Le 8 août dernier 2023, l’Assemblée législative de Transition a voté la loi portant protection, sauvegarde et valorisation du patrimoine culturel au Burkina Faso. A travers cette interview, le conseiller en gestion de patrimoine culturel et de formation, Moctar Sanfo, par ailleurs directeur général de la culture et des arts, donne de plus amples éclaircissements sur le patrimoine culturel.
Sidwaya (S) : Qu’entend-on par patrimoine culturel ?
Moctar Sanfo (MS) : quand on parle de patrimoine culturel, on parle de biens, soit public ou privé, et ils peuvent être matériels ou immatériels et ils sont soit religieux ou profanes. Ce qui est important, ils sont transmis de génération en génération dont la conservation, la sauvegarde et la préservation présentent un intérêt historique, mémorial ou artistique, scientifique légendaire ou pittoresque. Dans ce que je viens de dire, il y a deux entités ou deux formes qui se dégagent. Les biens physiques d’une part qui sont constitués par les sites et les monuments ou encore les objets immobiliers qui sont dans les musées. Il y a encore une entité au moins une forme non physique, constituée par les inspections, les représentations, les pratiques, les savoirs et les savoir-faire. Dans le jargon, nous parlons de patrimoine culturel matériel et immatériel. Dans le patrimoine culturel matériel, on parle de patrimoine culturel matériel mobilier. C’est-à-dire ce qui peut être déplacé et le patrimoine culturel immobilier, ce qui ne peut pas être déplacé.
S : Au Burkina qu’est-ce qui peut être considéré comme faisant partie de notre patrimoine culturel ?
M.S. : Selon la nouvelle loi, ce sont les biens matériels pour lesquels il faut voir les sites très scripturaires, les monuments, ou encore les architectures. On a les sites culturels et les monuments ou encore les mausolées et les ensembles architecturaux. C’est ce qui concerne le patrimoine culturel matériel immobilier. Pour ce qui concerne le patrimoine culturel mobilier, on a les antiquités qui sont des objets immobiliers dont la plupart sont utilisés dans les communautés pour des rituels. J’avais dit que les biens peuvent être religieux ou profanes. Ceux religieux sont les objets qui ont une charge scripturaire. Ceux qui sont profanes sont des objets immobiliers ou statutaires, des instruments de musique et des têtes de masque conservés en général dans les musées. Pour ce qui concerne le patrimoine immatériel, on a parlé des pratiques. Quand on prend des faits coutumiers, des sorties de masques, il y a des représentations comme le faux départ du Mogho Naaba et le savoir-faire des techniques de fabrication de l’outil utilitaire, le chapeau de Saponé, la technique de fabrication qui est un élément du patrimoine culturel immatériel. L’architecture est un élément aussi du patrimoine culturel immatériel. C’est un savoir-faire avant tout. Les traditions vivantes ou encore la divination, les contes, sont des traditions et expression orale. Donc le champ de patrimoine culturel est assez vaste. Il s’étend même aux forêts, aux jardins botaniques parce qu’il y a des situations où le culturel et le naturel s’interprètent mutuellement. Quand on prend les bosquets sacrés, on ne peut pas faire la scission entre ce qui est culturel et naturel. Peut-être que s’il n’y avait pas de culturel, le bosquet n’allait pas exister ou le marigot sacré qui est un des éléments qui s’identifient au patrimoine culturel au Burkina Faso. Dans cette loi, nous avons eu la possibilité de délimiter le champ du patrimoine de façon claire de sorte à ce que toute personne qui l’a lue puisse comprendre de quoi il s’agit.
S : L’Assemblée législative de Transition a adopté une loi portant protection, sauvegarde et valorisation du patrimoine culturel au Burkina. Qu’est-ce qui a motivé l’adoption d’une telle loi ?
M.S. : Quand on parle de motivation, elle est de plusieurs ordres : d’abord, en 2007, l’Assemblée nationale a légiféré pour la première fois sur le patrimoine culturel. C’est la loi 024 du 13 novembre 2007/AN portant protection du patrimoine culturel au Burkina Faso. Cette loi a remplacé l’ordonnance de 1985 qui porte toujours sur le même objet qui,aussi avait remplacé la loi coloniale de 1956. Si on prend en considération que l’Assemblée avait légiféré en 2007 qui permettait d’encadrer la profession, on s’est rendu compte une quinzaine d’années après que le contexte a considérablement évolué et les dispositions ne permettaient pas de répondre aux nouveaux facteurs qui émergent et qui portent atteinte au patrimoine culturel au Burkina Faso. La Constitution, à son article 30, donne la possibilité à tout citoyen d’engager des actions soient individuelles ou collectives pour lutter contre tout acte pouvant porter atteinte au patrimoine culturel et à l’environnement et historiques au Burkina. Du point de vue de la Constitution, le patrimoine culturel revêt d’une importance capitale pour laquelle il faut travailler à avoir un texte mieux élaboré pour encadrer sa sauvegarde et sa protection. L’autre chose c’est que le Burkina a ratifié des conventions internationales de l’UNESCO. Généralement quand on les ratifie, elles font partie de l’architecture juridique nationale. Mais il se trouve que les dispositifs de ces conventions ne sont pas implémentés dans l’administration nationale. Donc, il était de bon aloi pour l’Etat de travailler à ce que ces dispositions soient implémentées par notre administration. Aussi, il se trouvait que l’ancienne loi n’encadrait pas suffisamment la protection du patrimoine. La protection du patrimoine se fait de façon graduelle. On commence par l’inventaire pour connaitre son état, ensuite le classement sur la liste nationale qui est une protection juridique et, les autres mécanismes de protection et de valorisation. Mais il se trouve que l’ancienne loi ne prescrivait pas l’inventaire comme étant une obligation. C’est pour dire qu’il y avait un déficit de la procédure en matière de protection du patrimoine. En tant de conflits armés comment on s’occupe donc de notre patrimoine culturel ? Nous avons ratifié des conventions, notamment celle de 1954 avec des protocoles additionnels, mais il se trouve qu’on n’avait pas dans notre législation des dispositions qui permettaient de donner des orientations, bien qu’on ait depuis 2018 une stratégie en la matière qui s’exprime de la volonté du Burkina à mettre en œuvre la convention de 1954. Donc il est question d’implémenter les dispositions de cette convention dans la loi pour qu’en tant de paix, nous puissions développer des initiatives, créer des conditions contre toute éventualité lorsque surviendra une guerre qui pourrait endommager le patrimoine. Cela nous permettra de placer des biens sous protection, sur la liste des patrimoines culturels de l’UNESCO. Ces biens seront aussi sous la protection de la communauté internationale. Un bien qui est sous protection renforcée et qui a été saccagé, on considère cet acte comme un crime. La cour pénale internationale se saisit du dossier comme ce fut le cas avec le Mali. L’ancienne loi de 2007 ne prévoyait pas la valorisation du patrimoine culturel, il fallait corriger. Cette nouvelle loi apporte le correctif nécessaire. La valorisation du patrimoine pourrait se faire à travers le développement des pôles patrimoniaux et les musées et la mise en place d’un système de labellisation des biens du patrimoine et un système d’accréditation des organisations professionnelles et de la société civile. Cette loi prend aussi en compte la promotion du système des trésors humains vivants qui n’étaient pas pris en compte par la loi de 2007 et il y a la promotion des biens et des éléments du patrimoine culturel immatériel à travers leur positionnement sur les listes au niveau régional et international. Nous parlons bien évidemment des listes du patrimoine de UEMOA et de l’UNESCO. Enfin, il y a les acteurs. La loi de 2007 n’évoquait pas de façon claire le rôle des acteurs. Conscient de la grande contribution des acteurs surtout non étatiques à la protection du patrimoine, on a estimé de travailler à ce que les rôles soient clairement définis par la loi dans un souci de responsabilisation en matière de sauvegarde et de gestion du patrimoine culturel.
S : Nous avons remarqué qu’il y a beaucoup d’objets culturels qui se trouvent à l’étranger. Le Président français Macron avait promis de rapatrier ces biens africains. Pour ce qui concerne le Burkina Faso, quelles sont les mesures qui peuvent permettre le retour de ces patrimoines de l’étranger ?
M.S. : Le Président Macron, le 22 octobre 2017, a prononcé le discours à Ouagadougou. Je pense qu’une année après, nous avons organisé une conférence publique pour informer l’opinion publique nationale et internationale de la situation en ce qui concerne la position du Burkina Faso. Après cela nous avons mis en place un comité qui devait travailler et donner des orientations à l’administration pour que des mesures nécessaires soient prises pour réclamer si tant était qu’on a des preuves, qu’on a des objets qui ont été soutirés au Burkina Faso. Ce groupe a travaillé, les membres ont produit des résultats et bien vrai, le travail n’est pas allé à son terme. Mais, on est parvenu à des résultats et le processus suit toujours son cours. Je dois relever que ce n’est pas tout ce qui se trouve à l’étranger qu’il faut revendiquer parce qu’il y a le marché de l’art qui est légal et les objets sortent de nos frontières de façon légale parce qu’il y a une réglementation en la matière. N’importe quelle personne qui est friande du marché de l’art peut aller acheter des objets d’art dans une galerie et aller alimenter son musée. Vous n’allez pas donc dire à ce dernier qu’il a volé vos objets.
S : Est-ce que les objets d’art constituent un patrimoine ?
M.S. : Le problème, c’est le temps en réalité. Vous allez voir que des objets d’art que quelqu’un a achetés, il y a 100 ans, aujourd’hui vous allez voir avec le temps qu’il a pris sa valeur patrimoniale, a été bonifiée. Vous allez voir dans certains musées, beaucoup d’objets africains et burkinabè qui, en réalité ne viennent pas du vol. C’est dans des galeries qu’ils ont été achetés pour booster la collection. Mais dans le marché de l’art qui est légal, il y a aussi le trafic illicite des biens culturels. C’est ce qui est la partie nuisible qui écume le patrimoine des peuples, dont ceux du Burkina Faso. On a les marchands d’art qui ont peint chez nous les antiquaires et qui ont des techniques pour sécuriser les objets. Il y en a qui ont des techniques pour vieillir les objets parce que l’objet prend de la valeur lorsqu’il est vieux et est aussi prisé sur la place du marché. Il y a des objets qui ne devraient pas sortir du pays. Malheureusement, ils arrivent à passer de façon frauduleuse ou encore des biens qui ont été mal acquis. Lorsqu’un palais a été pillé et qu’on se rend compte après le pillage que les objets ont été exportés ailleurs, si des preuves existent, ces objets peuvent faire l’objet de revendication. Quand vous prenez l’exemple de Mamio, chez qui l’objet se trouvait, la personne était de bonne foi. Cette dernière l’a acheté légalement. L’objet a été réquisitionné, mais on n’avait rien à lui reprocher parce qu’il l’a acheté. Si on a la preuve que des musées ou encore des sanctuaires ont été saccagés pour pouvoir extirper des objets qui se retrouvent ailleurs, on est en droit de revendiquer. Les conventions n’ont pas un effet rétroactif. Elles commencent à prendre effet à partir du moment où vous l’avez ratifiée. Les conventions qui permettent cela sont la convention de 70 ou la convention de 95. Pour la convention de 95, c’est en 2018 que le Burkina Faso l’a ratifiée. Ce qui fait qu’on peut se fonder sur cette convention pour revendiquer. Il faudrait que les actes soient connus après 2018, mais pas avant. Du coup, sur le plan juridique, les marges sont très limitées. Les Etats utilisent beaucoup plus la diplomatie, les intérêts mutuels entre les parties qui leur permettent souvent soit d’organiser des expositions avec des objets dans ces pays ou encore des prêts à long terme ou définitif. On vous donne les objets en prêt, mais on sait que ça ne va plus revenir.