Le Tribunal de grande instance Ouaga I a poursuivi le jugement du dossier « Charbon fin », le lundi 9 octobre 2023. Le contenu des cargaisons censées contenir les « corps solides » a été dévoilé au public. A l’audience, l’Etat burkinabè a également revendiqué plus de 200 milliards FCFA de préjudices.
Décidé le vendredi 6 octobre 2023 par le Tribunal, le dévoilement du contenu des cargaisons, susceptibles de contenir les « corps solides » issus de l’échantillonnage du « charbon fin », a été effectif à l’audience du lundi 9 octobre 2023, au Tribunal de grande instance Ouaga I (TGI Ouaga I).
Aux yeux de toutes les parties et des prévenus accusés de faits de fraude en matière de commercialisation d’or et d’autres substances précieuses, d’exportation illégale de déchets dangereux, de blanchiment de capitaux, de faux en écriture privée de commerce, d’usage de faux en écriture privée de commerce, deux caisses constituées d’il y a deux ans, scellées et cadenassés, ont été ouvertes. Mais avant, le Tribunal a voulu savoir si leur ouverture ne comporterait pas de risques pour ceux qui en sont chargés et le public dans la salle d’audience.
A cette préoccupation, les experts commis à l’expertise, Moussa Gomina et Joël Ilboudo, ont répondu par la négative. Et le Tribunal d’autoriser une suspension de près d’un quart d’heure dans le dessein de permettre à ceux qui vont manipuler les conteneurs (experts, huissier de justice, techniciens du BUMIGEB et de Bolloré) de se protéger. Puis, le Tribunal a ordonné d’ouvrir de façon matérielle les caisses pour découvrir le contenu après les mesures de protection prises.
Des constatations et des prises de vue consenties par le Tribunal, il est ressorti, selon l’huissier de justice, que les conteneurs contiennent des « corps solides » dans des sachets plastiques et des sacs appelés « Boro ». « Au toucher du contenu, ce sont des corps solides, sous forme de minerais, qu’on constate », a- t-il ajouté. Mais, face à cette déclaration, le Tribunal a invité l’huissier à utiliser des termes neutres au lieu de « minerai », à cette étape du procès où on parle de « corps solides ».
Pour les techniciens de Iamgold Essakane SA, les « corps solides » sont des scories (dérivés de charbon fin) et des briques réfractaires pour maintenir la température dans l’incinérateur de « charbon fin ». En effet, selon les explications des responsables d’Essakane, entre 2015 et 2016, la mine exportait le charbon fin sans traitement par manque d’incinérateur.
Mais, à partir de 2016, elle s’est dotée d’un incinérateur de « charbon fin » qui, malheureusement, a eu des dysfonctionnements d’où les corps solides obtenus et conservés jusqu’en 2018 pour l’exportation en vue d’en extraire l’or. « En 2016, nous avons détecté des défaillances qui posaient des problèmes de santé et de sécurité pour les travailleurs. Mais, depuis 2018, l’incinérateur est fonctionnel », a appuyé le directeur général d’Essakane, Tidiane Barry.
Dans ces genres de cargaisons, peut-on retrouver ces éléments ? Face à cette question du Tribunal, les techniciens d’Essakane ont répondu par l’affirmative. Pour les experts, à la description géologique à la loupe et à l’œil nu, ces corps solides ne ressemblaient pas aux autres éléments de « charbon fin », d’où leur isolement. Ils ont également soutenu qu’ils ont découvert les « corps solides » dispersés dans les conteneurs. Le deuxième conteneur dévoilé contient des éléments présentant des grains d’or visibles à l’œil, aux dires de l’huissier. Le mandataire du REN-LAC, Richard Tiendrebeogo, a été autorisé à s’approcher pour faire cette constatation.
« A quand la fin du procès ? »
Auparavant, le Tribunal a instruit l’huissier de montrer au public dans la salle d’audience, le contenu des sachets pourvus des éléments de « corps solides ». A la fin des constats, les experts ont expliqué qu’il n’y a pas de lingots d’or mais des résidus en contact avec l’or. Le ministère public, à ce propos, a répliqué que si les experts font cette affirmation avant l’analyse des « corps solides », il prend acte de leur proximité avec les autres parties et en tirera les conséquences.
Toutefois, le ministère public a été favorable pour la poursuite de l’expertise sur les « corps solides ». Le Tribunal, après ces débats « nourris » sur les caisses de « corps solides », a donné l’ordre de les sceller. Place a été donnée aux différentes réactions sur ces discussions. Ainsi, l’agent judiciaire de l’Etat a d’abord rappelé que dans ce procès, le préjudice causé à l’Etat est évalué à plus de 200 milliards FCFA.
« A quand la fin de ce procès car des voies de recours vont s’offrir ? », s’est-il ensuite interrogé. L’Etat burkinabè est dans l’impérieuse nécessité de requérir des mesures conservatoires car les sociétés mises en cause sont étrangères, à l’image d’Essakane détenue à 90% par une entreprise étrangère, a fait enfin savoir l’avocat de l’Etat. Il a, de ce fait, demandé au Tribunal de prémunir l’Etat burkinabè contre une éventuelle liquidation d’Essakane, de saisir l’or et les avoirs ainsi que les biens meubles d’Essakane et de Bolloré devenue « Africa global logistic (AGL) ».
Pour le conseil du REN-LAC, Me Prosper Farama, s’agissant des 132 kilogrammes de « corps solides » restants sur les 440 tonnes déjà expertisées, le REN-LAC ne s’oppose pas à la manifestation de la vérité, donc à l’expertise des « corps solides ». A entendre l’avocat de la défense, Me Moumouni Kopioh, c’est une satisfaction de voir aujourd’hui que pratiquement toutes les parties accordent leurs violons par rapport à la poursuite de l’expertise.
Il a, à cet effet, salué l’attitude du parquet qui s’est dit favorable à l’analyse des « corps solides ». Mais, devant la requête de l’Etat, il a estimé que c’est la volonté de faire condamner Essakane sans preuve. En général, pour la défense, la présomption d’innocence de leurs clients a été sérieusement bafouée et l’Etat est allé trop vite en besogne. Pour les avocats de la défense, le Tribunal est incompétent pour ordonner la mise en œuvre des mesures dont a parlé l’agent judiciaire de l’Etat et l’expertise doit aller à son terme conformément aux règles de droit.
Toutefois, l’agent judiciaire de l’Etat a rétorqué que le Tribunal est bien et bel compétent concernant les mesures conservatoires et non pénales dont évoque la défense. Par conséquent, il a déclaré que l’exception d’irrecevabilité prônée par la défense est irrecevable et celle d’incompétence, mal fondée et irrecevable en elle-même. Quant à la défense, il n’y a pas de base légale dont se fondent les mesures conservatoires brandies par l’avocat de l’Etat.
A l’issue d’une suspension de 15 minutes, le Tribunal est revenu à la charge pour mettre en délibéré le dossier, à la date de demain 11 octobre 2023, en vue de statuer sur l’opportunité de traitement des « corps solides », la requête de l’Etat et la désignation d’un juge superviseur.