Le soumbala ou la moutarde africaine fait partie de la biotechnologie classique. Fabriquée de façon traditionnelle à base de graines de néré, cette épice cache de multiples vertus nutritionnelles et sanitaires, selon les nutritionnistes. Tapogodéni, village de la commune de Toussiana, province du Houet, région des Hauts-Bassins, a fait de la production du soumbala, sa spécialité au point que le village a été surnommé Soumbaladougou (village de soumbala en dioula). Constat !
Mardi 21 mars 2023. Il est 11 heures à Tapogodéni, l’un des 17 villages rattachés à la commune rurale de Toussiana, dans la région des Hauts-Bassins. Tapogodéni est reconnu pour sa grande production de soumbala ou moutarde africaine, une épice fabriquée, de façon traditionnelle par des femmes, à base de graines de néré. La quarantaine environ, Mariam Ouattara s’active en cette matinée à la fabrication du soumbala dans la cour familiale. C’est depuis toute petite, raconte-t-elle, qu’elle a été initiée à la fabrication de ce condiment. « Il n’y a pas une cour ici à Tapogodéni où on ne fait pas du soumbala. Comme toutes les jeunes filles du village, j’ai appris à le faire dès mon bas-âge », relate dame Ouattara. Au regard de la grande quantité de soumbala qui y est produite, Tapogodéni, selon Mariam Ouattara, a été surnommé Soumbaladougou (village de soumbala en langue dioula). Aujourd’hui mariée, Mme Ouattara a fait de la production de cette moutarde sa principale source de revenus. Ce mardi 21 mars 2023, c’est à 4 heures du matin que la jeune dame, comme à ses habitudes, se réveille pour la production du soumbala. « C’est un travail pénible », répond-elle à la question de savoir comment l’on fabrique le soumbala. Selon ses explications, les graines de néré sont décortiquées, cuites, lavées, séchées et laissées en fermentation pendant deux à trois jours pour obtenir le soumbala. « Les graines de néré acquises, après avoir réuni le nécessaire comme le bois, le matériel de cuisson, l’eau, etc., on pile une première fois les graines avant de les bouillir. Après les avoir bouillies, on les passe une seconde fois au mortier et au lavage pour les débarrasser des impuretés. Ensuite, on bout les graines nettoyées que l’on couvre après cuisson dans des récipients ou à même le sol pendant deux à trois jours pour la fermentation afin d’obtenir le soumbala », détaille la quadragénaire.
Le soumbala préféré aux cubes maggi
Si certaines productrices associent des produits chimiques comme le carbure pour faciliter ou accélérer la fermentation du soumbala, à Tapogodéni, les femmes jurent qu’elles produisent le leur dans les règles de l’art. « C’est de façon naturelle que nous laissons notre soumbala se fermenter. C’est d’ailleurs ce qui fait la qualité de notre soumbala contrairement à celui obtenu par la fermentation à base des produits chimiques qui dénaturent le goût », martèle Awa Coulibaly, productrice de soumbala dans ce village. Le produit fini est séché au soleil à l’air libre, poursuit la productrice de Soumbaladougou. De passage à Tapogodéni pour Bobo-Dioulasso, ce mardi 21 mars 2023, Adama Ganamé, consommateur, a fait une escale à « Soumbaladougou » pour se ravitailler. Celui qui dit s’être renseigné sur les valeurs nutritives et sanitaires du soumbala confie en consommer depuis une dizaine d’années au détriment de certaines épices qui, pour lui, sont sources de nombreuses maladies, notamment cardiovasculaires. « Cela fait une dizaine d’années que je ne consomme pas des épices comme le cube maggi mais plutôt le soumbala. Chaque fois que je suis de passage sur cet axe, je m’en procure ici parce que je le trouve mieux que ces cubes maggi qui nous causent beaucoup de maladies comme la tension artérielle », explique-t-il. Pour Idrissa Badini, cet autre passager de retour de Niangoloko, qui a marqué un arrêt à Tapogodéni pour s’acheter le soumbala, cette épice donne un bon goût particulier à la sauce en plus d’être un bon remède contre la tension artérielle. « J’ai abandonné la consommation des cubes maggi pour n’assaisonner ma sauce qu’avec cette épice traditionnelle », renchérit-il.
Une activité génératrice de revenu
Grâce à la production du soumbala, Mariam Ouattara confie avoir de quoi subvenir à ses besoins et assister son époux dans les dépenses familiales. « Avant, c’était difficile de s’acheter un bon pagne. Mais depuis que je suis dans la fabrication du soumbala, je gagne bien ma vie. Sur une tine de graine de néré que j’achète à 10 000 F CFA, je peux me faire un bénéfice de 2 000 à 3 000 F. Désormais, je me prends en charge sans forcément attendre que mon mari s’occupe de moi », soutient-elle toute fière. Mieux, Mme Ouattara confie avoir acquis une motocyclette avec ses économies. Donké Ouattara n’a pas pu s’acheter une motocyclette, mais elle confie que la production du soumbala lui a permis de sortir de la pauvreté. « Avec ce que je gagne, je parviens à faire face à mes propres dépenses, à soutenir mon mari dans la scolarisation des enfants. J’ai même pu acheter des chèvres pour l’élevage », se félicite-t-elle. Victime d’un accident à la suite duquel elle a eu une fracture au bras droit, Sali Traoré, pour ne pas quitter le cercle du soumbala, s’est muée en commerçante de cette épice. « Avec mon accident, je n’arrive pas à produire le soumbala. C’est pourquoi je me suis résolue à sa commercialisation. J’en achète depuis trois ans avec celles qui produisent pour revendre ici au bord de la voie », narre la commerçante. Sur ses étals, au bord de la Route nationale 7 (axe Bobo-Dioulasso-Banfora-Niangoloko-Frontière de la Côte d’Ivoire), Mme Traoré dit tirer son épingle du jeu, même si son souhait est de reprendre, le plus tôt possible, la fabrication du soumbala. « Je souhaite ardemment reprendre la production parce que le bénéfice de la vente n’est pas aussi important que celui de la production », précise-t-elle. Elève en classe de 2de à Toussiana, Siata Ouattara, pendant les congés ou les vacances scolaires, vient assister sa maman dans la vente au bord de la voie. « Pendant les vacances et congés, je viens aider ma maman à vendre afin de lui permettre de vaquer à d’autres occupations et me faire de l’argent pour la rentrée », fait savoir la jeune scolaire.
« Très riche en protéines »
Pour le nutritionniste en service à la direction régionale de la Santé et de l’Hygiène publique des Hauts-Bassins, Mohamed Ouédraogo, le soumbala est un condiment biotechnologique qui regorge de nombreuses vertus nutritionnelles et sanitaires. Citant une étude de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), M. Ouédraogo révèle que 100 g de soumbala apportent à l’organisme humain, 432 calories et contiennent 36,5mg de protides, 28,8g de lipides et 378 mg de fer ainsi que de nombreuses vitamines (B2, B1, C, PP). « Cette épice traditionnelle a un profil nutritionnel très riche en macronutriments et en micronutriments. Les macronutriments se rapportent aux protéines, aux lipides, et aux glucides. Quant aux micronutriments, ils se rapportent aux minéraux et aux vitamines. Le soumbala est très riche en protéines avec des quantités raisonnables de lipides et de glucides, en fer, en iode, en calcium en phosphore, en vitamines », soutient-il. Ces protéines, selon le nutritionniste, jouent un rôle structural au niveau musculaire, cutané et facilitent le transport de l’oxygène dans l’organisme humain. Les glucides et les lipides contenus dans le soumbala constituent ce que Mohamed Ouédraogo appelle « le carburant le plus efficace et le plus rapide » disponible pour l’homme. Le fer que contient cette moutarde africaine, aux dires de Mohamed Ouédraogo, participe à la formation des globules rouges et de nouvelles cellules et permet ainsi de prévenir l’anémie. Le spécialiste de la nutrition conseille ainsi le soumbala aux femmes enceintes pour compenser le manque de fer et aux enfants souffrant de malnutrition. Le soumbala, pour les nutritionnistes, est lié au développement durable en ce sens que cette moutarde participe à une qualité alimentaire et à une bonne nutrition des populations ainsi qu’à la prévention de nombreuses pathologies. « Certaines propriétés médicinales, comme le révèlent les études de Coulibaly et al, en 2017, sont attribuées au soumbala qui, par exemple, permet de baisser la pression artérielle ou de normaliser l’hypertension artérielle », conclut Mohamed Ouédraogo. Selon le docteur en biologie appliquée et modélisation des synthèses biologiques, Christine Kando, les femmes dans les villages font ce qu’on appelle la production spontanée. « Mais les recherches scientifiques ont permis de contrôler cette production pour garantir un minimum d’hygiène et la qualité de ce condiment issu de la biotechnologie », confie-t-elle. Le soumbala, poursuit Dr Kando, est un produit fermenté, nécessitant donc l’implication de micro-organismes pour sa fermentation. La recherche, foi de celle qui est aujourd’hui à la retraite, a consisté à étudier le consortium de micro-organismes qui interviennent dans la fermentation de cette épice pour s’intéresser à ceux qui ont un effet positif de sorte à contrôler la fermentation qui est « une étape très délicate ».