Dans son point de presse du 31 août dernier, le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a déclaré en substance que : « De nombreux pays sont confrontés à des problèmes de gouvernance profondément ancrés.
Mais les gouvernements militaires ne sont pas la solution. Ils aggravent les problèmes. Ils ne peuvent pas résoudre une crise. Ils ne peuvent qu’empirer les choses ». Et M. Guterres d’exhorter « Tous les pays à agir rapidement pour établir des institutions démocratiques crédibles et l’Etat de droit ». A « Créer des conditions permettant aux citoyens africains de s’attaquer aux causes profondes de l’instabilité politique, le manque de développement étant un facteur majeur ».
A considérer que le « développement est un objectif central si nous voulons créer les conditions de la paix et de la stabilité en Afrique » A « la nécessité de renforcer les organismes internationaux tels que l’Union africaine, dans leurs efforts diplomatiques visant à promouvoir la paix, la stabilité et la démocratie sur le continent. »
A cette lecture, l’on se convainc que la perception de la réalité de si loin semble décalée, parce que la responsabilité incombe davantage à la communauté internationale qu’aux Africains. Il convient d’abord de s’interroger sur les causes des récents coups d’Etat au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, au Niger et au Gabon, tous appartenant au pré carré français, et cela n’est pas anodin. Le fait remarquable est que les trois Etats sahéliens sont confrontés au terrorisme depuis une dizaine d’années ; tandis qu’en Guinée et au Gabon, il est patent que les dirigeants renversés avaient pris trop de liberté avec la loi fondamentale. Si les gardes prétoriennes des deux chefs d’Etat n’avait pas réagi, c’est une autre mascarade qui eut été orchestrée, au risque de nouveaux massacres par d’autres branches de la force publique. Selon un ancien ministre du Général de Gaulle au début des années 1990, les accords de défense entre la France et des Etats africains constituaient pour ceux-ci, ‘‘une garantie tous risques’’. Depuis, les accords ne couvrent plus que les agressions extérieures, et ce sont les gardes prétoriennes qui assurent la sécurité personnelle des chefs d’Etat. Lorsque ceux-ci, forts de cette garantie dépassent les limites de l’entendement, certains chefs militaires refusent de cautionner ces abus de pouvoir et franchissent le rubicond.
La réaction française à un coup d’Etat (militaire ou constitutionnel) dans son pré carré, varie selon qu’il sert ou non ses intérêts, dans l’indifférence des autres membres de la communauté internationale, histoire de ne pas empiéter sur ses plates-bandes. S’agissant des trois pays sahéliens, les civils n’ont pas été capables de doter leurs armées de façon adéquate. L’on peut déduire des témoignages des trois chefs d’Etat, sans risque de se tromper, que la France dispensait en quelque sorte ces Etats de s’armer, au motif qu’elle disposait de bases sur place en mesure d’assurer les services ‘‘à la demande’’. Seulement, le terrorisme gagnait du terrain, au grand dam de militaires patriotes, condamnés à l’impuissance, qui enrageaient de voir des terroristes les narguer. De leurs témoignages d’hommes de terrain, quand ils n’étaient pas interdits de se rendre dans certaines zones comme ce fut le cas au Mali ; au Burkina Faso, le gouvernement a versé des sommes aux terroristes pour obtenir une trêve aux fins d’organiser les élections en 2020, à charge pour les militaires de faire par la suite face à des terroristes ragaillardis par l’armement acquis grâce au financement reçu du gouvernement ; au Niger, non seulement le chef de l’Etat libérait des chefs terroristes que les militaires faisaient au mépris de leur avis, dans une interview accordée à Jeune Afrique courant mai dernier, le chef de l’Etat, chef suprême des armées (!) déclara, pour justifier la présence des troupes occidentales redéployées au Niger, que « Ces terroristes, ils sont plus forts que nos armées, plus aguerris, que nos armées… ».
Dans les trois cas, les armées n’avaient plus de raison d’être que de façon marginale, sur leur propre terrain, dans leur propre patrie. Et lorsque les mêmes militaires prennent par dépit le pouvoir et dispensent la France de sacrifier ses citoyens et de dépenser des sommes colossales depuis une dizaine d’années, et cela pour que leurs Etats s’assument, cela constitue pour les autorités françaises, un crime de lèse-majesté. Autant les civils se sont illustrés par leur résignation à un ordre qui ne profitait qu’à la France, autant les militaires ne pouvaient se résigner à une autre invasion extérieure qui allait se superposer à l’invasion coloniale de la fin du XIXe siècle dont les conséquences sont encore prégnantes. Cela dit, quelles réponses risquer, humblement, aux recommandations du Secrétaire général des Nations Unies ?
Etablir des institutions démocratiques crédibles et l’Etat de droit
Les institutions crédibles et l’Etat de droit ne valent que la légitimité des hommes qui les incarnent. Pourquoi, durant les trente-trois années qui se sont écoulées depuis la généralisation du modèle occidental en Afrique, trop peu de progrès ont été enregistrés dans le landernau francophone, tant sur le plan de la démocratie que sur celui du développement ? Qu’est-ce qui distingue ces Etats des autres, anglophones pour la plupart ? La persistance d’un système néocolonial qui empêche la résolution des contradictions internes selon les rapports de force réels et non factices, créés et entretenus avec la bénédiction de la puissance tutélaire, parce qu’ils lui sont plus profitables. Il n’y a quasiment jamais, l’homme qu’il faut, à la place qu’il faut. Ainsi que l’écrit La Boétie dans « Le discours de la servitude volontaire », écrit au XVIe siècle mais encore d’une brûlante actualité dans l’Afrique du XXIe : « En fait, tout pouvoir, même quand il s’impose d’abord par la force des armes, ne peut dominer durablement et exploiter une société sans la collaboration active ou résignée, d’une partie notable de ses membres. » Le modèle occidental de la démocratie appliqué en Afrique ne vise rien d’autre que de ménager des failles entre les clivages par lesquelles, de l’extérieur, des mains obscures passeront pour influencer les choix politiques, économiques et culturels.
Le manque de développement comme cause majeure de l’instabilité politique
Pour un Occidental, faire du manque de développement la cause majeure de l’instabilité politique, cela est compréhensible. Mais pour un Négro-Africain non acculturé, la cause primordiale réside dans les modalités d’installation des dirigeants africains au pouvoir.
En effet, selon les modalités traditionnelles, aucun chef de l’Etat ne s’aviserait, parce que détenteur du pouvoir suprême de l’Etat, de commettre un parjure ou ce que nous appelons crime contre le développement et qui consiste, entre autres, à sacrifier les intérêts nationaux au profit d’intérêts étrangers, moyennant un enrichissement personnel illicite. La cause secondaire, c’est effectivement que, dès lors que les Etats ne disposent pas de la maîtrise de leurs leviers de développement, c’est-à-dire les matières premières fossiles et les services vitaux (eau, électricité, NTIC) sur lesquels repose l’industrialisation, leurs économies ne peuvent se diversifier, et l’essentiel de la valeur ajoutée exportée dans les pays industriels.
Tout l’ordre économique international est structurellement conçu pour qu’il en soit ainsi, parce qu’un partage ne serait-ce qu’équilibré de la valeur ajoutée se solderait par une régression d’autant du niveau de confort des pays industriels.
Dans des sociétés à croissance démographique forte où l’économie ne peut absorber l’essentiel de ceux qui arrivent chaque année sur le marché de l’emploi, l’on peut difficilement parler de paix et de stabilité durable. Là où un semblant de celle-ci existe, c’est que l’investissement étranger et/ou l’aide publique au développement y sont plus importants, et la dette extérieure conséquente.
Renforcer les organismes internationaux tels que l’Union africaine
Comment renforcer l’Union africaine dans ses efforts diplomatiques visant à promouvoir la paix, la stabilité et la démocratie sur le continent, quand la communauté internationale s’affranchit royalement des mécanismes de cette organisation interafricaine pour intervenir comme en Libye en 2011, ou lorsque la CEDEAO, appuyée par la France, viole les textes, et de ladite organisation, et de l’UA, et même du Conseil de sécurité des Nations unies (organisation dont M. Antonio Guterres a la charge) pour intervenir militairement au Niger ? Il est clair que dans les deux cas, la communauté internationale est directement responsable de la non résolution des contradictions internes, par le continent et sur le continent. Sur l’échiquier international, l’UA ne pèse pas lourd, parce que ne parlant pas d’une seule voix, affaiblie par ceux qui sont généralement sous influence de la France.
En conclusion, Nulle part, sur la planète, des Etats ne sont placés sous coupe réglée comme le sont les Etats francophones d’Afrique. Cela crève les yeux, de toutes les anciennes puissances coloniales (Allemagne, Angleterre, Belgique, Espagne, France et Portugal), seule la France a le moins émancipé ses colonies. Elles demeurent des néo-colonies vouées à sa gloire impériale, à ses multinationales appuyées par l’Etat et au soutien de sa diplomatie.
De façon systématique, tous les leaders politiques de son espace d’influence qui ont entrepris de lutter contre cet ordre ont été, soit assassinés, soit ont perdu le pouvoir quand ils y étaient parvenus, souvent avec la vie. Leur liste est longue. Si la main n’a jamais été vue, nul n’est dupe. De toute la vaste conspiration occidentale contre l’industrialisation de l’Afrique, il n’y a guère que d’Italie que des voix se sont élevées (la dernière en date est celle de son premier ministre, Giorgia Meloni) pour pointer du doigt la France, comme la source du mal-développement des pays francophones d’Afrique. L’on ne saurait parler, en ce qui la concerne, de ‘‘sentiment anti-français’’, ou d’être ‘‘manipulée’’ par la Russie ou les militaires africains en transition. Il paraît que le chef d’Etat actuel de France est un homme brillant.
Mais aucun surdoué n’est à l’abri d’une faute, et ce ne sont pas les hommes les plus brillants qui obtiennent des autres les meilleurs résultats. Aucun chef d’Etat français n’a été aussi méprisant et condescendant envers ‘‘ses’’ africains, et toxique pour les relations franco-africaines. C’est que les hommes brillants, surtout au pouvoir, n’aiment pas ceux qui leur font de l’ombre comme les militaires, burkinabè, malien et nigérien tentent de le faire, non pas en France, mais au Burkina Faso, au Mali et au Niger. Seulement, le soleil atteint son zénith à midi, et puis vient le soir, puis la nuit, où il disparaît. On le croit, mais c’est la terre qui tourne. Les hommes passent, les peuples restent. C’est la force des choses.
En résumé, tant que la communauté internationale ne remettra pas en question ses méthodes brutales et infantilisantes en Afrique noire en général, la paix et la stabilité politique liées au mal-développement demeureront de vains mots. La force sera toujours la plus mauvaise réponse à la volonté de changement, et la bonne réponse, le co-développement. Sinon, lorsque ce ne sera plus des coups d’Etat militaires, ce sera des insurrections populaires contre des chefs d’Etat aux ordres de cette communauté. Quitte à former des gouvernements d’union nationale, mais qui seront invariablement confrontés à la même tyrannie extérieure.
Aussi, le Secrétaire général des Nations Unies devrait-il adresser ses propos dans la même veine, directement aux Occidentaux. A moins qu’un jour, les BRICS ne viennent changer l’ordre unipolaire auquel l’Occident est chevillé. Bassolé Paul Economiste de l’entreprise 72 16 86 51