays, en 2015. Mais malheureusement, la parenthèse s’est refermée. De nombreux acquis de cette insurrection ont été, en effet, vendangés par la suite, et de nombreuses pratiques attentatoires à la liberté et à la démocratie ont repris cours, parfois même de manière plus pernicieuse qu’avant. L’alibi de la lutte contre le terrorisme brandi depuis 2016, pour saccager les espoirs suscités par le soulèvement populaire de 2014, a malheureusement fait recette dans un contexte où la majorité de la population ne sait plus où donner de la tête face à la misère et à l’insécurité. Résultats des courses : deux coups d’Etat en quelques mois ; ce qui est synonyme d’un reflux démocratique et d’un recul certain sur le plan des libertés que les Burkinabè pensaient avoir acquises une bonne fois pour toutes. A la décharge des dirigeants qui ont dû prendre des mesures liberticides, il faut reconnaître qu’ils n’ont pas la marge de manœuvre de leurs devanciers de la Transition de 2014, d’autant qu’avec l’occupation d’une bonne partie du territoire, c’est la survie même du Burkina en tant qu’Etat, qui est jeu et qui nécessite des mesures exceptionnelles et des sacrifices dans tous les domaines. Mais attention à ne pas prendre trop de libertés avec les droits des citoyens au point d’amener ces derniers à se braquer contre les gouvernants, avec les risques d’affaiblir l’Etat et d’offrir ipso facto aux terroristes, des victoires qu’ils ne peuvent pas avoir par eux-mêmes.