Décret portant mobilisation générale et mise en garde : « C’est une mesure qui se conforme à nos obligations internationales », François Yaméogo, directeur de la justice militaire
Le Conseil des ministres du jeudi 13 avril 2023 a adopté un décret portant mobilisation générale et mise en garde pour donner à l’Etat les moyens nécessaires face à la situation sécuritaire. Dans cette interview accordée à Sidwaya, le directeur de la justice militaire, le magistrat lieutenant-colonel François Yaméogo donne plus de détails sur cette mesure.
Sidwaya (S) : Dites-nous concrètement ce que signifie la mobilisation générale ?
François Yaméogo (F.Y.): Pour répondre à votre question sur la mobilisation générale, il conviendrait d’interroger le cadre légal normatif existant, pour éviter d’en sortir. Selon la loi, la mobilisation générale consiste en la mise en œuvre de l’ensemble des mesures de défense déjà préparées.
En général, la mobilisation générale est couplée à la mise en garde qui, elle, consiste, à travers certaines mesures propres, à assurer la liberté d’action du gouvernement, à diminuer la vulnérabilité des populations et des équipements principaux et à garantir la sécurité des opérations de mobilisation ou de mise en œuvre des Forces armées nationales.
La mobilisation générale, telle que prévue dans nos textes, comporte un certain nombre de dispositions à prendre par les autorités, leur conférant des pouvoirs, notamment celui de requérir les personnes, les biens et les services, le droit de soumettre à contrôle et à répartition des ressources au ravitaillement et, à cet effet, d’imposer aux personnes physiques ou morales en leur bien, les suggestions indispensables.
Enfin, elle comporte les droits d’appel à l’emploi de défense à titre individuel et collectif. Se référant donc à ce cadre normatif, je dirais que c’est un cadre constitutionnel qui donne plus de pouvoir, plus de prérogatives au gouvernement de susciter, d’organiser et d’orienter les moyens en vue de faire face à un péril en l’espèce, pour ce qui nous concerne, le péril terroriste.
S : Est-ce à dire que dans le cadre de cette mesure, l’Etat peut par exemple réquisitionner le véhicule d’un citoyen pour la lutte contre le terrorisme ?
F.Y. : L’une des possibilités que la mobilisation générale et la mise en garde offrent au gouvernement c’est bien sûr le droit de requérir. La loi dit que dans ce contexte, la mobilisation générale et la mise en garde offrent le droit de requérir les personnes, les biens et les services. Donc, s’il y a nécessité qu’un véhicule soit utilisé dans l’intérêt général, alors on va recourir aux règles de réquisition permettant à une autorité compétente de requérir un bien, une personne sous les conditions que la loi prévoit. C’est vrai que notre législation n’est pas très détaillée sur les questions de réquisition. Mais, si on renvoie aux dispositions légales générales, notamment du Code civil et autres, il y a nécessité ou besoin d’une compensation. Ce décret permettra par exemple, si l’Etat a besoin d’un véhicule d’un individu, de le demander au propriétaire qui peut dans le cadre de sa propre contribution à l’effort de guerre le donner gratuitement. S’il en a suffisamment donné ou il ne peut pas le donner, on peut le requérir, mais sous les conditions de la réquisition moyennant compensation, etc.
S : Comment va se faire la mise en œuvre du décret de façon concrète ?
F.Y. : Je dirais qu’il y a un ensemble de mesures qui doivent être prises et le décret donne compétence à certaines autorités gouvernementales de les prendre, telles que prévues dans le contenu de la mobilisation et de la mise en garde. Cela, sous le contrôle bien sûr, du Premier ministre. Un certain nombre de mesures qui entrent dans le cadre de la mobilisation générale existent déjà. Certainement que d’autres viendront parachever ce mécanisme afin d’accélérer la victoire de notre peuple sur le péril terroriste.
S : Quel sera son impact sur les libertés individuelles ?
F.Y : Si ma mémoire est bonne, il y a une disposition particulière, notamment l’article 8 du décret qui prévoit que les droits et libertés individuelles et collectives sont garantis conformément aux lois et règlements. Toutefois, il ne saurait être dérogé à certains droits. Ce qui voudrait dire qu’il y a des droits auxquels notre législation interne permet de déroger, il y a aussi ceux auxquels on ne peut pas déroger. Font partie des droits auxquels on ne peut déroger, le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à l’esclavage, à la torture, etc.
Concernant toujours cette question de droit, l’impact sur les libertés individuelles, il faut dire que le Pacte international relatif aux droits civil et politique que le Burkina Faso a ratifié prévoit qu’en cas de danger exceptionnel, de menace contre l’existence d’une Nation, l’Etat puisse prendre des mesures exigées par la situation. Il y a ce qu’on peut faire, mais aussi ce qu’on ne peut pas. Sous l’angle du Pacte international relatif aux droits civil et politique, les droits et libertés individuelles d’aller et de venir par exemple peuvent être restreints. C’est en cela qu’il y a certains gouverneurs qui prennent des mesures restreignant la circulation de certains types de motos et fixant des horaires de couvre-feu.
Cela participe à la régulation, mais également est conforme aux conventions internationales permettant à un Etat, dans le contexte qui est le nôtre, de pouvoir prendre certaines mesures. Il est évident que pour un Etat civilisé comme le Burkina Faso, le droit à la vie demeure un droit sacré auquel, aucune situation ne saurait permettre de déroger. Du reste, le Pacte international règlemente cette question. La première des conditions, c’est l’existence d’un danger public exceptionnel menaçant l’existence de la Nation. Dans le cas du Burkina Faso, les attaques terroristes affectent les populations civiles, les forces de défense et de sécurité. La deuxième des conditions exigées par le Pacte, c’est l’utilisation des pouvoirs exceptionnels à la condition que ce soit prévu par un texte national et, en l’espèce, notre Constitution le prévoit . Il y a même la loi de 1994, portant organisation générale de la défense nationale qui prévoit l’application de ces mesures lorsque les conditions comme les nôtres sont remplies. La troisième des conditions est que la mesure doit être adaptée à la situation. C’est-à-dire qu’elle doit être limitée dans le temps.
Egalement, il doit exister des mécanismes de recours. Nous savons que le décret sur la mobilisation générale prévoit la possibilité de limitation d’un certain nombre de droits. Alors, si ce mécanisme existe, il faudrait qu’on prévoie des possibilités de recours. Enfin, il y a la garantie des droits fondamentaux, à savoir le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à la torture, à des traitements inhumains et dégradants. Aucune mesure, dans le cadre de la mobilisation générale, ne saurait limiter ces droits-là.
En revanche, certains autres droits peuvent légitimement, dans le cadre de la nécessité et en vue d’atteindre les objectifs fixés, l’être. Je dirais que la question de la liberté aujourd’hui est beaucoup discutée. Il y a des « pour » et des « contre » et chacun tirera la couverture de son côté. De façon pratique, la question est très cruciale parce qu’elle est controversée entre les Burkinabè. Mais, je crois qu’il y a effectivement des craintes légitimes qui sont exprimées çà et là, notamment en ce qui concerne la liberté d’expression et de presse. Je pense que, toute raison gardée, ces libertés existent. Elles devront toujours exister quoi qu’il arrive.
Je pense seulement qu’il y a nécessité de réguler, compte tenu du contexte, des enjeux du moment et surtout en ce qui concerne le rapport de cette liberté avec la sécurité et la menace contre notre pays en ce moment. Je ne pense pas, par contre, que les limitations puissent concerner les questions de bonne gouvernance et de redevabilité qui sont dénoncées.
Cela devrait même pouvoir contribuer à la lutte contre le terrorisme. Evidemment, on se souvient que dans l’ancien temps, selon des témoignages d’anciens, lorsqu’il y avait péril dans le village, tout le monde se mobilisait pour y faire face et parmi les mesures prises, il y avait nécessité que certaines choses soient proscrites. Elles pouvaient même comprendre l’interdiction de faire du bruit à l’approche par exemple d’une bête sauvage qui écume les biens du village et contre laquelle les villageois se mobilisent. L’intérêt de s’accorder sur l’essentiel est évidemment de pouvoir vaincre cette bête. La moindre inattention ou le moindre bruit pourrait l’amener à s’enfuir, à repartir d’où elle est venue et puis peut-être revenir au moment où il y a le moins d’attention possible.
Alors, ils étaient en veille et mobilisés pour l’attendre. Il y a des exemples dans nos villages. Il y a des témoignages à profusion qui traitent de la mobilisation, de l’organisation pour éradiquer des fléaux, pour vaincre certains maux dans nos sociétés traditionnelles anciennes. Je crois que la situation aujourd’hui ne peut pas être isolée. Nous sommes dans un contexte où nous avons besoin de tout le monde, où il y a une certaine nécessité de limiter parfois certaines libertés dans l’intérêt de lutter contre le terrorisme.
Je rappelle encore qu’il y a certaines libertés qui ne sauraient être restreintes au regard d’abord de notre législation nationale, mais également de nos engagements internationaux.
S : Comment ce décret va-t-il améliorer les capacités des autorités à répondre au défi sécuritaire actuel ?
F.Y. : Le décret qui vient d’être adopté, en termes de capacité, est un moyen indispensable qui se fonde d’abord sur nos règles internes, mais aussi sur nos obligations internationales, notamment celles contenues dans le Pacte international. La lutte contre le terrorisme n’est pas seulement que militaire, c’est une question transversale. Le décret qui vient d’être adopté en Conseil des ministres va non seulement donner un cadre juridique à l’ensemble des actions de mobilisation qu’il encadre, mais aussi à assurer la cohérence, l’efficience des actions au sein du gouvernement. Ce décret va renforcer la transparence des mesures qui sont prises ou qui seront prises sous le timbre de la nécessité.
S : Combien de temps va durer cette mobilisation ?
F.Y. : La première disposition du décret dit qu’il est décrété la mobilisation et la mise en garde pour une période de 12 mois en vue de défendre l’intégrité du territoire national, de restaurer la sécurité sur l’ensemble du territoire et d’assurer la protection des populations et de leurs biens contre la menace et les actions terroristes. C’est une mesure qui est limitée dans le temps, elle se conforme à nos obligations internationales.