Être conducteur de taxi-moto est un métier très prisé à Tenkodogo, grande ville de la région du Centre-Est du Burkina. Malgré l’insécurité grandissante dans cette partie du pays en proie aux attaques récurrentes des groupes armées terroristes, ce métier de conducteur de taxi-moto reste rentable. Certes, cette activité connaît cependant un net ralentissement à cause de l’insécurité. Comment les conducteurs de taxi-motos à deux roues parviennent-ils à s’en sortir et quels sont les risques courus dans cette ville ? Reportage de Libreinfo.net dans la ville de Tenkodogo.
«Un jour, j’ai pris en charge un client à la gare. C’était la nuit. Au-delà de 20h. Il m’a demandé de le conduire au camp militaire situé à la sortie de la ville, côté sud. Nous savons ici, à Tenkodogo, qu’il est interdit de stationner devant le camp.
Ce sont, eux, les FDS (Forces de défense et de sécurité) qui assurent notre sécurité. Ils ont leurs mots de passe qu’ils se transmettent entre eux et que nous, civils, nous ignorons.
Mon client m’a dit simplement qu’il était un soldat, sans me présenter sa pièce d’identité. Je n’ai pas les moyens de vérifier cela. Alors que connaître l’identité de nos clients contribue aux renseignements pour une meilleure collaboration avec les FDS dans le cadre de la lutte contre l’insécurité.
J’ai eu peur. Mais, j’ai pu effectuer la course. A mes risques. Ainsi, un incident ou une bavure pouvait vite m’arriver » raconte M. Roland Minoungou (nom d’emprunt).
Il est 10h, la ville est animée malgré un ciel couvert de suspension poussiéreuse. Le métier de conducteur de taxi-moto à deux roues a vu le jour ici, depuis quelques années.
Il est rentable. Malgré l’interdiction de surcharge, les conducteurs continuent de prendre deux clients à la fois sur leurs motos à deux roues.
M. Judicaël Sawadogo, un autre conducteur de taxi-moto, me dit être dans le domaine depuis 2011 après son retour de la Lybie d’où il a été expulsé de son aventure.
Il réparait sa moto tombée en panne chez un vulcanisateur alors qu’attendait à côté son client. Il se lève dès l’aube pour son job et ne rentre souvent qu’après minuit.
Actuellement, il n’y a pas assez de clients et le marché est faible. La cause évoquée, c’est l’insécurité vécue dans la région du Centre-Est.
« L’insécurité est notre difficulté à l’heure actuelle. Le client que nous transportons, nous ignorons son identité et sa personnalité. On ne peut également, au regard de l’insécurité, exiger sa pièce d’identité avant de l’embarquer.
Après l’avoir déposé à destination, le retour aussi constitue une peur. Nous sommes à l’ère du téléphone portable et facilement un méconnu client peut appeler un malfrat qui pour t’agresser en cours de route », explique-t-il.
La crise sécuritaire affecte sérieusement leurs activités. Auparavant, ils conduisaient leurs clients jusqu’à la frontière togolaise, dans des villages du Koulpelogo et d’autres localités du Boulgou jusqu’à la frontière ghanéenne.
Leurs potentiels clients sont constitués essentiellement d’aventuriers du Gabon, de la Guinée Equatoriale, de l’Italie, en retour et issus de ces zones.
Avec l’insécurité, ils ont tout arrêté. A cela, s’ajoute, l’interdiction de circuler avec des motos à grosse cylindrée, dans les zones rouges.
«Nous vivons plus l’insécurité que les autres. A l’aller comme au retour pour déposer un client, c’est la peur », déplore-t-il. La nuit, ils ne conduisent plus leurs clients hors d’un certain rayon de la ville. Ils se limitent à la zone lotie.
Auparavant, ils profitaient de la vente au détail du carburant dans les bouteilles qu’ils se procuraient à crédit auprès des détaillants puis réglaient en fin de soirée. Mais à l’heure actuelle, ils sont obligés de payer au comptant à la pompe d’essence. Ce fait complique encore leur situation.
Avec le manque d’emploi, ils sont estimés à plus d’une centaine dont des Togolais, les jeunes qui pratiquent le métier de conducteur de taxi-moto à Tenkodogo.
En 2011, ils étaient au nombre de 17 parmi lesquels un certain Alassane Ouédraogo (nom d’emprunt). Ce dernier était un commerçant au marché central de Tenkodogo.
Après avoir échoué à aller en aventure en Europe, il s’est vu contraint de mener cette activité. Allongé sur sa moto devant l’hôpital de Tenkodogo, faute de manque de clients, M. Ouédraogo a le regard partout, aux aguets.
Il me raconte que c’est à travers cette activité qu’il peut subvenir à ses besoins familiaux dont la scolarisation de ses 5 enfants.
« La rentabilité de notre métier, m’explique-t-il, résidait au fait que les aventuriers de retour de l’étranger, une fois arrivés à la gare, sollicitaient nos services pour rejoindre immédiatement leurs familles.
A l’heure actuelle, avec l’insécurité, nous n’allons plus à la gare. Nous menons notre activité seulement à l’intérieur de la ville et cela ne permet pas d’engranger des bénéfices.»
M. Ouédraogo me confie qu’il observait déjà certaines dispositions avant l’installation de l’insécurité : « Avant d’embarquer un client, je lui pose beaucoup de questions pour ma sécurité personnelle. Certains trouvent que je suis exigeant et perd ma clientèle. Pourtant, je prends mes précautions en observant la prudence.»
Il rentre au plus tard à 19h sauf le cas où la destination de son client le contraint à dépasser cette heure.
Les conducteurs n’évoluent pas en association. C’est le désordre, constate M. Ouédraogo, non sans inquiétude : « La crainte en cela est qu’on ne sait pas réellement qui est qui, alors que nous sommes dans un contexte d’insécurité.»
Tous les taxis ont des numéros de téléphone portable joignables à tout moment. Cette situation n’est pas sans problèmes. Et M. Ouédraogo de dire : « Un client peut t’appeler de venir le conduire.
Dans cette situation, l’appel effectué peut te conduire à répondre un jour pour raison de complicité alors que tu es innocent… » Comme conseil, il invite ses camarades de travail à observer une très grande prudence au risque de se retrouver dans une situation déplorable.
Hamidou Boudaoné (nom d’emprunt) est dans le métier depuis une vingtaine d’années, assure-t-il, expliquant un peu son parcours dans le milieu. Adossé à un arbre, face à la rue, il raconte qu’« avec l’insécurité, nous évitons d’emprunter certains axes. On se limite à Niagho ».
Avant il cessait le travail à minuit ; il dit s’arrêter actuellement autour de 19 h. « La nuit, on se limite seulement à la zone lotie pour notre sécurité » laisse-t-il entendre.
Tous ont cependant un souhait, celui de voir les autorités parvenir à instaurer rapidement la sécurité afin de leur permettre de mener librement leurs activités et de parvenir à nourrir leurs familles. « C’est le chômage et le manque d’emplois qui conduisent au banditisme » souligne M. Ouédraogo.
Les conducteurs de taxi-motos souhaitent également l’appui et l’accompagnement de l’autorité avec la mise à jour d’un fichier clair des conducteurs afin d’éviter le désordre et tout désagrément.