L’artisanat minier est un secteur qui emploie une grande partie de la population burkinabè. Malheureusement, il est jusque-là délaissé par l’Etat qui tente tant bien que mal de le réorganiser en privilégiant l’implication des acteurs et des partenaires techniques et financiers. Dans cette interview accordée au président de l’Union nationale des associations des artisans miniers du Burkina (UNAAM-B), Masmoudou Sawadogo, il est question, entre autres, des difficultés qui minent l’exploitation artisanale minière et des perspectives d’un lendemain meilleur.
S : Décrivez nous brièvement l’UNAAM-B.
Masmoudou Sawadogo (M.S.) : L’UNAAM-B est l’Union nationale des associations des artisans miniers du Burkina. Notre objectif est de promouvoir l’exploitation artisanale, la sauvegarde de l’environnement, l’encadrement et la sensibilisation des acteurs à l’impact du secteur minier artisanal sur l’économie nationale et la vie des populations. Notre devoir est de faire de telle sorte que les artisans miniers puissent évoluer dans leurs activités, c’est-à-dire aller de la petite échelle à la grande marche du secteur.
S : A quand remonte l’orpaillage au Burkina Faso ?
M.S. : Je ne saurai le dire avec exactitude mais l’activité de l’orpaillage existe au Burkina Faso, il y a très longtemps. Elle s’est adaptée depuis 1973, au contexte burkinabè. Toutefois, ce qu’il faut déplorer, c’est que l’exploitation minière artisanale, depuis près d’un demi-siècle, en tenant bien sûr compte de son année d’adaptation, est délaissée. Et pourtant, c’est un secteur qui profite beaucoup à la population burkinabè, notamment à la jeunesse. D’où, l’on ne devrait pas s’amuser avec ce domaine. On devrait faire de telle sorte que l’artisanat minier puisse être bien organisé. Il faut aussi ajouter que depuis la suspension de la CBMP (ndlr, Comptoir burkinabè des métaux précieux), nous avons beaucoup de problèmes.
S : Justement, quelles sont réellement les entraves à l’orpaillage au Burkina Faso ?
M.S. : En réalité, nombre de ceux qui embrassent l’orpaillage y compris les décideurs eux-mêmes, ne songent pas un tant soit peu à la bonne marche du secteur. C’est très écœurant de voir que les acteurs eux-mêmes ne font pas l’effort de prendre la bonne décision pour que l’exploitation artisanale minière puisse aller de l’avant. Je le dis parce que chacun lutte pour son propre intérêt et non pour l’intérêt général. Alors que pour avancer aujourd’hui dans notre secteur d’activité, il faut que chacun se batte réellement. C’est dans l’intérêt général qu’on profite de son intérêt personnel. Mais, j’ai remarqué que si la plupart des intervenants dans l’orpaillage se lèvent le matin, chacun d’entre eux se demande comment faire pour gagner. Dans ces conditions, comment sera notre avenir ? Quels seront les problèmes que nous allons rencontrer demain ? Personne n’y a jamais pensé. Alors qu’on doit penser à demain quand on travaille. En ce qui me concerne, cela fait 33 ans aujourd’hui que je suis dans l’orpaillage. J’ai des enfants et je compte sur eux pour prendre le relais. Et que deviendront-ils demain, si l’orpaillage se retrouve toujours dans la tourmente ? Pourront-ils se nourrir et prendre en charge leur papa que je suis si j’ai longue vie ? Ce sont autant de questions qui doivent nous interpeller, en tant qu’acteurs de l’exploitation artisanale minière au Burkina Faso. C’est donc cela mon inquiétude. Mais beaucoup de gens pensent que gagner de l’argent est une fin en soi ! Nous avons vu des gens qui avaient des milliards FCFA mais lorsqu’ils ont quitté ce monde, leurs enfants se sont plongés dans la misère. Il ne suffit pas de construire et de laisser l’argent, le plus important c’est d’éduquer les enfants, qu’ils travaillent et améliorent leur vie sociale dans un autre domaine ou dans celui de leurs géniteurs. C’est pourquoi, il faut que nous nous battions pour relever les défis du secteur minier artisanal.
S : L’Etat est concrètement dans quelle posture par rapport à cette situation ?
M.S. : En rappel, je dirai que l’UNAAM-B a été portée sur les fonts baptismaux en 2018 et depuis lors, nous avons tenu des assemblées générales, des séminaires en décembre 2019 au Conseil burkinabè des chargeurs avec les ministres en charge des finances et des mines d’alors comme respectivement patron et parrain de la cérémonie, avec comme invité le ministre en charge de la sécurité. L’Etat, à travers le gouvernement, à cette période avait pris l’initiative de nous accompagner dans nos démarches de contribuer à la relance de l’économie et de lutter contre le terrorisme. Mais, aujourd’hui, nous ne savons plus à qui nous adresser. Nous sommes en brousse, sur le terrain, en côtoyant les mauvaises personnes. Donc, il faut faire très attention pour ne pas créer de problèmes. Je peux dire que nous avons sollicité l’Etat burkinabé de revoir surtout l’encadrement du secteur minier artisanal.
S : En 2022, vous avez effectivement appelé le gouvernement à refonder et encadrer le secteur minier artisanal, notamment sur l’utilisation des substances chimiques. Est-ce que votre appel a trouvé un écho favorable ?
M.S. : Jusqu’à présent, cet appel n’a pas trouvé d’écho favorable. Si vous voyez que nous avons des problèmes au Burkina Faso, c’est à cause des négligences. Il faut nécessairement qu’on se concerte. Quand on se concerte, on trouve la solution à nos problèmes. S’agissant du secteur minier, c’est nous qui sommes sur le terrain, nous connaissons qui est qui sur le terrain et qui est capable ou pas. Mais, la seule erreur de notre ministère en charge des mines est qu’il concentre ses efforts sur le secteur minier industriel. Si le secteur minier industriel a donc le droit d’utiliser des substances chimiques, par exemple du cyanure, pourquoi les artisans miniers ne peuvent pas le faire ? L’Etat a créé l’ANEEMAS (ndlr, Agence nationale d’encadrement des exploitations minières artisanales et semi-mécanisées) depuis 2017 mais l’encadrement du secteur minier artisanal peine à être effectif. L’ANEEMAS a changé à plusieurs reprises de directeur général. Est-ce que la solution a été trouvée ? Jusqu’à présent, on a toujours des difficultés parce dans un domaine aussi technique, il faut placer des techniciens qui connaissent bien le terrain. Ce ne sont pas les rencontres à plusieurs reprises sans suite qui règlent les problèmes. Nous avons vu beaucoup de cas, des concertations régionales, ce n’est pas la solution.
S : Quelle solution préconisez-vous ?
M.S. : La solution est toute simple. Il faut que l’Etat burkinabè repense sa politique en la matière. Aujourd’hui, notre or se retrouve au Mali, au Bénin, au Togo. Quelle stratégie l’Etat met en place pour que notre produit ne sorte pas ? Si, par exemple, un pays fixe à 50 000 FCFA le prix du kilogramme d’or à l’exportation, pourquoi le Burkina Faso n’en fera-t-il autant ? Si c’est, par exemple, le même prix ailleurs, pourquoi quelqu’un va prendre le risque d’y aller? Nous avons dit de revoir les textes et surtout le code minier, car aujourd’hui nous avons des difficultés avec les sociétés minières que je ne condamne pas forcément.
S : Mais, que dire des permis d’exploitation octroyés par l’Etat à ces sociétés minières ?
M.S. : Je pense que l’Etat devait limiter les permis d’exploitation pour permettre aux nationaux aussi d’exercer leurs activités. Toutes les mines avaient des permis nationaux mais l’Etat n’a pas mis des barrières pour que ceux qui veulent passer leurs permis aux expatriés le fassent par des conventions. Par exemple, je reçois un intérêt quand tu prends mon permis. Je ne vends pas mon permis. Même si c’est 0,1% que chaque exploitant gagnait, aujourd’hui il y aurait combien de milliardaires au Burkina ? Chacun veut vendre pour se faire de gros sous. Aujourd’hui, des mines ont produit des tonnes d’or, pourtant ceux qui ont vendu leurs permis n’ont rien. Quand nous regardons la France, elle a des réserves d’or provenant de l’Afrique. Quelles réserves d’or possède notre Etat ? De nos jours, vous verrez que le nombre de tous ceux qui avaient des agréments a diminué. De près de 300 agréments, nous sommes passés à une vingtaine. Où sont passés ces agréments pendant que les gens travaillent toujours. L’agrément coûte dix millions FCFA et nous avons plaidé pour sa réduction à cinq millions FCFA, c’est-à-dire, 2,5 millions FCFA pour l’agrément et 2,5 millions FCFA pour la caution. Ceux qui ont ouvert des fontes partout, si chacun doit prendre l’agrément, on peut avoir près de 2 000 à 3 000 agréments au Burkina. N’est-ce pas significatif ? Et si on baisse les taxes tous ceux-là vont pouvoir exporter l’or et c’est l’Etat qui gagne.
S : Concernant l’utilisation des explosifs, qu’est-ce qui piétine ?
M.S. : On parle d’explosifs et nous avons dit de donner des documents aux utilisateurs. Il faut également encadrer le transport, le dépôt et la vente de dynamites. Il faut aussi former les utilisateurs d’explosifs. Je profite rappeler que l’utilisation du cyanure est interdite par la loi. Oui c’est interdit selon la loi, mais si la loi ne produit pas d’effets positifs, il faut la revoir. La loi est faite pour le peuple. Le cyanure est interdit pendant que sur toute l’étendue du territoire, il est utilisé. Quand on dit que presque 9,5 tonnes d’or en 2016 ont généré plus de 200 milliards FCFA, on n’a pas consommé cela au Ghana, ni au Togo ni à Paris. C’est le peuple burkinabè qui a consommé et nous pouvons soutenir que l’orpaillage injecte par an, au Burkina Faso, près de 400 milliards FCFA à 800 milliards FCFA. Nous voulons vraiment que notre ministre de tutelle œuvre à apporter des solutions aux principaux problèmes du secteur.
S : Comment accompagnez-vous la lutte contre le terrorisme ?
M.S : Par rapport au soutien à la lutte contre le terrorisme, nous avons lancé un appel aux acteurs de contribuer mais le problème de la fermeture des sites a tellement découragé les gens. Beaucoup de sites qui pouvaient soutenir sont fermés mais là où ce n’est pas fermé, il y a des gens qui font des gestes. Présentement, nous réfléchissons à comment faire pour que l’Etat sache que les artisans miniers sont déterminés dans la lutte. Si on ne trouve pas de solution, les plus perdants, c’est nous. Nous ne marchons pas en ville mais en brousse. Il est de notre intérêt que cette guerre prenne fin pour qu’on puisse repartir où on pouvait chercher et gagner notre pain.
S : Face à toutes ces contraintes, quelles ont été vos initiatives pour les résorber ?
M.S. : J’ai jugé nécessaire à un moment donné de créer des associations d’orpailleurs sur toute l’étendue du territoire burkinabè. C’est ainsi que l’Association des orpailleurs du Sud-Ouest, à Gaoua, a vu le jour en 2014. Ayant eu la chance de parcourir beaucoup de pays du monde, entre autres, la Libye, l’Egypte, la Jordanie, la Bulgarie et la Roumanie, je me suis rendu compte que le Burkina Faso a d’innombrables opportunités en matière d’orpaillage. Les orpailleurs ont la possibilité absolue de gagner pleinement leur vie. Mais, je le répète, chacun veut faire la force à son voisin ou à son ami pour réussir bien que cela ne vaille pas la peine. Beaucoup de gens ont amassé de l’argent dans le secteur minier mais, où sont-ils aujourd’hui ? Certains ont fui le pays et d’autres, restés au pays, sont dans des difficultés. C’est dire que personne d’autre ne viendra organiser l’orpaillage à notre place. C’est archi faux et invraisemblable si quelqu’un d’extérieur dit qu’il viendra nous organiser. Les acteurs doivent s’organiser eux-mêmes car c’est clair qu’ils sont conscients que ce qu’ils font aujourd’hui, les rattraperont demain. Nous avons donc créé l’association des orpailleurs du Sud-Ouest, parce qu’il y avait beaucoup de difficultés dans la région entre les acteurs eux-mêmes et entre les acteurs et l’administration ainsi que les propriétaires terriens. Mais, je peux vous rassurer que depuis que nous avons institué la structure régionale, de nombreuses difficultés ont été résorbées. Les autorités ont compris ce que c’est que l’orpaillage, et qui est l’orpailleur. Car, l’on pensait qu’un orpailleur c’était quelqu’un qui ne savait pas ce qu’il cherchait. Alors qu’il y a bien des responsables parmi les orpailleurs. Si vous allez sur les sites, vous trouverez des mosquées et des églises. A mon humble avis, quelqu’un qui crée une mosquée est responsable. Il y a des pères de famille et même des intellectuels qui ont payé leurs études grâce à l’orpaillage au Burkina Faso. Aujourd’hui, demandez aux commerçants, si l’orpaillage ne contribue pas à leur développement. Les transporteurs, les éleveurs, les agriculteurs, ceux qui sont dans les villages, après la saison pluvieuse, retournent à l’orpaillage. Je vous assure que nous avons, de nos jours, 85% à 90% de la jeunesse sur les sites d’orpaillage. Si vous allez en Côte d’Ivoire, au Mali, au Sénégal, en Mauritanie, au Ghana, en Guinée, vous allez vous demandez s’il y a réellement l’orpaillage au Burkina. Dans notre pays, il faut tout de même constater qu’il y a près de 700 sites d’orpaillage qui occupent 40, voire 50 personnes chacun, même s’ils ne fonctionnent plus. Donc, l’Etat ne devrait pas négliger l’orpaillage. Ce secteur est à prendre au sérieux. En tous les cas, à notre niveau, nous avons travaillé à créer dans plusieurs régions, des associations.
S : Quelles sont vos perspectives pour un secteur minier artisanal sain et profitable aux millions de Burkinabè ?
M.S : Si l’Etat nous approche, nous sommes des hommes de terrain et nous pouvons l’accompagner dans la lutte contre le terrorisme. Mais quand l’on ne vous implique pas, vous ne pouvez rien dire. Blaise Compaoré, en son temps, avait dit qu’il y a beaucoup de commandos sur le terrain. Qui sont ces commandos ? Ce sont les orpailleurs. Si quelqu’un rentre dans un trou de 100 mètres ou 200 mètres pour chercher à manger et ressortir, allez-y comprendre. L’Etat doit tenir compte des acteurs de l’orpaillage. Si, aujourd’hui, les Burkinabè crient « IB » (des initiales du président de la Transition du Burkina, ndlr), ce n’est pas qu’il est plus fort que les autres militaires mais il s’est donné corps et âme pour défendre la Nation. Tout ce qu’il est en train de faire, il y a des présidents qui n’ont pas eu le courage de le faire. Donc, dans tous les secteurs, il y a des gens comme cela mais quand on ne les détecte pas, on ne peut pas avancer. Il faut travailler avant de manger. Je travaille à la sueur de mon front pour manger. Personne ne me verra dans son bureau pour des affaires louches même avec les acheteurs d’or. Je fais plus de 10 jours sur le terrain. Je dors chez moi deux ou quatre fois le mois. Je peux faire comme les autres mais il faut travailler car seul le travail paie. Je dois sensibiliser mes collaborateurs pour qu’ils sachent que nous devions combattre ensemble. Partout où vous voyez des bureaux ou des membres de l’UNAAM-B, je peux vous rassurer que ce sont des responsables crédibles qui ne veulent pas baisser la tête. Je remercie tous les membres de l’UNAAM-B. Je demande à l’Etat de préserver la dignité du peuple burkinabè parce que la dignité nous conduira où nous voulons. Je demande aux frères orpailleurs de se respecter et de se faire respecter.