Le 20 octobre de chaque année, et ce depuis plus de deux décennies, le Burkina Faso commémore la journée nationale de la liberté de la presse. Cette année, l’événement est célébré dans un contexte particulier de transition politique sur fond de crise sécuritaire ayant conduit à la suspension de médias internationaux comme RFI, France24, TV5, LCI, Jeune Afrique. Sur le plan national, la même mesure de suspension a frappé Radio Omega qui est restée muette pendant un mois, du 10 août au 10 septembre 2023, avant d’être autorisée à reprendre la diffusion de ses émissions. C’est dire si la commémoration de cette journée nationale 2023 de la liberté de la presse au Burkina Faso, qui tombe en pleine célébration de la dixième édition du Festival international de la liberté de la presse (FILEP), intervient dans un contexte difficile pour le 4e pouvoir qui a le sentiment d’une réduction de ses espaces de liberté et qui nourrit de sérieuses inquiétudes pour l’avenir de la profession au pays des Hommes intègres. Autant dire que l’environnement est si austère qu’il mérite que les autorités soient interpellées. Pour autant, le tableau de la situation est loin d’être totalement noir.
il faut craindre que les petites lueurs ne se noient dans la masse obscure des menaces qui planent sur la profession
Car, entre craintes et espoirs, la liberté de la presse a ses bons et ses mauvais points au Burkina Faso. Et il faut reconnaître que malgré la chape de plomb qui semble s’abattre sur la presse en général, le Burkina Faso peut se féliciter de ne pas figurer, pour l’année écoulée, au sombre palmarès des pays qui se distinguent par les tortures et autres assassinats de journaliste, ou les détentions arbitraires. Et il convient d’encourager les autorités du pays à ne pas arriver à de telles extrémités. Malheureusement, à côté de ces bons points, il faut craindre que ces petites lueurs ne se noient dans la masse obscure des menaces qui planent sur la profession et qui consacrent le recul de la liberté de presse au pays des Hommes intègres depuis quelques années maintenant. En tout cas, le temps où avec son 36e rang mondial sur 180, le Burkina Faso caracolait en tête du classement des pays francophones en matière de liberté de la presse en Afrique, semble bien révolu. C’était en 2019. Depuis lors, le pays ne cesse de dégringoler dans le classement mondial, passant de la 37e place en 2021, et la 41e en 2022, pour occuper en 2023, la 58e place au dernier classement de Reporters sans frontières. Et Dieu seul sait ce qu’il en sera du classement 2024. Car, la réalité est qu’à côté de l’épée de Damoclès de la suspension qui plane désormais sur la tête des médias, le journaliste vit aujourd’hui dans la peur au Burkina Faso. Peur du lynchage sur les réseaux sociaux tendant à le livrer à la vindicte populaire, peur des menaces de mort proférés parfois à visage découvert par des soutiens du pouvoir, peur d’être classé au rang des ennemis de la Nation pour des opinions jugées trop critiques à l’endroit du pouvoir. Et puis, last but no least, il y a ce projet de loi concernant le Conseil supérieur de la communication (CSC), qui cristallise les attentions des professionnels des médias qui y voient « une négation totale du régime de la liberté de presse ».
il est dans l’intérêt même du pays qu’un modus vivendi soit trouvé
Et ce, en raison, entre autres, du changement du mode de désignation du président de cet organe de régulation des médias. Au terme d’un projet de loi adopté le 4 octobre dernier en Conseil des ministres et qui attend de passer devant la Représentation nationale, le chef de l’Etat pourra désormais nommer par décret, le président du CSC, alors que ce dernier était jusque-là élu par ses pairs conseillers. De là à voir dans ces nouveaux changements entrepris par le gouvernement de transition, une « volonté de se substituer au régulateur ou de placer le CSC sous son autorité », il y a un pas que des professionnels des médias ont vite franchi à travers une conférence de presse tenue dès le lendemain. C’est dire toute l’inquiétude par rapport à l’avenir de la profession dans un contexte où la lutte contre le terrorisme n’est pas loin de justifier bien des mesures drastiques, quand elle ne paraît pas un argument tout trouvé pour museler les voix discordantes. Toujours est-il que c’est une situation qui pose toute la difficulté de l’exercice de la profession de journaliste en période de guerre. Et qui en appelle aussi à la responsabilité sociale du journaliste en même temps qu’elle interpelle les journalistes dans leur ensemble, à davantage de professionnalisme en cette période particulièrement sensible où il faut éviter de jouer le jeu de l’ennemi. Cela va de pair avec la nécessité d’assainir le milieu de la presse pour éviter que la grande masse des médias qui se veulent professionnels, ne pâtisse des turpitudes de quelques brebis galeuses. En tout état de cause, en cette période charnière de l’évolution du pays où la presse reste jalouse de sa liberté de ton, il est dans l’intérêt même du pays qu’un modus vivendi soit trouvé pour le bon déroulement de la transition. Car, à y regarder de près, les intérêts sont loin d’être divergents. L’une, la presse, agit au nom du droit du peuple à l’information et l’autre, la transition en place, au nom de la sécurité de ce peuple. C’est dire si les Burkinabè ne doivent pas se tromper d’ennemi.