L’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE-LC) du Burkina Faso s’est lancée depuis plusieurs mois dans une vaste opération d’audit des institutions publiques. Cette opération a touché l’Assemblée nationale, une structure jamais auditée au Burkina Faso. Cependant l’opinion publique reste suspendue à la question de l’audit de la « grande muette », l’Armée.
Par Daouda Kiekieta
De l’ « Opération mains propres » lancée sous le président Roch Kaboré aux vastes audits lancés en mars 2022 par l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE-LC) sous l’impulsion du pouvoir de Paul Henri Damiba, aucune institution ne semble échapper, sous des régimes différents, à la ferme volonté des autorités burkinabè d’assainir la gouvernance publique.
Le 9 mars 2023, l’ASCE-LC a animé, à Ouagadougou, une conférence de presse au cours de laquelle elle a présenté le rapport d’audit de trois grandes institutions que sont la Présidence du Faso, l’Assemblée nationale et la Primature.
Lors de cette rencontre, le Contrôleur général d’Etat, M. Philippe Nion a rappelé que l’ASCE-LC est compétente pour contrôler toutes les Institutions de l’Etat sans exception.
Ainsi, l’Assemblée nationale est passée à la loupe de l’ASCE-LC, même si la méthode a été contestée par certaines personnalités dont le président de l’Assemblée nationale à l’époque, Alassane Bala Sakandé.
C’est la première fois que cette structure législative fait l’objet d’un audit. Cet audit a concerné la période de gestion 2018-2021, correspondant à une partie du mandat de l’ex-président Bala Alassane Sakandé.
Ce dernier a même attaqué la procédure en justice en introduisant le 15 avril 2022 un recours au Tribunal administratif. Le 21 février 2023, le tribunal a déclaré ledit recours irrecevable et a rejeté la question « préjudicielle » soulevée par les avocats de M. Sakandé.
Qu’à cela ne tienne, M. Philippe Nion, Contrôleur général d’Etat, a révélé dans le rapport d’audit que plus de 13 milliards de F. CFA ont été dépensés d’une manière irrégulière à l’Assemblée nationale courant 2018-2021.
En plus de cela, le rapport a également montré des irrégularités occasionnant une incidence financière de plus de 695 millions de F. CFA à la Présidence du Faso entre 2020-2021 et plus de 2 milliards F. CFA d’irrégularités cumulées à la Primature.
La grosse interrogation reste l’audit de l’Armée burkinabè
La grande « muette », comme on l’appelle, reste jusque-là à l’écart de cette vague de contrôles. Plusieurs fois, des journaux d’investigation burkinabè ont révélé des cas de détournements de fonds au sein de l’institution militaire.
En novembre 2021, la sanglante attaque terroriste contre la position de l’armée à Inata, dans la province du Soum, avait mis à nu de graves dysfonctionnements au sein de l’armée et faisait peser des soupçons de détournements de deniers publics au niveau de l’institution militaire.
Pour sa part, le Contrôleur général d’Etat, M. Nion a annoncé que l’armée sera auditée. Malgré ces annonces tous azimuts, Libreinfo.net constate que le processus n’a pas encore abouti. Pire, des ordinateurs de l’enquêteur principal de l’ASCE-LC avaient été volés alors que celui-ci auditait le ministère de la Défense, selon le journal d’investigation Le Reporter.
Le 25 novembre 2021, le colonel-major Wendwaoga Kéré avait été confirmé Inspecteur général des Forces armées nationales (IGFAN) quelques semaines après l’attaque d’Inata. Lui qui a longtemps dirigé l’intérim de l’institution.
Cette nomination avait donné l’espoir à plus d’un car il est censé être un maillon important avec qui l’ASCE-LC doit travailler. Cependant, il est remplacé par le Général de Brigade Mady Savadogo sous la Transition dirigée par Paul Henri Damiba. L’ASCE-LC est censée travailler avec l’IGFAN dans le cadre de cet audit.
L’exemple réussi au Niger et au Mali doit inspirer le Burkina Faso
En février 2020, un audit mené par l’inspection générale des armées nigériennes sur les commandes d’équipements militaires avait révélé 48 milliards de F. CFA de surfacturations et 28 milliards de F. CFA de matériels non livrés, soit un total de 76 milliards de F. CFA détournés entre 2014 et 2019.
Cinq principaux fournisseurs avaient été inculpés dans ce scandale qui avait défrayé l’actualité au Niger. Cependant, une solution à l’amiable avait été trouvée en décembre 2021 entre les inculpés et l’État du Niger.
Les deux parties ont convenu de compensations financières entre les créances de l’État du Niger et celles des fournisseurs.
Du coup, l’État nigérien avait renoncé à se constituer partie civile dans cette affaire, malgré les dénonciations de l’opposition politique et de la société civile.
En septembre 2021, le Président de la Transition malienne, le colonel Assimi Goïta, avait mis en place une commission d’audit, dans le cadre de la lutte contre la corruption.
Cet audit avait permis de dresser une liste de 100 opérateurs de fourniture d’équipements militaires et de prestations de services. Beaucoup d’entre eux ont été contraints de rembourser les sommes indûment encaissées, dans une procédure extrajudiciaire.
Cette pédagogie qui vise à verser des compensations financières plutôt que de se soumettre à une procédure judiciaire s’est avérée payante. Plusieurs dizaines de milliards de F. CFA avaient été ainsi récupérées et reversées dans les caisses de l’Etat.
Au Burkina Faso, cette méthode pourrait être utilisée si nécessaire. Encore faudrait-il que l’audit de l’armée, tant attendu par l’opinion, soit d’abord réalisé.