Fousseni Kindo est un journaliste, présentateur du journal télévisé de 20h sur la télévision nationale du Burkina. Il fait partie des journalistes burkinabè qui ont une bonne connaissance des œuvres d’art. Libreinfo.net a rencontré ce journaliste critique pour décrypter la 28e édition du FESPACO et des films en programmation.
Propos recueillis par Valérie Traoré
Libreinfo.net : Comment trouvez- vous l’organisation de ce FESPACO ?
M. Fousseni Kindo : Pour cette 28e édition du FESPACO les petits plats sont mis dans les grands pour que la fête soit belle.
Et tout ceci est à l’actif du Comité national d’organisation qui a commencé à travailler depuis au moins trois semaines avant l’ouverture officielle de la cérémonie. En trois semaines, l’exploit qu’ils ont pu réaliser sur le terrain est à saluer.
Mais, derrière tout ce gros travail il faut voire la présence d’une grande équipe de l’administration du FESPACO qui a travaillé depuis l’édition de 2021 à aujourd’hui pour que le Comité national d’organisation puisse prendre la relève.
Et je crois que les contributions des uns et des autres ont permis de donner une ouverture officielle du FESPACO à la taille de l’évènement.
Personnellement, j’ai bien aimé le spectacle d’ouverture concocté par l’immense chorégraphe burkinabè de renommée internationale Serge Aimé Coulibaly.
« I have a dream » est le titre du spectacle, et effectivement, il nous a vendu du rêve, il nous a fait rêver, il nous a fait espérer, il nous a fait prendre conscience que malgré les difficultés, malgré les épreuves que nous traversons aujourd’hui, il est temps pour nous de pouvoir être résilient, de pouvoir résister et de pouvoir continuer parce que demain sera meilleur d’aujourd’hui.
Libreinfo.net : Comment appréciez-vous les films en programmation?
M. Fousseni Kindo : Il y a plus de 170 films qui sont sélectionnés pour les différentes catégories de cette édition du FESPACO et à côté il y a aussi des films d’amateurs pour ne pas dire des films qui ne sont pas en compétition.
Dans l’ensemble, pour la sélection officielle, la catégorie long métrage fiction, vous avez quand même pas mal d’individualités qui se dégagent du lot.
Quand on prend, par exemple, le film « Sira » de notre compatriote Apolline Traoré, on voit un effort d’amélioration au niveau du décor, une amélioration au niveau de la mécanique de fabrication même du film, on sent le cinéma et on sait que c’est du cinéma.
Pour ceux qui savent un peu décoder, on peut voir que les intentions de la réalisatrice sont fondées sur une écriture cinématographique et ce sont de belles images.
Elle a tourné en Mauritanie mais tant qu’elle ne vous le dit pas ce n’est pas évident que vous le sachiez. Vous croiriez peut être que c’est dans les dunes de Oursi ou peut être dans l’Oudalan, au Burkina Faso ou encore quelque part au Mali ou au Niger.
Le thème abordé dans ce film, c’est un thème qui est aussi en rapport avec l’édition du FESPACO qui est «Cinémas d’Afrique et culture de la paix » qui veut dire que le cinéma, pour ces créateurs, pour ces réalisateurs, peut être un puissant moyen sur lequel on peut s’appuyer pour arriver à réaliser la paix.
Libreinfo.net : Pensez-vous que le Burkina Faso a des chances dans cette édition?
M. Fousseni Kindo: Tout à fait ! Quand J’ai regardé « Sira » de Apolline Traoré, je me dis qu’au moins cette fois-ci le Burkina Faso peut espérer à un Etalon d’Or après Idrissa Ouédraogo et Gaston Kaboré.
Certainement que l’Etalon de Yennenga cette année va se conjuguer au féminin et il sera burkinabè ; c’est tout notre souhait.
J’ai vu le film, c’est un très beau film, qui peut, bel et bien, espérer obtenir l’Etalon de Yennenga.
Libreinfo.net : Qu’est-ce que le FESPACO apporte au Burkina dans un contexte de crise sécuritaire ?
M. Fousseni Kindo : d’abord il faut reconnaître que le FESPACO est créé pour favoriser la diffusion des images de l’Afrique produites par les Africains pour promouvoir le continent dans le monde.
Le FESPACO est un festival qui met en avant le brassage d’idées, de cultures et pour contribuer à la réalisation du développement social, économique et pour réaliser la diversité.
Le FESPACO, en temps de guerre au Burkina Faso, n’est qu’un outil de résilience, un outil pour résister à l’œuvre du temps, à l’œuvre de ceux qui pensent qu’ils peuvent décider de notre sort et du destin de tout un peuple ou de tout un continent ou d’une sous-région donnée.
Donc aujourd’hui, parvenir à tenir le FESPACO en temps de guerre pour le Burkina, je trouve que c’est tout à l’honneur du pays. Surtout, c’est une bonne chose qui fait comprendre que nous devons être résilients.
Il faut préciser que malgré un certain nombre de contextes difficiles le FESPACO s’est toujours tenu au Burkina Faso.
Nous avons tenu des FESPACO ici en plein coup d’Etat où nous étions obligés de lever le couvre-feu en vigueur pour permettre aux gens d’aller regarder les films et, ensuite à la fin du FESPACO, de remettre le couvre-feu.
Si on n’a pu faire cela à cette période, ce n’est pas aujourd’hui qu’on pourrait démentir cette notoriété de faire en sorte que le cinéma soit un outil de résilience, un outil pour les peuples de pouvoir avancer.
Libreinfo.net : Quels sont les films que vous avez déjà vus et quelles sont vos analyses sur la qualité de ces films?
M. Fousseni Kindo : il y a « Sira » de Apolline Traoré que j’ai suivi, il y a aussi un film intéressant en documentaire que j’ai suivi d’une réalisatrice sénégalaise, Katy Léna Ndiaye, titré « Une histoire du franc CFA » qui est un très beau film, un film intellectuel, un film qui permet de pouvoir réfléchir.
C’est une proposition d’une réalisatrice qui pousse à la réflexion sur une monnaie coloniale qui, aujourd’hui, est une monnaie décriée par de nombreux Africains qui se servent de cette monnaie.
C’est une monnaie d’asservissement pour certains mais aussi une monnaie qui permet de maintenir le joug colonial sur l’économie des pays africains qui l’utilisent.
Le film invite à une réflexion, à l’action ; il invite à des perceptives de voir qu’est-ce que nous voulons pour nous-mêmes comme Thomas Sankara le disait : « Le développement ne consiste pas à faire comme les autres le font mais de se définir pour soi ce qu’on estime de meilleur ».
Si on estime que le franc CFA ne fait pas notre affaire c’est de pouvoir quitter le franc CFA et de pouvoir créer notre monnaie. Et tout cela a été dit dans le film et ainsi que les conséquences que ça peut comporter comme un intérêt et des perspectives pour l’économie de bien de pays qui utilisent le franc CFA. Tout cela a été décrypté dans le film.
Il y a aussi un autre film que j’ai regardé et qui m’a beaucoup intéressé ; c’est un film de Kader Allamine, un réalisateur tchadien.
C’est un film documentaire, un long métrage intitulé « Amchilini » en arabe qui veut dire «Choisis-moi » en français ; il explique une cérémonie où c’est une sorte de foire qui permet aux jeunes filles célibataires du village de venir se choisir des maris au cours de ladite cérémonie.
Tout comme également on permet aux hommes de venir se choisir une deuxième, une troisième ou une quatrième épouse parce que l’histoire se passe dans une zone fortement islamisée et pour les musulmans la polygamie étant admise. Un homme a quatre femmes comme limite de nombre de femmes au foyer.
Dans le film, c’est le message véhiculé qui m’a captivé. Dans le film, il y a une partie qui a attiré mon attention, c’est lorsqu’une femme dit : « Nous ne voulons pas de mari, nous voulons la liberté, nous voulons l’émancipation, nous voulons le savoir.»
Ce qui veut dire qu’aujourd’hui on ne renie pas les traditions mais nous voulons nous appuyer sur ces traditions, nos héritages, comme patrimoine pour avancer. Donc, de savoir oser inventer l’avenir.
C’est un très beau film en termes de décor, d’images et de son ; on voit que c’est vraiment un film qui permet de perpétuer les héritages.