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Pr Geneviève Kabré, première femme professeur titulaire en mathématiques : « Les filles peuvent bien mener une carrière hautement scientifique »

Publié le samedi 10 juin 2023  |  Sidwaya
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© Autre presse par DR
Pr Geneviève Kabré, première femme professeur titulaire en mathématiques
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Les mathématiques n’ont pas de secret pour Pr Geneviève Kabré, enseignante-chercheure à l’université Thomas- Sankara. Première femme professeur titulaire en mathématiques du Burkina, Sidwaya lui a tendu son micro à l’occasion de la journée de la femme en mathématiques célébrée, le 12 mai de chaque année. Dans cette interview, elle fait découvrir son brillant parcours, mais aussi, les secrets pour réussir dans ce domaine aussi bien redouté par les hommes comme les femmes.

Sidwaya(S) : Présentez-vous à nos lecteurs.

Geneviève Kabré (G.K.) : Je suis Pr Geneviève Barro, épouse Kabré, mère de deux enfants. Je suis de la très prestigieuse Université Thomas-Sankara (UTS). Je suis professeure titulaire en mathématiques appliquées, spécialiste en modélisation, analyse et simulation numérique. Je suis aussi experte du Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (CAMES), de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) et de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en numérique éducatif et en assurance qualité. Egalement, je suis lauréate du prix scientifique de l’Union africaine, catégorie science fondamentale, technologie et innovation. J’ai reçu la distinction de Chevalier de l’Ordre des palmes académiques.

S : Expliquez-nous votre parcours universitaire.

G.K. : Après le baccalauréat série C au collège Saint Jean Baptiste de la Salle de Ouagadougou, j’ai obtenu à l’Université Joseph-Ki-Zerbo (UJKZ), à l’Unité de formation et de recherche(UFR) Sciences exactes et appliquées (SEA), une licence et une maitrise en mathématiques, un Diplôme d’études approfondies (DEA) de mathématiques appliquées, option « analyse numérique et informatique » et un doctorat thèse unique de mathématiques appliquées, option « analyse numérique et informatique » avec la mention « Très honorable » avec les félicitations du jury. Le doctorat a été préparé au Laboratoire d’analyse numérique, d’informatique et de biomathématiques (LANIBIO), UFR/SEA, en collaboration avec des universités partenaires : Université Cheick Anta Diop de Dakar et Université de Pointe- à- Pitre des Antilles et de la Guyane en France. En plus de ces diplômes de base, j’ai obtenu, entre autres, les deux diplômes suivants : un Master 2 Pro en statistique et économétrie à l’Université de Toulouse 1 (France) et un Master 2 Pro en sciences de l’éducation, spécialité Utilisation des technologies de l’information et de la communication dans l’enseignement et la formation (UTICEF) délivré par le consortium Université Louis Pasteur de Strasbourg (France), Université de Mons Hainaut (Belgique) et Université de Genève (Suisse), avec une bourse de l’AUF. Le mémoire de ce dernier master a consisté à créer et gérer des formations ouvertes et à distance au sein de mon institution avec l’appui de l’AUF. Ainsi, j’ai ouvert en 2009, les toutes premières formations ouvertes et à distance de l’université Ouaga 2, devenue l’université Thomas-Sankara. Ces formations concernaient les filières suivantes : une Licence et un Master Pro en management des ONG et des associations et un Master Pro en Commerce international global marketing (MIBE) en collaboration avec Eeni Global School, Tarragona, Espagne. Dès l’ouverture, elles ont été largement appréciées et des étudiants d’une vingtaine de pays répartis dans quatre continents s’y sont inscrits. En effet, nous étions motivée par le souci d’offrir des formations innovantes et de qualité à un public cible qui en fait la demande et dont l’offre n’existait pas jusqu’alors dans nos universités. Le projet a connu du succès et s’est même imposé au-delà de la sous-région et a été reconnu comme l’un des meilleurs exemples de réussite en FOAD. Ainsi, de par la notoriété de ces formations, le Burkina Faso a été classé, en mars 2014, 2e après la France, en ce qui concerne la qualité et le nombre de FOAD qu’il offre avec la collaboration de l’AUF. En 2011, nous avons également été associée à la création des formations ouvertes et à distance de l’ex -Institut des sciences (IDS) devenu Ecole normale supérieure (ENS). Une Licence professionnelle en enseignement des sciences a été créée avec pour objectif de former des enseignants des lycées et collèges spécialisés dans l’une des trois disciplines : mathématiques, physique- chimie, Sciences de la vie et de la terre.

S : Sur le plan académique, qu’est-ce que toutes ces compétences vous ont valu ?

G.K .: Sur le plan académique, j’ai occupé les postes d’enseignant-chercheur suivants : assistant à UJKZ en mathématiques, options « Analyse numérique et informatique » et à UTS : maître-assistant en mathématiques, mathématiques appliquées, option « Analyse numérique et informatique », CAMES, cote A, maître de conférences en mathématiques, mathématiques appliquées, option « Analyse numérique et informatique », CAMES, côte A, Pr titulaire en mathématiques, mathématiques appliquées, modélisation, analyse et simulations numériques, CAMES, inscrite à l’unanimité depuis 2020. En tant qu’enseignante-chercheure, j’encadre des étudiants en Master et en Doctorat dans mon domaine. J’ai aussi un volume de cours statutaire que je consacre aux mathématiques pures et appliquées, aux techniques quantitatives, notamment statistiques appliquées, analyse des données et recherche opérationnelle.

S : Pourquoi aviez-vous décidé d’embrasser la filière des mathématiques ?

G.K. : La filière des mathématiques ? (Rires). Cela pourrait vous étonner, mais après le baccalauréat, la direction des orientations m’a obligée à aller en mathématiques. En effet, mes rêves ont évolué au fur et à mesure que je grandissais. Je voulais être institutrice à l’image de cette belle et brave institutrice, madame Adèle Kaboré, qui avait l’amour de son travail et qui m’a fait passer (avec d’autres élèves) le CEP au CM1, et le concours d’entrée en classe de sixième au collège Notre Dame de Kologh -Naba et qui m’a inscrite en 6e. Ensuite, j’ai voulu devenir électronicienne, pilote, informaticienne, médecin. Mais, tout sauf mathématicienne ni enseignante-chercheure.

S : Selon certaines opinions, les mathématiques sont réservées aux hommes. Partagez-vous cet avis ?

G.K. : Quel que soit le domaine, la réussite est fortement liée au travail que nous faisons. Le travail intellectuel ne dépend pas du genre. Les mathématiques sont faites pour tout le monde. Les filles peuvent donc très bien mener aussi une carrière hautement scientifique dans tous les domaines, donc, en mathématiques, au même titre que les garçons si elles ont la volonté. Nous devons tous nous départir de l’idée reçue selon laquelle, il est plus difficile de faire les mathématiques que les autres disciplines. Cette difficulté apparente est beaucoup plus psychologique que réelle. Les femmes doivent donc s’orienter selon leurs aptitudes intellectuelles. Elles ne doivent aucunement avoir peur de faire les mathématiques si elles en ont des aptitudes.

S : Quel a été votre secret pour réussir dans un domaine où beaucoup d’hommes échouent et de nombreuses femmes fuient ?

G.K. : Le secret, c’est la volonté et le travail. De plus, je suis une passionnée de l’excellence depuis l’école primaire (quand j’étais deuxième de classe, je pleurais). Mais, j’ai bénéficié aussi d’un bon encadrement, tant au niveau familial qu’au niveau scolaire. La rigueur de l’encadrement a beaucoup contribué à mon succès. Stricte rigueur de l’enseignement confessionnel (collège Notre Dame) : se lever à une heure fixe pour faire le ménage et réviser ses leçons avant d’aller en classe, éducation morale, civique et religieuse, évaluations régulières et rapprochées m’avaient déjà prédisposée pour la suite de mes études. J’étais préparée depuis à de telles exigences. Ma mère aussi m’avait formatée dans ce moule de la rigueur et de l’amour du travail, si bien que dès l’école primaire, déjà, je savais m’organiser pour concilier tâches ménagères et activités scolaires. A l’université, le Laboratoire d’analyse numérique, d’informatique et de biomathématique (LANIBIO) dirigé par le Pr Blaise Somé a été un cadre idéal de recherche scientifique : la forte collaboration internationale est un grand atout.

S : Quelles sont les difficultés rencontrées en tant que mathématicienne ?

G.K. : Du point de vue des études et de la recherche, de nombreuses difficultés existent: beaucoup de recherches personnelles, la difficulté d’obtention de financement pour la recherche, les voyages d’études, la documentation et la publication des résultats de recherche. Aujourd’hui, ces difficultés sont beaucoup moindres. A mon humble avis, ces difficultés existent et sont réelles, quels que soient la filière de formation et le genre. Pour les surmonter, il faut s’adonner au travail sans réserve et avoir ses propres moyens pour financer ses études et recherches, ce qui est rare le plus souvent. Il faut savoir saisir toutes les opportunités qui peuvent permettre d’avoir un financement, savoir se battre pour les obtenir (bourses offertes par l’Etat ou par d’autres organisations).

S : Concrètement, quelles sont les difficultés rencontrées en tant que femme ?

G.K. : L’une des difficultés en tant que femme, liée aux longues études, c’est qu’à partir d’un certain moment, intervient la nécessité de fonder un foyer. Cela suppose que, en même temps qu’on étudie, on s’est préparée à cette vie de foyer. Un nécessaire équilibre s’impose entre la vie sociale et les occupations liées aux études et à la recherche. Dans la pratique, cet équilibre est souvent difficile à observer parce que l’on est souvent absorbée et préoccupée par le travail si bien qu’on néglige les autres aspects : coquetterie, vie sociale et familiale. Ces difficultés sont amoindries s’il y a la compréhension de la famille et de son entourage. Une fois de plus, ce sont des difficultés liées aux contraintes des longues études et de la recherche, quel que soit le domaine. Il faut savoir, tout en faisant la recherche, garder suffisamment de lucidité pour mener une vie équilibrée sur le plan social et affectif.

S : Encouragez-vous les filles à faire les mathématiques ?

G.K. : Bien sûr que oui ! Faire les mathématiques ouvre de nombreuses portes d’insertion professionnelle et dans divers domaines. Professeur d’université comme moi, mais aussi une possibilité de carrière dans divers domaines : commerce, management, économie, technologies, informatique, finance, agronomie, santé, recherche et enseignement, sont des issues possibles pour les bacheliers qui ont suivi une spécialité maths (série scientifique).

S : Comment voyez-vous l’avenir des femmes dans les mathématiques ?

G.K. : Comme dit plus haut, les maths offrent un bel avenir à tous et dans de nombreux domaines. Mais très peu d’étudiants optent pour les mathématiques en général. Et les filles sont encore moins nombreuses. De plus, les étudiants préfèrent des formations de courte durée, Licence et Master. Nous devons donc galvaniser les femmes, depuis les élèves et étudiantes, si nous voulons avoir beaucoup de femmes en mathématiques et leur donner un avenir radieux dans ce domaine.

S : Comment doit-on galvaniser les femmes à faire les mathématiques ?

G.K. : Il faut commencer la motivation des élèves au primaire et au lycée. Les idées erronées selon les lesquelles, il est plus difficile de faire les formations scientifiques, comme les mathématiques que les autres disciplines justifient le fait que les filles choisissent rarement de s’orienter dans les disciplines scientifiques en général et en mathématiques en particulier. Aujourd’hui, je peux dire que les enseignants, toutes disciplines confondues, doivent enseigner autrement, en incluant notamment le numérique éducatif, pour galvaniser tout apprenant en général et en particulier les femmes à faire les mathématiques. En effet, les enseignants doivent concevoir des cours de qualité en respectant un système d’entrée, d’apprentissage et de sortie, et axés sur des objectifs généraux et spécifiques très bien définis selon les normes pédagogiques en la matière. Ces cours doivent permettre d’atteindre les compétences prévues et donc la réussite des apprenants aux évaluations. Ces cours devraient ainsi prévoir des motivations, des applications concrètes et s’appuyer sur une très bonne pédagogie pour faciliter l’apprentissage. L’apprenant devra être au centre de l’apprentissage et même y avoir une certaine autonomie.

S : Pensez-vous que les parents n’encouragent pas suffisamment les filles ?

G.K. : Au niveau familial également, les filles ne sont pas encouragées à s’orienter vers les longues études. Elles sont souvent incitées à rentrer vite dans la vie active et à fonder un foyer. A ce niveau, une sensibilisation est à faire à l’adresse des parents. Il faut amener les filles à se départir de l’idée reçue selon laquelle il est plus difficile de faire les formations scientifiques et en particulier les mathématiques. Elles doivent donc s’orienter selon leurs aptitudes intellectuelles. Le plus souvent, il y a aussi plus d’idées reçues que d’informations exactes. Il y a lieu pour les filles qui désirent s’engager dans les filières scientifiques de s’approcher des personnes qui sont déjà dans le domaine pour avoir des informations exactes. Au niveau des ministères de l’Enseignement et de l’association des femmes scientifiques du Burkina, des camps vacances sont souvent réalisés, avec des femmes modèles pour discuter avec les élèves et ainsi les motiver à aller dans les filières scientifiques en général et en mathématiques en particulier.

S : L’Etat burkinabè a entrepris la construction de lycées scientifiques à travers le pays. Comment appréciez-vous l’initiative et quel peut être leur rôle dans le développement du pays ?

G.K. : Cette initiative très louable permet tout d’abord d’offrir de très bonnes conditions d’apprentissage de proximité, toute chose qui favorise un enseignement de qualité et donc un bon taux de succès. Ensuite, elle va rehausser les effectifs des élèves dans les filières scientifiques. En effet, en 2019, nous avions moins de 200 candidatures au Bac C, sur 110 000 candidatures au total. Cette initiative pourrait permettre de produire des scientifiques de qualité qui puissent non seulement aider le Burkina Faso à relever les défis qui se posent à lui aujourd’hui, notamment le développement du secteur professionnel et technique, mais aussi doter notre tissu économique d’hommes et de femmes de sciences, capables d’impulser le développement économique, notamment dans le domaine de l’ingénierie, de l’industrie, et surtout capables de s’auto-employer avec la création d’entreprises. Vivement que le Burkina puisse, à travers cette initiative de la construction de lycées scientifiques, produire, à moyen et long terme des ressources humaines hautement qualifiées, indispensables pour continuer l’animation des secteurs clés du développement de notre pays.
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