L’agriculture, selon les chiffres du ministère en charge du secteur, constitue une composante de l’économie au Burkina Faso avec 18,4% du Produit intérieur brut (2012) et emploie plus de 82% de la population active (2020). De type pluvial, l’agriculture au pays des Hommes intègres est rythmée par l’alternance de la saison sèche (novembre à avril en moyenne) et la saison des pluies (juin à septembre en moyenne). Ingénieur en agriculture et spécialiste en irrigation, Djenma Héma est un producteur modèle de Niangoloko, dans la province de la Comoé, région des Cascades (Banfora). Grâce un système d’irrigation, celui qui est également le promoteur du startup DAMUP Sarl, produit durant toute l’année de l’ arachide, du niébé, du maïs, du sésame, du piment, de l’ aubergine, de la tomate, etc. sur environ 8 hectares.
Une exploitation verdoyante contrastant avec la canicule du mois de mai et la clairière qui entoure l’exploitation. Un soleil de plomb à 11 heures, ce mercredi 10 mai 2023. Un silence perturbé, çà et là, par des chants d’oiseaux. A perte de vue, des planches d’aubergine, de piment et de tomate. Six femmes s’activent à débarrasser les planches d’aubergines blanches des mauvaises herbes. Nous sommes dans la ferme de Djenma Héma, une exploitation de 8 hectares, à une dizaine de kilomètres au sud-est de Niangoloko, ville frontalière (avec la Côte d’Ivoire), dans la province de la Comoé, région des Cascades (Banfora). Passionné de l’agriculture, cet entrepreneur agricole de 36 ans (né en 1987), après ses études d’ingénierie en agriculture en France et de technologie d’irrigation en Israël, est revenu au bercail en 2016, pour mettre ses connaissances au service des siens et de la terre.
« Je suis un fils de paysan qui a grandi dans le milieu rural et j’ai la passion de l’agriculture. Tout mon rêve était de revenir chez moi pour mettre en application ce que j’ai appris sur le développement des filières agricoles. Et c’est ce qui m’a amené à revenir après mes études supérieures, dans le monde rural », relate-t-il, tout enthousiasmé. Titulaire du Bac C et de la Licence en Physique, M. Héma, marié et père de trois enfants, produit sur sa superficie, diverses spéculations, 12 mois sur 12 grâce au système d’irrigation qu’il a installé. Il y a installé un système d’irrigation « micro aspersion » alimenté par un forage de 12 m3 d’eau fonctionnel à l’énergie solaire. « Les tuyaux en PVC sont enfuis dans le sol à 50 cm et les asperseurs sont espacés de 6 m de part et d’autre. On peut travailler avec n’importe quel matériel ici sans aucun réaménagement pendant des années », explique Djenma Héma. La tuyauterie enfouie, fait-il savoir, a une durée de vie d’au moins 30 ans, et les asperseurs, 10 ans de vie. « J’ai misé sur ce modèle, respectueux de l’environnement, facile à gérer, simple et moins couteux au lieu d’un système qui nécessite une grande mobilisation pour l’irrigation », dit-il. Quelle que soit la superficie, poursuit le trentenaire, une seule personne peut se charger de l’arrosage. « Il suffit de programmer la durée de l’arrosage, tourner les boutons de la parcelle à asperger et attendre le temps nécessaire pour rediriger l’eau ou arrêter si on n’en a plus besoin », détaille Djenma Héma. Avec ce système « simple et bénéfique », l’ingénieur agronome soutient produire tout type de spéculation et à toute période de l’année. « Je peux produire à n’importe quel moment de l’année, de l’ arachide, du niébé, du maïs, du sésame, du piment, de l’aubergine, de la tomate, etc. », indique le diplômé agriculteur.
Orienté vers la rentabilité
Mais l’orientation de la production, précise Djenma Héma, dépend des objectifs visés. « Notre choix est basé sur la rentabilité. Même si une spéculation donne bien, si elle n’est pas rentable à une période donnée, on la met de côté pour prioriser les spéculations rentables », dixit l’agrobusiness-man. A la date du 10 mai 2023, c’est du piment au stade de maturation après une première récolte et de l’ aubergine aussi à maturité qui trônaient fièrement sur la majeure partie de la superficie mise en valeur. « Présentement, nous avons surtout mis l’accent sur le piment, la tomate et l’aubergine parce que ce sont des spéculations qui sont rares sur le marché, donc rentables. Le sac de 100 kg de piment pendant la période de bas prix peut coûter 10 000 F CFA ou même moins, pareil pour la caisse de tomate qui peut descendre jusqu’à 5 000 ou 4 000 F CFA au moment où tout le monde en produit. Mais au moment où ces spéculations, par manque d’eau pour les jardiniers, ne sont pas produites, le même sac de 100kg de piment est écoulé à 50 000 F CFA ou plus et la caisse de tomate entre 25 000 et 30 000 F CFA », précise Djenma Héma. A la récolte, le physicien devenu agriculteur se frotte les mains. « Il est difficile de déterminer le rendement d’un quart d’hectare parce que nous pouvons y récolter trois à quatre fois ou plus sur les mêmes plantes. Mais en moyenne, je peux récolter entre 20 et 25 sacs de 100 kg au quart d’hectare. Et au bout de trois semaines, on revient sur les mêmes plantes récolter », confie-t-il. A la question de savoir, si le producteur n’a pas de soucis d’écoulement, sa réponse est sans hésitation. « Je n’ai absolument pas de problème d’écoulement. Tout ce qui est produit est écoulé sans difficulté », martèle Héma Djenma.
« Je suis l’espoir de ces femmes PDI »
N’eût été la question sécuritaire qui a freiné les ardeurs du producteur modèle (l’accès au champ est aujourd’hui risqué), toute son exploitation, dit-il, serait mise en valeur. « Comme dans tous les secteurs de l’économie nationale, la situation sécuritaire a donné du fil à retordre dans mes activités. Il est vrai que j’ai fait face à des difficultés que j’ai su surmonter pour être à ce stade, mais la situation sécuritaire a tout ralenti. Sinon j’allais être au-delà de ce stade de production », dit-il avec amertume. Aussi, confie-t-il, il a reçu par deux fois la visite de pachydermes (éléphants), il y a plus d’un an, qui ont ravagé une bonne partie de ses plantes à leur passage. Malgré tout, l’ingénieur en agronomie n’abdique pas. « Je suis là quand même pour essayer de faire ce que je peux. Ce n’est pas pour défier ceux qui nous attaquent, mais par amour pour ce que je fais. Si j’ai abandonné toutes les opportunités que j’avais en Europe pour mon pays, je vous assure que ce serait difficile, voire insupportable pour moi de rester à dormir loin de cette exploitation », soutient-il la voix nouée. L’autre raison qui donne du courage à M. Héma de risquer sa vie pour son champ, c’est la situation des déplacés internes qu’il emploie. « Avec la crise sécuritaire, je suis l’espoir de plusieurs PDI, notamment des femmes, qui viennent travailler pour avoir de quoi faire face à leur situation. C’est l’une des raisons qui me motivent à ne pas abandonner parce que je suis l’espoir de ces personnes qui ne savent pas où aller après avoir fui leurs localités », soutient-il. Pour le repiquage du piment ou les récoltes, le « messie » des femmes déplacées internes du village de Mitchiéridougou sollicite en moyenne une trentaine d’entre elles par jour pour trois à quatre jours de travaux en raison de 1 000 F CFA la journée de travail. Ce mercredi 10 mai 2023, un nourrisson d’une quinzaine de mois au dos, Bilô Fayama, la trentaine d’âge, débarrasse les aubergines blanches des mauvaises herbes du champ, en compagnie de cinq autres femmes. La plupart d’entre elles, confie la jeune maman, sont des femmes déplacées internes qui ont quitté Mitchiéridougou du fait de l’insécurité. « On s’est retrouvé à Niangoloko sans rien. C’est pourquoi nous bravons la peur pour venir monnayer nos services ici afin d’avoir de quoi nous nourrir », confie Soungourou Karama, l’une d’entre elles.
De nombreux projets d’aménagement
Les autres difficultés, comme la question de l’accès aux financements, le diplômé en irrigation dit les minimiser. Sur la politique agricole du Burkina Faso, l’entrepreneur agricole estime que l’Etat n’en a réellement pas. C’est pourquoi le chômage, dit-il, a atteint des pics. « Le Burkina Faso n’a pas une réelle politique de développement du monde rural. Si la politique agricole consiste simplement à faire des stocks dans les boutiques témoins ou à la SONAGES (ndlr : Société nationale de gestion du stock de sécurité alimentaire) pour vendre à des prix sociaux pendant la période de soudure, je vous dis que ce n’est pas une politique agricole. C’est plutôt un outil pour résoudre une crise alimentaire », fustige le professionnel de l’agriculture. Pour lui, l’Etat ne fait pas suffisamment la promotion des activités agricoles et des acteurs du monde rural. Un avis nuancé par le Directeur régional (DR) de l’agriculture, des ressources animales et halieutiques des Cascades, Dr Abdramane Sanon. L’Etat, à écouter M. Sanon, fait beaucoup pour la promotion du monde rural. Il prend pour exemple les nombreux aménagements réalisés au profit des producteurs. « Le gouvernement, dans sa politique de booster la production agricole, réalise des aménagements de grandes superficies. C’est le cas de la plaine rizicole de la Léraba à Sindou », fait savoir le DR en charge de l’agriculture. D’autres projets d’aménagement comme celui du basfond de Lemouroudougou, dans la province de la Comoé, pour pallier le besoin des agriculteurs en termes de terres agricoles et celui des 100 à 150 hectares autour des pics de Sindou, sont en cours à travers le Projet de résilience et de compétitivité agricole (PRECA), à en croire Abdramane Sanon. « Nous avons un projet d’aménagement à Dangoumana qui va permettre de réaliser des fermes agricoles résilientes sur une superficie de 2 hectares. Les producteurs vont bénéficier d’une subvention de près de 40 millions F CFA pour des forages qui vont leur permettre de produire 12 mois sur 12 », indique Abdramane Sanon. Ces différentes actions, se convainc-t-il, vont permettre de valoriser les terres aménageables et d’avoir deux ou trois productions par an. Outre ces actions qui visent à soutenir les producteurs moyens, le directeur régional de l’agriculture fait savoir que des actions sont menées en faveur des producteurs modèles. « Nous mettons en œuvre un certain nombre d’activités au profit des acteurs de l’agrobusiness. Ce sont notamment la mise en relation, le renforcement des capacités en relation avec l’éducation financière, la mise en réseautage pour favoriser un certain nombre de contrats entre eux, etc. », note-t-il.