Le Président de la Transition, le capitaine Ibrahim Traoré, a accordé une interview à la Radiodiffusion Télévision du Burkina (RTB) et à Canal 3, diffusée le jeudi 4 mai 2023 sur les antennes de la télévision nationale. Dans cette interview de plus d’une heure, le chef de l’Etat a abordé plusieurs sujets, parmi lesquels la situation sécuritaire, la mobilisation générale et la mise en garde, les velléités de déstabilisation du pouvoir actuel, les volontaires pour la défense de la patrie, les droits de l’homme, etc.
Question (Q.) : Après plus de sept mois au pouvoir, comment vous-vous sentez avec cette tâche titanesque de reconquête du territoire national ?
Capitaine Ibrahim Traoré (C.I.T.) : Merci à vous ! Comme vous l’avez si bien dit, c’est une lourde responsabilité, une tâche titanesque due au contexte sécuritaire difficile. Mais nous rendons grâce à Dieu. Jusque-là, nous tenons bon et nous pouvons dire que nous sommes galvanisés et l’espoir est là parce qu’à l’analyse de la situation actuelle et vu donc l’itinéraire emprunté, nous sommes convaincus que nous sommes sur la bonne voie. Vu aussi ce que le peuple nous laisse voir, cela nous motive.
Q : Lors de votre première grande interview avec la presse, vous affirmiez que la guerre n’avait pas encore commencé, c’était en début février. Aujourd’hui où en sommes-nous ? La guerre a-t-elle commencé ?
C.I.T. : Je vois qu’il y a eu beaucoup de polémiques autour de la question. Je peux dire aujourd’hui que nous sommes à l’introduction. Nous avons introduit la guerre. Mais pour l’instant, ça a été introduit avec des opérations que vous pouvez constater çà et là. Des phases plus intenses viendront au fur et à mesure que nos capacités opérationnelles et surtout logistiques vont monter.
Q : Ces derniers temps, l’armée mène régulièrement des frappes aériennes contre les positions des terroristes. La guerre est-elle seulement aérienne ?
C.I.T. : Non, la guerre n’est pas seulement aérienne. Mais, ce sont plusieurs phases que je ne peux pas vous décrire ici. C’est tout un plan qui est là. Il y a une phase importante. Pour chaque étape, vous allez sentir les changements. Aujourd’hui, certes, il y a beaucoup de frappes aériennes, mais au sol, les troupes progressent. Comme vous pouvez le constater, très souvent, elles sont à l’offensive vers l’ennemi. Ce n’est pas uniquement aérien, mais nous avons besoin de cette phase pour le renseignement et l’appui.
Q : Parlant de la guerre et de sa mission, beaucoup n’approuvent pas cette stratégie. Elle est couteuse aux Burkinabè. Comment vous expliquez cette option ?
C.I.T. : La guerre, nous ne l’avons pas choisie. Elle nous a été imposée. Nous la ferons. La guerre n’est pas plus couteuse que nos vies que nous perdons. Donc il faut la faire. C’est la seule option. Je ne sais pas si vous avez des présomptions, mais pour nous c’est la guerre. On nous a attaqués, on se défend et nous allons défendre notre territoire vaille que vaille.
Q : Quelle est la situation sur le terrain quand on voit toutes ces offensives qui sont menées par l’armée burkinabè ?
C.I.T. : Il faut reconnaitre que les Forces de défense et de sécurité (FDS) et les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) sont engagés. Il y a le cœur et il y a la rage. Ils sont encore plus galvanisés par le peuple. Pour avoir été sur le terrain, je sais ce que cela fait lorsqu’on se sent soutenu. Ça nous motive, ça nous galvanise, ça nous pousse vers l’avant. C’est aussi le message que nous leur passons lorsqu’on va les voir. Veiller sur leur sommeil, c’est-à-dire les populations civiles quand elles dorment ; quand elles mènent leurs activités, c’est notre mission. Tous ceux qui se sont engagés ont cela en tête.
Q : Malgré cette offensive, on a l’impression que les capacités des groupes armés terroristes sont importantes quand on se réfère aux attaques du camp des VDP de Ouahigouya et de Ougarou. Qu’est-ce que les Burkinabè doivent penser aujourd’hui ?
C.I.T. : Il faut dire que pendant longtemps, nous avons fait une erreur d’évaluer et de minimiser la menace, que ce soit l’effectif de l’ennemi ou sa capacité de nuisance. Souvent lorsque dans les centres d’opérations, nous les estimions à 100 ou 200 combattants maximum, nous faisions une erreur. Nous disions que c’était la capacité de mobilité. Certes, il y a la capacité de mobilité, mais ils sont nombreux aussi. Mais on en tue beaucoup. Nous ne sommes pas là pour faire le point de combien nous avons tué, mais nous sommes conscients qu’ils sont là. Voilà pourquoi nous sommes en train de recruter et nous équiper en conséquence.
Q : Quelle est la situation du territoire par rapport aux différentes opérations qui sont menées, est-ce que nous avons une bonne partie sous notre contrôle ?
C.I.T. : C’est une guérilla. Le terrorisme, c’est une guerre d’infiltration. Depuis certaines opérations, il y a plusieurs zones où les terroristes ne sont plus basés. Mais nous ne les considérons pas comme conquises. Comme je l’ai dit, il y a plusieurs phases. Il y a des zones où vous allez vous rendre et vous ne verrez pas de terroristes. Mais nous n’avons pas permis à des populations de repartir là-bas parce que nous attendons un certain niveau avant d’être sûrs de les sécuriser. C’est-à-dire mettre un plan en place avant de les installer. Il y a plusieurs zones où les populations sont retournées. Mais il y a des zones aussi où des populations continuent de se déplacer. Plusieurs facteurs expliquent cela. Même dans les zones libérées, on n’est pas installé. On s’installe avec un minimum de précaution. Le plus important, c’est d’attrister l’ennemi au maximum. Qu’il sente que nous n’avons plus cette idée de tergiverser. Nous sommes prêts à l’offensive. C’est la seule manière de le fragiliser et de permettre aux gens de s’installer tranquillement.
Q : L’un des constats que l’on peut faire aujourd’hui, c’est que la majeure partie des attaques importantes interviennent autour de l’organisation des grands évènements. Quelle analyse faites-vous de cette situation ?
C.I.T. : C’est bien que l’on fasse cette analyse parce que cette lutte est très grande. Ce n’est pas uniquement ceux qui combattent ici, ils ont leurs stratèges. Bien sûr avant le SIAO, il y a eu certaines attaques. Mais surtout avant le FESPACO, il y a eu de grandes attaques. Donc nous avons analysé. On savait qu’avec la Semaine nationale de la culture (SNC), il y aurait de grandes attaques. On a pris assez de dispositions. Mais nous ne pouvons pas être sûrs à 100%. C’est une guérilla, elle peut surgir de façon inopinée quelque part. Mais l’objectif global recherché par leurs relais locaux sur la toile, c’est de créer l’émotion. Les gens ont en tête que le Nègre est émotion. Si vous remarquez, après le FESPACO, ils disent sur la toile que pendant qu’il y a la guerre, ils sont en train de fêter. La SNC c’est pareil. Les relais des terroristes ne font que relayer ce genre de messages. Donc, c’est créer l’émotion au sein de la population pour que ces stratèges arrivent à leurs fins. Mais nous sommes avertis.
Q : Le renforcement des capacités de l’armée est un axe majeur pour la reconquête du territoire national. Où en sommes-nous avec la réorganisation en termes de recrutement, de formation et bien attendu, en matière d’acquisition de matériel ?
C.I.T. : Nous ne pourrons pas tout vous détailler parce qu’il y a des choses assez sensibles. Ce que nous pouvons vous dire, c’est que nous avons un concept qu’on nous a imposé qui n’est pas forcément le bon. Je prends un exemple, les conditions du dernier recrutement sont différentes de celles qui existaient depuis quelques années parce que nous nous sommes posé quelques questions simples que vous pouvez aussi vous poser. Lorsqu’on veut recruter un soldat, on nous dit qu’il faut le Certificat d’études primaires (CEP). Celui qui a le CEP, c’est juste quelqu’un qui sait lire et écrire la langue française. En quoi c’est un critère de combativité ? Lorsqu’un soldat est recruté pour avoir du galon, le certificat d’armes n°1 ou n°2, il faut impérativement qu’il sache lire et écrire en français. Nous avons compris qu’être combattant n’a rien à avoir avec les diplômes. Les terroristes tels qu’ils sont, n’ont pas le 1er diplôme militaire. Cette conception qu’on nous a imposée, nous avons vu qu’elle n’était pas la bonne et il faut la restructurer. Il faut recréer une armée qui réponde à nos attentes. Lorsque vous prenez l’exemple de Ladji Yoro (paix à son âme), c’est un officier tout fait. Il avait des centaines d’hommes qu’il menait au combat. Mais cela ne veut pas forcément dire qu’il sait lire et écrire. Ils sont pleins dans le milieu des VDP qui ont des centaines d’hommes. Il y a cette conception de la chose qu’il faut d’abord avoir. Donc il faut restructurer, réorganiser pour trouver d’autres types d’unités pour s’adapter au mode de combat de l’ennemi. L’équipement va aussi de pair avec, parce que les gens ont perverti certaines idées en insinuant que nous avons dit que ce sont des petits problèmes logistiques, mais nous les avons résolus. Quand vous prenez le côté équipement, il n’y a pas longtemps, vous aviez dans l’armée quatre à cinq soldats avec une kalachnikov. Lorsque les gens étaient sur le terrain, ceux qui partaient les relever venaient s’entasser à Fada ou Kaya pour attendre que d’autres ramènent les armes et les autres moyens d’équipement avant qu’ils ne partent. Mais en quelques mois, nous avons résolu ce problème. Aujourd’hui, chaque soldat est en mesure d’avoir une kalachnikov et ses chargeurs, un gilet et un casque. C’était ça le petit problème logistique. C’est résolu. Mais on nous a longtemps fait comprendre que c’est difficile d’avoir les armes. C’était du mensonge. Nous les avons acquises en quelques mois. Les gens sont équipés, les VDP qui sortent par milliers sont équipés avec des gilets, casques et armes. Vous les remarquez sûrement à travers des reportages sur le terrain. L’équipement tactique et stratégique va venir. Voilà pourquoi nous disons que nous sommes à l’introduction parce que nous sommes à un dixième de ce que nous souhaitons.