Séma Blegné, SG du SNEAB à propos du transfert du préscolaire et du post-primaire au MENA : «Il nous faut ce continuum, mais pas à n’importe quel prix»
Séma Blegné est le secrétaire général du Syndicat national des enseignants africains du Burkina (SNEAB). Dans cette interview accordée à Sidwaya le vendredi 27 septembre 2013, il parle du transfert du préscolaire et du post-primaire au MENA. Aussi, il évoque les entraves à la mise en œuvre du continuum qui devra garantir l’éducation de la prime enfance.
Sidwaya (S.) : Conformément à la loi d’orientation de l’éducation, l’Etat burkinabè a décidé, pour cette rentrée scolaire, du transfert du préscolaire et du post-primaire au MENA. Quelle appréciation faites-vous de cette mesure gouvernementale ?
Séma Blégné (S. M.) : Le continuum est consacré par la loi d’orientation de l’éducation adoptée en 2007 qui dit que l’éducation de base va de la prime enfance, c’est-à-dire de 6 ans jusqu’à 16 ans. Ors, il se trouve aujourd’hui que les enfants de 16 ans sont en troisième. D’où la nécessité de bâtir ce continuum pour donner la chance à la majorité des enfants du Burkina Faso de pouvoir effectivement achever ce cycle complet. Vu sous cet angle, il n y a rien à dire. Et en tant qu’organisation syndicale, nous dirons que l’Etat n’a pas joué pleinement son rôle, parce que de 1996 pour la première mouture de la loi d’orientation à aujourd’hui, je pense que du chemin a été parcouru, sans qu’on ne puisse opérationnaliser cette option politique. C’est déjà important de dire que le fait de prendre la décision est une bonne chose. Toutefois, la grande interrogation que nous nous faisons, en tant qu’organisation syndicale, c’est est-ce que l’Etat s’est donné toutes les chances de succès d’une telle opération ? Là est la grande question. C’est exactement à ce niveau que les organisations syndicales, dans leur ensemble, ayant été invitées à participer à la construction de ce processus, ont rappelé aux autorités en charge de l’éducation lors de l’atelier de Koudougou, un certain nombre d’observations, d’écueils qu’il faille éviter si nous voulons une mise en œuvre réussie. Et de ces observations, il ressort clairement les grandes questions des infrastructures d’accueil, la question de la gestion des ressources humaines. Mais également, la grande question financière. Voilà, les trois grands pans qui ont été levés et pour lesquels, les réponses qui nous ont été données ne sont pas satisfaisantes pour le moment. Il ne s’agit pas de décréter que les classes de la sixième à la troisième seront rattachées au MENA. Il s’agit de s’assurer d’abord, que nous avons les infrastructures nécessaires pour accueillir ces cohortes étant entendu que les grands lycées aujourd’hui qui ont les deux cycles, devraient être redimensionnés de sorte à ce qu’un établissement comme le lycée Philippe Zinda Kaboré, reste une entité ne s’occupant que du secondaire. Donc, de la seconde à la terminale. Il se trouve aujourd’hui que le lycée Philippe Zinda Kaboré a 17 classes de sixième. Même la question de la progressivité qui a été annoncée nous semble aussi un peu tirée par les cheveux. Comment peut-on rattacher, au sein d’un même établissement, la moitié de l’effectif à un ministère et l’autre moitié à un autre ministère. Il y a là un problème de gestion administrative du personnel qui se pose. On a choisi d’aller dans un premier temps pour le transfert des CEG de village. Même sur ce schéma, il y a un problème, nous pensions qu’il fallait résoudre en amont, les questions d’infrastructures. On pouvait même prendre cinq ans pour se donner les moyens de construire les infrastructures. Et lorsqu’on va décréter ce transfert, on sait déjà où mettre ces élèves. Ors, aujourd’hui, ce n’est pas le cas. L’Etat s’est mis à recenser dans toutes les communes, les magasins, les maisons privées non habitées. En tant qu’organisation syndicale, nous ne pouvons pas nous hasarder à fermer les yeux sur la question de la qualité de l’éducation, dans quelles conditions les élèves et enseignants travailleront. Il est même envisagé des paillotes pour les accueillir. Est-on obligé d’aller à la vitesse «V» ?
S. : En tant que travailleurs de l’éducation, qu’est-ce que cette réforme vous pose comme problèmes ?
S. M. : Des enseignants qui relevaient d’un niveau d’enseignement se retrouvent subitement rattaché à un autre. Il y a cette résistance naturelle qui est là. Ils étaient habitués à un système, ils s’y plaisent le mieux et on leur dit que désormais, ils relèveront de telle autre structure. Cela ne peut se faire sans remous. La seconde chose, c’est qu’il y a plusieurs catégories d’enseignants dans les établissements aujourd’hui. Vous avez des professeurs de lycée qui interviennent dans les CEG comme des professeurs de CEG qui, avec le temps, ont acquis des qualifications professionnels qui leur permettent d’intervenir dans les lycées. Comment vont-ils être gérer ? Un autre problème, c’est le plan de carrière qui sera désormais dévolu à ce personnel du post-primaire. Il y a un manque criard de professeur au niveau de l’enseignement secondaire. Aujourd’hui, en allant vers cette innovation, quels sont les moyens que nous nous sommes donné ? On nous a annoncé le recrutement d’enseignants et la transformation de certains enseignants du primaire détenteurs de diplômes universitaires en professeur. Mais malgré tout, le déficit n’est pas comblé. Ne pouvait-on pas se donner les moyens de résoudre tous ces problèmes avant de se lancer dans la réforme ? Voilà des écueils que nous relevons. Si ces écueils ne sont pas clarifiés, il y a problème. Pour les problèmes liés aux ressources humaines, il y a que dans les CEG de village, dans la nouvelle réorganisation, nous avons des Complexes intégrés d’éducation de base (CIEB) où vous aurez l’ école primaire, une classe du post-primaire dont une sixième et le préscolaire et dans une certaine mesure, l’éducation non formelle. Avec ce grand complexe, ces trois ministères ne sont pas arrivés à nous dire qui va être responsabilisé pour les gérer. Qui a une compétence transversale pour gérer une telle structure ? On nous fait savoir que ce sera des regroupements qui conserveraient l’indépendance des entités. Mais aucune entité ne peut fonctionner de cette façon. Il faut bien que tout le monde réponde de quelqu’un. Comment le préscolaire, le primaire à l’intérieur de ce bloc, peuvent être indépendants ? C’est un problème. L’autre difficulté à ce niveau, c’est lorsque vous n’avez qu’une classe de sixième, dans un CIEB. Les professeurs qui y interviennent auront combien d’heures chacun ? Un professeur de CEG a normalement 22 heures de cours par semaine. Par exemple, si vous êtes un professeur d’anglais, pour intervenir dans une classe d’examen, vous avez au maximum 2 heures. Les 20 heures qui vous reste vous les faites où ? C’est en cela qu’on nous propose de mettre les professeurs à cheval sur plusieurs établissements. Cela constitue une vraie inquiétude pour les organisations syndicales. Imaginez-vous que dans une commune rurale, qu’un professeur soit à cheval sur trois établissements. Il devra donc parcourir des distances avec tous les risques liés au fait de rallier plusieurs villages. Il nous propose une compensation qui a été décidée de façon unilatérale. Cela n’a pas été négocié avec les organisations syndicales. On nous a fait découvrir les compensations à leur donner en fonction du nombre d’établissements supplémentaires que devra couvrir un enseignant. Tout cela ne donne pas de l’assurance aux organisations syndicales pour donner leur caution au système.
S. : Est-ce à dire que cela va poser un problème de gouvernance ?
S. M. : Le découpage actuel n’est pas très bien fait. Le Ministère des enseignements secondaire et supérieur (MESS) se retrouve un peu comme à l’étroit. Et c’est de bonne guerre que les acteurs de ce secteur opposent une résistance. Le ministère se réduit à trois classes du secondaire, plus l’université. Et quand on demandera à ce ministère de décrire tous les postes budgétaires qui étaient liés au post-primaire à reverser au MENA, croyez-vous que c’est avec empressement qu’ils vont le faire ? Les organisations syndicales demandent de revoir ce découpage pour aller plutôt vers un ministère unique de l’éducation nationale qui va du préscolaire à la terminale et un deuxième ministère qui va regrouper l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation. On aura deux ministères en charge de l’éducation. Et nous pensons que c’est largement suffisant. Dans tous les pays où le système est cohérant, c’est découpé ainsi. Maintenant qu’on rattache le post-primaire au MENA, comment vont s’opérer la gouvernance et l’encadrement pédagogique ? Voila un certain nombre de problèmes liés à la gouvernance dont on ne parle pas. Nous voulons éviter qu’il y ait ces chocs sur le terrain ou au sein d’un complexe. Tant que ces questions ne sont pas clarifiées, on est mal parti.
S. : N’avez-vous pas été associé aux travaux qui ont abouti à la mise en place de ce continuum ?
S. M. : On ne pourrait pas le dire ainsi, mais nous n’avons pas été suffisamment associé. Mieux, quand vous avez été associé à quelque chose et que vous donniez des observations qui ne sont pas suffisamment prises en compte, vous vous sentiriez quelque peu marginalisé. Je crois que c’est la posture des organisations syndicales aujourd’hui.
S. : Au regard des difficultés que vous souleviez, que proposez-vous pour la réussite de l’opération ?
S. M. : Nous avions dénoncez tout cela à l’autorité au travers d’une plateforme revendicative. Cette année, la journée du 5 octobre sera commémorés, mais avec la particularité que cette année, nous y avons cumulé un arrêt de travail de 24 heures pour interpeller l’autorité politique. Nous invitons l’autorité à surseoir en attendant qu’on règle un certain nombre de problèmes liés à l’opérationnalisation du continuum. Quand on aura évité ces écueils, certainement nous irons vers une mise en œuvre plus réussi.
S. : Quels sont les préalables pour la réussite de ce continuum ?
S. M. : Il faut qu’on nous donne l’assurance qu’on ne va pas aller dupliquer ce qui se passe au primaire, c’est-à-dire autant de classes sous abris précaires. Cela ne donne pas une certaine assurance pour les praticiens que nous sommes. L’un des préalables, c’est qu’on nous rassure sur la question des infrastructures. Notre ministre nous avait informés qu’il avait même les moyens pour les infrastructures, c’est-à-dire qu’il n'y a pas un problème de financement. Donc, on peut laisser les choses en l’état, le temps de construire. Dès qu’on aura suffisamment de bâtiments pouvant accueillir nos élèves de sixième, on peut commencer. Ça nous donnera une longueur d’avance pour les constructions futures. Il nous faut véritablement ce continuum, mais pas à n’importe quel prix.
S. : Quel sera la suite à donner à votre lutte si toutefois, vos revendications ne sont pas prises en compte par les autorités en charge de l’éducation ?
S. M. : On peut tout reprocher aux organisations syndicales de l’éducation, sauf notre ouverture au dialogue. Lorsqu’on aura fini notre grève, nous fondons l’espoir que l’autorité nous conviera autour d’une table de négociations. Nous fondons aussi l’espoir qu’on continuera la concertation et qu’ensemble, on trouvera une solution. Nous ne devons pas être considérés comme des organisations qui sont contre le développement de l’éducation au Burkina. Au contraire, c’est notre souci de garantir une éducation de qualité à notre système éducatif. Notre action est orientée dans ce sens, c’est-à-dire la qualité, toujours la qualité. Nos structures syndicales ont fait un certain nombre d’observations par rapport au succès de cette opération. Et il est grand temps que de façon responsable, on s’assoit et on passe au peigne fin ces questions. Nous sommes prêts à contribuer, à proposer des solutions pour que cette opération réussisse mais, tant qu’on ne se sera pas assis ensemble pour que l’on puisse vraiment dialoguer, il va y avoir problème. Donc, c’est une invite encore au dialogue, qu’elles (les autorités) nous écoute, pour réussir ce continuum dont nous avons tous besoin.