Aimé Macaire Ouédraogo sur Melegue Traore: » Il a tempérament, fait d’une certaine légèreté et du besoin insatiable de se vanter, de se donner toujours le rôle du « sachant» »
Ceci est une réaction de Aimé Macaire Ouédraogo, Président de l’Audience des Jeunes Cadres de l’UNDD sur les propos de M Melegue Traore à l’émission de BF1 Atelier de la République sur le processus démocratique au Burkina Faso.
La chaîne de télévision BF1 a pris l’heureuse initiative d’organiser une série d’émissions didactiques sur l’expérience démocratique du Burkina Faso au cours des décennies post- indépendance, associant des étudiants et des personnalités invitées pour exposer leurs connaissances sur ces périodes de la vie politique de notre pays. . Sous le titre « L’Atelier de la République », ces émissions ont le grand mérite d’informer les burkinabè et particulièrement les jeunes générations des réalités de ce passé proche, de manière objective et dans un climat qui laisse peu de place aux passions politiques de ces époques, comme à celles d’aujourd’hui.
L’édition du 26 janvier 2023 était consacrée au régime de Blaise Compaoré. Mélégué Traoré, qui était l’un des invités, probablement le plus âgé, mais assurément le moins sage, s’est livré à une série d’attaques aussi fallacieuses que gratuites contre le Président de la première République, Maurice Yaméogo, lesquelles appellent une mise au point, dictée par le souci de rétablir la vérité.
Toujours prompt à se faire valoir en dénigrant les autres, Mélégué Traoré s’est présenté, avec la manie qu’on lui connait, comme le plus fin connaisseur de l’Histoire politique de ce pays. Lorsqu’il n’était pas le protagoniste majeur des évènements, il en était l’inspirateur, ou le témoin, jusque pour la période de l’immédiat après Indépendance, sur laquelle il prétend livrer un témoignage politique personnel, alors même qu’il n’était manifestement à l’époque qu’un adolescent frais émoulu de l’école primaire de son village.
C’est ainsi qu’il affirme, avec la tranquille assurance de celui qui a vu ces choses se dérouler sous ses yeux, que sous la présidence de Maurice Yaméogo tous les opposants étaient en prison. Personne ne nie que dans cette période la Haute Volta, comme tous les pays de la sous-région, vivait sous un régime de parti unique de fait. Mais il est faux de prétendre que Maurice Yaméogo avait emprisonné tous ses opposants.
Joseph Ki-Zerbo, comme le leader du Mouvement de Libération Nationale (MLN), hostile au pouvoir en place, exerçait la fonction de professeur au lycée Philipe Zinda Kaboré. Son épouse, Jacqueline Ki-Zerbo était directrice du Cours Normal de jeunes filles de Ouagadougou. Elle n’a été interpelée brièvement que pendant les évènements du 3 janvier 1966, considérée comme l’une des instigatrices de ces mouvements.
Gérard Kango Ouédraogo était ambassadeur en Grande Bretagne. Joseph Ouédraogo, trublion de l’époque, qu’on n’appelait pas encore Jo Weder, avait connu des périodes d’éloignement temporaires à Gorom-Gorom et à Koudougou, dans des conditions clémentes qui correspondaient à l’esprit de l’époque. Rien à voir avec le camp Boiro, ou avec les mœurs violentes et expéditives que le Burkina a connu par la suite.
Enfin, seul Nazi Boni avait fait le choix de l’exil. Faut-il le rappeler, c’est sous la révolution que Ki-Zerbo et de nombreux autres citoyens se sont vus contraints de chercher refuge à l’étranger, y compris l’ancien Président de la transition Michel Kafando . On peut critiquer l’absence liberté politique sous le régime de Maurice Yaméogo, mais certainement pas la répression systématique, l’emprisonnement et l’assassinat des opposants. Tels sont les faits. Il ne faut pas les dénaturer et les caricaturer, surtout lorsqu’on est supposé faire œuvre de pédagogie envers les jeunes générations.
Mélégué Traoré déclare que Maurice Yaméogo était hostile à l’indépendance de la Haute Volta, parce qu’il aurait déclaré qu’un pays qui n’était même pas capable de fabriquer une aiguille ne devait pas prétendre à la souveraineté. On a souvent entendu cette rhétorique, qui est prêtée tour à tour à plusieurs de ceux que l’on a fini par reconnaître comme les « pères de l’Indépendance ».
Il est communément admis que dans la décennie des années 1950 à 1960 tous responsables politiques des territoires sous domination coloniale avaient conscience que leurs pays respectifs devaient évoluer vers une forme d’autonomie conduisant inéluctablement à l’indépendance. Tout le débat, très vif, portait sur le calendrier de cette marche vers l’émancipation, la nature des relations avec l’ancienne puissance coloniale et la position des nouveaux Etats dans la lutte d’influence qui se mettait en place entre les deux blocs : le camp des démocraties occidentales et celui des démocraties socialistes.
Ce qui reste constant, c’est que c’est bien à Maurice Yaméogo qu’est revenu le privilège historique de proclamer l’Indépendance de la Haute Volta. Prétendre qu’il l’aurait fait à contrecœur est non seulement inexact, mais relève d’une malveillance inexplicable et mesquine.
Dans la même veine, procédant par une insinuation qui n’est étayée par aucun élément de preuve, Mélégué Traoré jusqu’à laisser entendre que la décision historique qui a été prise par Maurice Yaméogo de ne pas accepter le maintien de bases militaires françaises sur le territoire voltaïque, lui aurait été dictée par certains groupes de pression français.
C’est le comble. Tous les observateurs et les protagonistes de ces évènements s’accordent à dire que c’était une décision ferme et irrévocable du Président de la Première république, qui s’est opposé sur ce point aux objurgations de ses pairs et amis du Conseil de l’Entente.
De manière allusive, comme à son habitude, Mélégué Traoré qui était dans le secret des affaires d’Etat dès son enfance, ou qui aurait eu accès à des archives confidentielles révélées à lui seul, établit un lien insidieux entre cette décision concernant les bases militaires et l’expulsion brutale du premier ambassadeur de France par le Président Yaméogo.
Là aussi, quand on affirme de telles choses devant un large public qui peut être porté à prendre pour argent comptant ce qu’on lui raconte , il faut observer un minimum de prudence et prouver ses dires. De ce que savent les personnes qui ont suivi ces évènements de près, le Président Yaméogo reprochait à Paul Masson (dont le titre exact était : Haut-Commissaire représentant le Président de la Communauté française auprès de la République de Haute Volta) de s’être immiscé dans les affaires politiques internes du pays, suivant en cela une pratique nocive qui était courante dans l’administration coloniale.
En somme, il avait tardé à s’adapter à l’attitude de réserve qu’exigeait de sa part le nouveau contexte. Il n’y avait aucun secret derrière cette affaire. D’autant que, comme il en avait l’habitude, c’est tout le peuple voltaïque que le Président Yaméogo avait pris à témoin, en expliquant avec véhémence à la radio les raisons qui l’amenaient à exiger le départ immédiat de l’intéressé. Ce qui fut fait sans que le gouvernement français y trouvât à redire.
En définitive, que cela plaise ou non, Maurice Yaméogo restera dans la mémoire collective comme celui qui a d’abord proclamé la République de Haute Volta le 11 décembre 1958, date symbolique retenue pour la commémoration de la fête Nationale. Il est ensuite celui qui a proclamé l’Indépendance de la Haute Volta le 5 aout 1960, autre date fondatrice de la vie nationale. Ces moments solennels et les faits rappelés ci-dessus montrent qu’il était, par-delà les critiques que l’on a pu faire à sa gestion du pouvoir, un nationaliste intransigeant. Il a jeté les bases de l’organisation administrative du pays, lancé les organismes régionaux de développement (ORD) et initié une diplomatie active à l’échelle sous-régionale, comme sur le plan mondial. Puisque la présente discussion part d’une émission de télévision, c’est le lieu de rappeler qu’à l’initiative de Maurice Yaméogo, la Haute Volta a été le premier pays de l’Afrique au sud du Sahara à créer une télévision nationale le 5 aout 1963, avant des Etats plus nantis comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Cameroun. Ce qui lui valut de nombreuses critiques de la part de ceux qui considéraient que c’était une fantaisie couteuses pour un pays aussi pauvre. Visionnaire et adepte d’une modernisation rapide de son pays, Maurice Yaméogo y voyait au contraire un moyen de communication, d’échanges et d’éducation populaire d’avenir. L’avenir lui donnera raison.
Quelles conclusions peut-on tirer de tout cela ?
Il n’est même pas sûr que Mélégué Traoré ait un grief particulier contre le Président Maurice Yaméogo. Pas plus qu’il n’en avait contre Blaise Compaoré, qu’il s’est plu, pourtant, à dénigrer dans certaines circonstances, parce que c’était l’air du temps.
C’est son tempérament, fait d’une certaine légèreté et du besoin insatiable de se vanter, de se donner toujours le rôle du « sachant », en pimentant ses propos par des attaques contre l’un ou l’autre. Au cours de cette émission, il reprochait au Président Blaise Compaoré de n’avoir pas su quitter le pouvoir quand il était temps. Dans son cas, Mélégué Traoré doit apprendre à réfléchir avant de parler, pendant qu’il est encore temps, pour ne pas laisser l’image d’un homme volubile, un tantinet affabulateur, à tendance égocentrique.
Mais la conclusion la plus importante est que, dans une période où notre pays semble avoir perdu ses repères, ses références, le sens de son Histoire, nous devons accepter avec humilité de reconnaître et de rappeler que chacun de ceux de nos compatriotes qui ont eu la lourde charge de présider aux destinées de notre Nation, s’est efforcé de servir le pays au mieux de ses capacités, en fonction des circonstances et des contraintes de son époque. Cela est vrai pour le premier Président de la République, Maurice Yaméogo, comme pour ceux qui l’ont suivi. Le temps de l’Histoire viendra, pour dire ce qui restera de l’œuvre de chacun et de la marche du peuple burkinabè vers son destin.
En attendant, celles et ceux qui ont vocation, à des titres divers, de transmettre le relais de ce passé aux jeunes générations doivent s’efforcer de le faire dans la vérité et l’objectivité, avec sérieux, sans vanité déplacée, en ayant pleinement conscience de leur responsabilité.
Aimé Macaire OUEDRAOGO
Président de l’Audience des Jeunes Cadres de l’UNDD