Les artistes plasticiens du Burkina estiment être les parents pauvres du ministère de la Culture et du Tourisme. Dans la "Lettre ouverte" qui suit adressée au chef de leur département de tutelle, ils peignent en noir certaines choses et font des propositions dans le sens d'une meilleure promotion et visibilité du domaine et de ses acteurs.
Monsieur le Ministre,
Le secteur de la culture a connu d’énormes progrès au cours de la décennie, grâce aux efforts publics et privés dotant notre pays d’une bonne réputation internationale. Se fondant sur le potentiel social et économique de la culture dans le développement national, la SCADD a érigé celle-ci en priorité au titre des piliers de la croissance accélérée.
L’étude de l’impact économique et social de la culture au Burkina Faso note que le secteur contribue pour 2,02 % du secteur au PIB et génère environ 164 000 emplois essentiellement pourvus par la filière des arts plastiques ou visuels. Cependant, cette filière reste le parent pauvre du secteur de la culture en terme d’investissements, de politiques opérationnelles, d’initiatives de soutien et de promotion.
Certes, les Grands prix nationaux, le Grand prix national des Arts et des Lettres de la Semaine nationale de la culture constituent des cadres de promotion et d’émulation de cette filière. Mais ces manifestations emblématiques demeurent modestes et sans impact significatif pour les professionnels et leurs œuvres en termes de professionnalisation, à cause de leur mode de sélection, le manque d’accompagnement des lauréats et de visibilité, ce qui hypothèque leur insertion au marché et aux réseaux internationaux de l’art.
Nous sommes des artistes engagés dans des logiques professionnelles depuis plusieurs années en termes de recherches, de pratiques artistiques et d’insertion au marché international de l’art. Nous croyons à la sincérité de nos démarches créatives et à la puissance des arts plastiques. Nous souhaitons interpeller le département en charge de la culture afin que certaines mesures spécifiques de promotion soient prises pour notre filière.
1. Large diffusion des informations importantes relatives aux arts visuels au Burkina Faso
L’information sur les opportunités et programmes de développement dans les arts plastiques reste confinée dans des réseaux animés par une poignée d’agents culturels publics et d’artistes «acquis» ou quasi-institutionnalisés. La présence burkinabé au niveau international dans le domaine des arts plastiques semble intimement liée à des personnes et à des amitiés au mépris des compétences et de l’excellence créatives recherchées.
Pour rompre d'avec ces pratiques, nous souhaitons qu’une large diffusion des informations relatives aux invitations, commandes publiques et opportunités nationales et internationales, soient largement mises à la disposition des artistes concernés.
A cette époque où les Nouvelles technologies de l’information et de la communication et le numérique participent énormément à la visibilité des nations, de leurs patrimoines artistiques et culturels et de leurs créateurs, nous souhaitons la réactivation et la mise à jour du site web du ministère de la Culture et du Tourisme.
2. Jugement et sélection d’œuvres et d’artistes au Burkina Faso dans le cadre de la Semaine nationale de la culture, des Grands prix nationaux, d’invitations et d’opportunités internationales
Le jugement et la sélection des œuvres et des artistes dans le cadre de la Semaine nationale de la culture, des Grands prix nationaux, des commandes publiques et d’opportunités internationales restent opaques dans leur processus et dans la désignation des jurés chargés d’opérer les choix et les sélections.
Nous plaidons que cette mission déterminante soit souvent confiée à des professionnels, des connaisseurs et des personnes avisées de l’art justifiant d’une sensibilité afin que les choix soient pertinents et emprunts d’équité, d’impartialité et de transparence pour les intérêts majeurs du secteur. La sélection des œuvres ou des artistes devrait être basée sur le mérite professionnel et l’originalité des propositions artistiques.
3. Pertinence de l’art composite au Burkina Faso
Dans l’histoire de l’art, il y a eu toujours des mouvements de créateurs fondant leur technique de création sur des intérêts philosophiques, revendicatifs ou de sensibilités. Ainsi, au début du XXe siècle, Pablo Ruiz Picasso et Georges Braque furent les précurseurs du cubisme synthétique. Plus près nous, dans les années 1960, Daniel Spoerri fut l’un des grands maîtres de la technique des assemblages et des rebus. En Afrique, Dilomprizulike du Nigeria et Willie Bester de l’Afrique du Sud en sont les représentants fétiches.
L’originalité de leur démarche résidait dans la proposition d’œuvres en matériaux hétéroclites où les divers matériaux participaient à la féerie chromatique, texturale de l’œuvre. Leurs œuvres restent foncièrement des peintures ou des sculptures et non des oeuvres composites pour le commun des mortels et pour le monde de l’art.
Depuis 2006, sous l’impulsion d’obscurs historiens de l’art, le Burkina Faso, consacre l’existence et le développement de «l’art composite» en peinture et en sculpture dans le cadre de la Semaine nationale de la culture et des Grands prix nationaux comme discipline artistique à part entière.
Cette discipline nouvelle n’existe que dans notre pays. Cette singularité du Burkina Faso crée la confusion au sein des artistes généralement autodidactes et le ridicule au niveau international.
Nous souhaitons que :
- cet art singulier au Burkina Faso soit retiré des compétitions et des considérations nationales car simple aberration. Ce retrait de «l’art composite» des compétitions mettrait en phase notre pays avec les différentes nomenclatures consacrées aux arts visuels au niveau académique et professionnel ;
- les disciplines «art composite en sculpture» et «art composite en peinture» existantes soient remplacées par des prix de même nature pour développer deux disciplines parmi les disciplines suivantes : le design, la photographie, la gravure, les graffitis ou la vidéo dans le cadre de la dynamique de la Semaine nationale de la culture et des Grands prix nationaux.
Partie prenante de la vitalité et de la visibilité de la création contemporaine au Burkina Faso, notre démarche s’inscrit et tire sa légitimité de la nécessité du dialogue et de la concertation indispensables à l’ancrage et l’appropriation des politiques et programmes de développement sectoriels par les acteurs concernés promus par l’Accord de Cotonou, ratifié et pratiqué par notre pays.
En vous remerciant d’avance pour l’attention et l’intérêt que vous accorderez à nos différents souhaits et attentes, nous vous prions Monsieur le ministre de croire à l’assurance de notre considération et nos sincères salutations.