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Dr Yves Kafando, coordonnateur national de la CNLF: « La fraude porte un coup dur à la reconquête rapide du territoire »

Publié le lundi 9 octobre 2023  |  Sidwaya
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© Autre presse par DR
La Coordination nationale de Lutte contre la Fraude (CNLF)
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Dr Yves Kafando est le coordonnateur de la Coordination nationale de lutte contre la fraude (CNLF). Dans cet entretien accordé au « journal de tous les Burkinabè », Sidwaya, il revient sur l’ampleur de la fraude en général, la fraude sur la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA), les stratégies des fraudeurs, l’impact négatif du phénomène sur le développement socioéconomique et la lutte contre le terrorisme. Dr Kafando évoque également la question de la nationalité des entreprises impliquées dans ces malversations et l’engagement de son institution à traquer les fraudeurs où qu’ils se trouvent.

Sidwaya (S) : Quel est le rôle de la Coordination nationale de lutte contre la fraude (CNLF) dans l’assainissement du climat des affaires au Burkina Faso ?

Dr Yves Kafando (Y. K .) : Notre structure bénéficie du pouvoir de contrôle dévolu à la Direction générale des impôts, à la Direction générale des douanes, à la Direction nationale du cadre paramilitaire des Eaux et forêts, et la Brigade mobile de contrôle économique et de la répression de la fraude (BMCRF). A ce titre, nous constatons les cas de fraude mis à jour à l’occasion de nos contrôles et notre rôle est de poursuivre le dénouement par la voie transactionnelle ou devant les tribunaux, d’organiser et animer les réflexions sur la fraude et tout cela vise à assainir le climat des affaires afin que l’économie de notre pays se porte mieux.

S : Quel est l’impact de la fraude sur le développement socioéconomique d’un pays comme le Burkina Faso, qui est surtout en crise ?

Y. K. : L’impact de la fraude est extrêmement dommageable pour un pays comme le Burkina Faso qui, au regard de la crise sécuritaire, a besoin de suffisamment de ressources pour lutter contre le terrorisme et restaurer l’intégrité de notre territoire. La fraude, qu’elle soit douanière, fiscale, environnementale ou économique, est un frein au développement. Notre Etat ne pourra pas faire face aux multiples besoins et préoccupations des populations si ses sources de financement sont entravées par la fraude. C’est dire que la fraude est une gangrène pour l’économie d’un pays, elle fausse les règles de la concurrence et asphyxie le développement socio-économique du pays qui peinera à trouver des ressources pour faire face aux défis majeurs. Pour la lutte contre la fraude et les fraudeurs, la CNLF entend jouer pleinement sa partition.

S : Vous avez animé une conférence de presse relative à la fraude sur la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) au Burkina Faso, le 02 octobre 2023. Quelle est l’ampleur de cette fraude fiscale sur la TVA.

Y. K. : Effectivement le lundi 02 octobre dernier, nous avons animé un point de presse sur des pratiques de fraude qui se rapportent à la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui est une fraude fiscale. Ce sont des entreprises qui mettent en place un système de fraude difficile à détecter à l’œil nu. D’une part, vous avez une entreprise dite TAXI qui dispose d’un numéro IFU et d’un registre de commerce mais qui en réalité n’a aucune activité, et d’autre part, un ensemble d’entreprises qui sollicitent de l’entreprise TAXI des factures pour leur permettre de déduire la TVA. Ces entreprises qui ont bénéficié des factures de l’entreprise TAXI vont faire leurs déclarations à la Direction générale des impôts en déduisant fictivement la TVA sur celle qu’elles ont collectée. D’où un manque à gagner pour le Trésor public. Les sommes déduites sont souvent astronomiques, voire des centaines de millions. L’autre facette de la fraude à la TVA est constatée à travers l’utilisation frauduleuse du numéro IFU. C’est une pratique qui a cours aujourd’hui et qui permet à des entreprises de donner leur numéro IFU à d’autres entreprises pour l’utiliser lors de leurs opérations moyennant des commissions. Il est important de préciser que cette fraude à la TVA porte sur un montant de deux milliards cinq cent soixante-trois millions sept cent trente-sept mille huit cent dix-sept francs CFA (2 563 737 817 F CFA). Les mis en cause ont choisi l’option transactionnelle pour terminer le litige qui les oppose à l’Etat, ce qui suppose qu’ils remboursent la TVA injustement déduite et le paiement des pénalités et des amendes. Nous avons déjà pu recouvrer trois cent quatre-vingt-dix-huit millions six cent seize mille neuf cent vingt-neuf francs CFA (398 616 929 F CFA), ce chiffre a évolué depuis la date de la tenue du point de presse.

S : Une centaine d’entreprises sont épinglées dans cette affaire de fraude sur la TVA. Qui sont-elles ou qui se cache derrière ces sociétés-écrans ?

Y. K. : C’est exact, au cours de notre point de presse le lundi 02 octobre dernier, nous avons avancé que l’opération de fraude à la TVA concernait une centaine d’entreprises. Ces entreprises sont régulièrement créées et installées sur le territoire national. Elles exercent leurs activités et c’est dans la déclaration de la TVA à reverser qu’elles font de fausses déclarations afin de ne pas reverser la totalité de la taxe normalement due à l’Etat. Derrière ces entreprises se trouvent des personnes physiques comme vous et moi.

S : Des entreprises étrangères sont-elles impliquées dans ces malversations sur la TVA ?

Y. K. : Pour l’instant, aucune entreprise étrangère n’est impliquée dans la fraude à la TVA qui a été décelée. Toutefois, la CNLF poursuit ses investigations et si une entreprise étrangère venait à être épinglée, elle sera traitée conformément à la réglementation en vigueur.

S : Les fraudeurs ne bénéficient-ils pas de complicités au sein de l’administration publique (fiscale, douanière…) ?

Y. K. : Le dossier que nous avons en charge actuellement ne révèle pas pour l’instant des complicités d’agents publics, puisse que le principal auteur de cette fraude n’a pas encore cité des agents publics incriminés lors de ses auditions. Mais je puis vous rassurer que si tel est le cas, la coordination n’a aucune compétence de transiger avec un agent de l’administration publique. Ils répondront de leur forfait devant les juridictions.

S : Quel est le sort réservé aux personnes impliquées dans cette fraude à la TVA ?

Y. K. : Les personnes impliquées dans cette fraude à la TVA reçoivent deux options au choix : la première est la voie transactionnelle de rembourser les montants injustement pris à l’Etat et le paiement des pénalités qui peut aller du simple au double des montants dus. Lorsque la voie transactionnelle ne peut pas aboutir, la deuxième option s’invite à la table : il s’agit de la voie judiciaire. Nous portons donc le dossier devant les tribunaux pour suite à donner.

S : Y a-t-il des secteurs d’activités où la fraude à la TVA est plus poussée ?

Y. K. : Tous les secteurs d’activités sont concernés par la fraude à la TVA. La TVA étant un impôt sur la consommation, elle s’applique à tous les secteurs d’activités à quelques exceptions près. Ce qu’il faut davantage prendre en compte, c’est le profil des fraudeurs parce que malgré les mesures prises par la DGI pour minimiser les cas de fraude à la TVA, le phénomène persiste.

S : Au-delà de la fraude sur la TVA, il y a bien d’autres infractions fiscales comme l’évasion fiscale, pratiquée généralement par les multinationales. Quelle est la réalité de ce phénomène au Burkina Faso ? et qu’est-ce qui est fait par la CNLF à ce niveau ?

Y. K. : La CNLF ne s’est pas encore saisie d’un dossier portant sur l’évasion fiscale bien qu’elle est consciente que le phénomène existe. Toutefois, les structures comme la DGI ont mis l’accent sur la lutte contre l’évasion fiscale et des réformes sont faites dans ce sens.

S : Sans dévoiler vos secrets, pour ne pas dire vos armes, comment la CNLF s’y prend-elle pour dénicher ces pratiques frauduleuses qui sont complexes, techniques, à la différence par exemple de la fraude sur l’or, les denrées alimentaires, les pneus, etc. qui est physique, plus tangible ?

Y. K .: Rire…aucune fraude n’est facile à dénicher. La CNLF n’a pas de secret. Vous savez, le premier vecteur de lutte contre la fraude c’est la population. La CNLF est le bras policier, le bras technique. Nous sommes en parfaite harmonie avec la population qui nous facilite le travail. A côté de cette population, il y a des hommes et des femmes qui croient au projet et à la dynamique actuelle de la CNLF. Au passage, je les félicite pour leur professionnalisme et leur dévouement bien appréciable.

S : Pour traquer cette fraude fiscale, certainement la CNLF travaille en tandem avec plusieurs structures, notamment le fisc. Quel est le niveau de collaboration avec la Direction générale des impoôts (DGI) par exemple ?

Y. K. : La CNLF est une structure qui compte en son sein des représentants de plusieurs autres structures, à savoir la Douane, la DGI, les ministères du Commerce, de l’Environnement, la Police nationale et la Gendarmerie nationale. Ces représentants sont de véritables relais entre la CNLF et leurs structures d’origine. En plus, la CNLF entretient de très bonnes relations avec chacune de ces structures. Le coordonnateur que je suis a fait le tour de ces structures dès ma prise de fonction afin de booster la collaboration qui existait déjà. Dans le cadre de la lutte contre la fraude, la CNLF travaille en synergie d’actions avec l’ensemble des structures partenaires. C’est notamment le cas pour la DGI avec le dossier de la fraude sur la TVA où des recettes significatives ont été reversées au niveau des régies.

S : Le Burkina Faso est un pays minier et la fraude de l’or semble prendre de l’ampleur, surtout de ce contexte de crise sécuritaire ! Qu’en est-il réellement ?

Y. K. : Sur cette question, il est plus indiqué de s’adresser à la Brigade nationale anti-fraude de l’or (BNAF). S : Quelle est la cartographie de la fraude au Burkina Faso ? Y.K. :Une cartographie de la fraude au Burkina n’est pas encore disponible. Elle pourra voir le jour dans le cadre de l’élaboration et la mise en œuvre de la stratégie globale de lutte contre la fraude. C’est un travail assez important qui nécessite que tous les acteurs intervenant dans la lutte contre la fraude mènent ensemble la réflexion.

S : Pouvez-vous revenir sur les grands acquis de la CNLF en matière de lutte contre la fraude au Burkina Faso ?

Y. K. : En termes d’acquis, il n’y a pas eu beaucoup mais nous pouvons citer quelques opérations qui, à notre avis, ont été bien accueillies par la population. Le 22 février 2023, nous avons saisi 750 poulets impropres à la consommation humaine ; dans la nuit du 08 au 09 avril 2023, nous avons saisi plus de 10 tonnes de poulets impropres à la consommation humaine qui étaient en train d’être convoyées à Ouagadougou dans 13 véhicules de transport de personnes ; le 18 avril 2023, plus de 400 bouteilles de gaz ont été saisies dans une opération de conditionnement et reconditionnement des bouteilles qui restent la propriété exclusive de la SONABHY ; le 21 avril 2023, 45 tonnes de produits prohibés et de produits impropres à la consommation d’une valeur de plus de 700 millions ont été incinérées (des amphétamines, de la cigarette, des consommables biomédicaux, de la farine de blé, etc. ; le 11 mai 2023 en plein cœur de Ouagadougou, nous avons procédé à une importante saisie de marchandises prohibées d’une valeur de plus de 200 millions FCFA (cigarettes, piles et amphétamines) ; le 07 juin 2023, dans le quartier Kilwin de la ville de Ouagadougou, nous avons saisi des amphétamines de plus de 20 millions de valeur ; le 23 juin 2023, nous avons présenté à la presse une pratique d’estampillage sur les sacs d’engrais visant à tromper les consommateurs ; et le 02 octobre 2023, nous avons présenté aux hommes et femmes de médias le démantèlement d’un vaste réseau de fraude sur la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

S : Pour réussir la lutte contre la fraude, l’implication des populations semble nécessaire. A propos, avez-vous un message à lancer à ces populations burkinabè ?

Y. K. : Aujourd’hui, nous traversons l’une des crises les plus graves de notre histoire. Et chacun de nous devrait apporter sa pierre à la construction de l’édifice commun. Les forces combattantes se battent pour la reconquête du territoire. Cette reconquête du territoire a un coût qu’il faut supporter. Ce qui exige une mobilisation de ressources conséquentes. C’est pourquoi nous demandons aux entreprises et aux individus qui s’adonnent ou qui aspirent à cette pratique d’abandonner la fraude car les actions portent un coup dur aux finances publiques et par conséquent, à la reconquête rapide de notre territoire. Cet engagement nous fait dire que même si les ressources de l’Etat se retrouvent frauduleusement dans la gueule d’un lion, la CNLF ira les chercher. Inéluctablement, c’est ensemble que nous allons restaurer notre pays sur les plans sécuritaire et de la gouvernance économique et financière.

Mahamadi SEBOGO
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