Ceci est une déclaration du Front patriotique parvenue à Libreinfo.net et qui concerne la situation sécuritaire du Burkina Faso.
Les initiatives hasardeuses et les dérives de l’ancien président du MPSR, le lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba, entrainant « une dégradation continue de la situation sécuritaire », laissaient entrevoir un échec de la lutte pour libérer le pays du terrorisme et pour sa refondation.
Son remplacement par le capitaine Ibrahim Traoré, le 30 septembre 2022, au terme de fortes tensions internes au MPSR et à l’armée, a bénéficié d’un net soutien populaire : le Front Patriotique (FP) lui-même avait appelé ses membres à mobiliser leurs militants pour soutenir l’élan populaire et empêcher les affrontements dans l’armée.
L’ambition du Front Patriotique est d’apporter sa contribution à la réussite de la Transition, d’une part en mobilisant le peuple aux côtés de ses forces de défense pour vaincre le terrorisme, d’autre part en proposant une refondation profonde de la gouvernance générale, afin que plus jamais ne se répète une situation aussi critique que celle qui prévaut actuellement.
C’est pourquoi il se conçoit comme un creuset rassemblant les capacités d’intelligence de notre peuple, pour faire de la Transition actuelle une opportunité pour jeter les bases d’une nouvelle société, répondant aux aspirations profondes de notre peuple à la sécurité, à la paix, à la justice, à la démocratie et au développement.
Après quatre mois de direction du pays par le nouveau chef du MPSR, le capitaine Ibrahim Traoré, le bilan de la situation nationale comporte des motifs d’espérance et des avancées, mais aussi quelques motifs d’inquiétudes qu’il convient de dissiper rapidement.
A – Sur le front sécuritaire
Aujourd’hui, le Burkina Faso est clairement engagé dans la lutte contre l’ennemi terroriste, et le nouveau chef de l’Etat montre clairement sa détermination à diriger cette lutte jusqu’au bout, conformément aux priorités qu’il a annoncées.
On constate ainsi la relance nette des offensives pour desserrer l’étau militaire et économique exercé par l’ennemi sur de nombreuses agglomérations.
Certes, les attaques des groupes terroristes se sont multipliées durant la période, accroissant les pertes en vies humaines des civils, des militaires et des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP). Déjà, selon une agence de l’ONU, à la fin de 2022, le Burkina Faso était le 2ème pays (après l’Afghanistan) avec le plus de victimes du terrorisme et le 4ème (après l’Afghanistan, la Syrie et la Somalie) qui enregistrait le plus d’attaques terroristes.
Durant le mois de janvier 2023, les terroristes ont attaqué des villages de nombreuses communes (Tougan, Dassa, Boala, etc.), pillé et vidé plusieurs villages de leurs habitants, enlevé et tué des dizaines de personnes dans les Régions de la Boucle du Mouhoun, des Cascades, du Centre-Nord, du Centre-Ouest et du Sahel.
Néanmoins, l’armée et les VDP ont pu libérer plusieurs chefs-lieux de communes et même de province qui étaient sous la menace directe des groupes terroristes (Solenzo, Falangountou, Gorgadji, Kassan, etc.). La détermination des Forces de défense et de sécurité (FDS) et des VDP et l’héroïsme dont ils font preuve dans chaque combat ont permis des victoires unanimement saluées par notre peuple !
Le premier recrutement massif des VDP, désormais organisés dans une Brigade spéciale (la BVDP), traduit une ouverture plus nette vers l’implication du peuple dans la lutte pour la libération du pays.
Il est positif que les VDP bénéficient maintenant d’un Fonds de soutien patriotique et depuis décembre 2022 d’une loi définissant leur statut.
On note aussi positivement l’interpellation par le nouveau Chef de l’Etat de diverses composantes du peuple (étudiants, éléments de la police), pour les inviter à participer plus activement à la lutte, ainsi que les dispositions pratiques prises par le gouvernement pour organiser la contribution volontaire de tous au financement de l’effort de guerre.
Toutes ces activités traduisent la nette volonté du pouvoir du MPSR 2 de combattre plus vigoureusement les groupes armés terroristes.
Comme le chef de l’Etat lui-même le déclare, ce ne sont encore que « des opérations ciblées » visant à localiser et détruire les bases terroristes, mais « pas encore la guerre ».
B – Sur le plan du fonctionnement des institutions et de la moralisation de la vie publique
En s’appuyant sur le consensus de la Charte rédigée par des « forces vives » sélectionnées par lui, le MPSR a mis en place les institutions de la Transition (gouvernement, Assemblée législative de la Transition).
L’une des premières décisions prises par ce dernier a été de revoir à la baisse la rémunération de ses membres pour revenir aux traitements appliqués au temps du régime civil du Président Rock Kaboré.
Le capitaine Ibrahim Traoré a décidé lui, de s’en tenir à son salaire de capitaine de l’armée : c’est un bon exemple de l’esprit de sacrifice attendu des autorités !
A différentes reprises, le Président Ibrahim Traoré a déclaré qu’il donnait « carte blanche » à la justice comme aux institutions de la lutte contre la corruption pour « faire leur travail ».
Certaines personnes semblent néanmoins s’opposer à la justice et à la lutte contre les détournements et la corruption, allant jusqu’à proférer des menaces de mort contre les responsables de l’Autorité supérieure de contrôle de l’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE/LC).
Par communiqué, le gouvernement a protesté contre ces menaces, mais leurs auteurs ne sont pas encore démasqués, à fortiori traduits en justice ! On peut donc regretter la lenteur du travail d’investigation de la justice et de la police, même si l’on comprend bien qu’il doit toujours s’entourer des précautions indispensables pour respecter le principe de la « présomption d’innocence ».
C – Sur le plan économique
Après avoir enregistré une hausse des prix en août 2022, traversé une période de pénurie en décembre 2022, les carburants connaissent depuis le 10 février une forte augmentation du prix du super 91.
Cette évolution du prix du carburant va tout naturellement entrainer des hausses de prix pour divers produits de consommation et pour divers services et travaux.
Selon une étude de l’UEMOA, la conjugaison des effets négatifs du terrorisme sur les capacités productives de notre peuple et de la conjoncture internationale (guerre en Ukraine et ses conséquences), a eu pour conséquence que notre pays a connu en 2022, le taux d’inflation de loin le plus fort de la zone (+18,2 %).
En outre, de nombreuses régions du Burkina ont traversé des périodes durant lesquelles leur approvisionnement en produits vivriers ou en produits énergétiques était coupé, du fait de l’encerclement terroriste.
Cette occupation partielle du territoire par les groupes ennemis a aussi largement nui au recouvrement des recettes fiscales et à l’exécution de projets divers, économiques et d’infrastructures.
Le coût de la guerre, les aides aux PDI (plus de 1 800 000 en fin 2022, dont environ 800 000 dans la région du Centre-nord et 500 000 dans celle du Sahel), les sabotages des infrastructures, la prise en charge des fonctionnaires chassés de leurs postes, pèsent à contrario sur le budget de l’Etat.
Celui-ci a en outre perdu, du fait des coups d’Etat successifs du MPSR, une partie des soutiens financiers traditionnellement apportés aux programmes de développement par les partenaires techniques et financiers.
Cette situation est d’autant plus préoccupante que les dépenses liées à la guerre vont s’accroitre inexorablement, du fait des achats d’équipements militaires, de l’accroissement du nombre des appelés, des VDP et des PDI, ainsi que des destructions inévitables.
Il est impératif de prendre des dispositions pour assurer à temps l’approvisionnement du peuple en produits vivriers et en intrants agricoles malgré les conditions difficiles actuelles.
D – Sur le front de nos rapports avec l’extérieur
Après la visite à Bamako en novembre 2022 du Président Ibrahim Traoré auprès du Président Assimi Goita du Mali en novembre 2022, on constate que notre diplomatie a pris enfin quelques initiatives : « visite privée » du Premier Ministre à Moscou, visite de la Ministre des Affaires étrangères en Guinée en janvier 2023, visite du Premier ministre à Bamako en janvier 2023 au cours de laquelle il a proposé la création d’une fédération entre le Burkina, la Guinée et le Mali, rencontre en février 2023 des ministres des affaires étrangères des trois pays à Ouagadougou, visite d’une mission de la CEDEAO à Ouagadougou, etc.
Entre temps, des tensions passagères ont marqué nos rapports avec la France et des agences françaises : en décembre 2022 la radio France Internationale (RFI) a été suspendue d’émission sur le territoire national ; en décembre également le Burkina a demandé le rappel de l’ambassadeur de France au Burkina ainsi que la fin de l’accord militaire liant le Burkina et la France et conséquemment le départ des forces spéciales françaises « Sabre » stationnées à Kamboinsé ; en janvier 2023, la télévision France 24 était l’objet d’une mise en garde par le Conseil supérieur de la communication pour non-respect de la déontologie de la presse.
Le Président Ibrahim Traoré présente ces situations comme la traduction de la volonté du Burkina de faire désormais respecter sa souveraineté par tous.
Soit ! Un préalable débat du Président avec son opinion nationale avant la proposition de la constitution d’une fédération tripartite entre les pays en transition politique lors de son voyage à Bamako ne témoignerait-il pas en outre de sa volonté de faire respecter la souveraineté du peuple burkinabé.
La CEDEAO, confirmant sa défiance envers les régimes de transition du Burkina Faso, de la Guinée et du Mali, au cours du sommet extraordinaire qu’il a tenu le 18 février 2023 à Addis Abéba en marge du sommet de l’Union Africaine, a maintenu les sanctions prises contre les trois pays et décidé de l’interdiction de voyage des membres de leurs gouvernements et des hauts fonctionnaires.
E – DES POINTS A ECLAIRCIR POUR LEVER LES MOTIFS D’INQUIETUDES
On ne perçoit pas encore quelle est la stratégie mise en œuvre par notre armée, non seulement pour réduire les forces terroristes, mais aussi pour la reconquête du territoire et la réinstallation des populations chassées de leurs villages. Il faut clarifier cette stratégie.
Le nouveau Premier ministre a multiplié les déclarations populistes rapidement contredites par les faits, s’attaquant délibérément et sans nuances aux partis politiques et aux OSC, semblant ignorer qu’en fait, ne disposant d’aucune assise sociale, il n’a que la marge de pouvoir que le MPSR veut bien lui laisser.
E – LES PROPOSITIONS DU FRONT PATRIOTIQUE DANS LA SITUATION ACTUELLE
Clarifier la situation du MPSR
Le Burkina Faso est actuellement dirigé par le MPSR, un mouvement militaire dont seuls les membres connaissent la composition, la structuration, les objectifs véritables, la place réelle au sein des forces armées, et dont le Président seul est officiellement connu.
C’est une situation inadmissible, qui traduit la défiance habitant le MPSR à l’égard du peuple et du reste de l’armée et qui ôte toute consistance aux principes et aux textes (Constitution, Charte) qui sont censés régir le fonctionnement de l’Etat.
Le peuple est ainsi relégué au rôle de spectateur aveugle et sourd des débats et des confrontations qui peuvent exister au sein de ce mouvement qui pourtant dirige la vie du pays.
Mettre en œuvre une défense populaire
Il faut poursuivre étape par étape le recrutement massif des VDP dans toutes les régions, afin de ne laisser aucun espace ni aucun répit aux groupes terroristes.
Ces derniers semblent d’ailleurs avoir pris la mesure de la situation militaire nouvelle, et font appel plus directement à des soutiens extérieurs (cadres et équipements nouveaux) dont la présence est signalée, notamment dans les régions de l’Est, du Sahel et du Nord.
Mobiliser tout le peuple de manière inclusive
Il faut mobiliser tout le peuple pour assurer la victoire sur le terrorisme. Il faut aussi mobiliser tout le peuple pour éviter que ne s’installe à nouveau dans le pays une situation de faiblesse et de déshérence de l’Etat et des institutions de la République, pouvant tenter des ennemis intérieurs ou extérieurs, qui pourraient vouloir imposer à notre peuple leurs intérêts et leurs ambitions propres.
Cette mobilisation doit être inclusive. Elle ne doit exclure à priori aucune force sociale organisée, légitime et représentative (au sein des organisations syndicales, des organisations professionnelles, des autorités coutumières et religieuses, des partis politiques, des OSC, etc.), soucieuse de la stabilité des institutions et de la sauvegarde de la souveraineté du peuple.
Elle doit pouvoir conduire à l’établissement d’accord parties, d’un pacte républicain et moral, qui serait la base de l’établissement futur des fondations d’un Etat fort, garant de la souveraineté du peuple, au service de la justice, de l’équité, de la solidarité nationale, de l’élimination de l’ignorance et de l’indigence, et garantissant à tous l’accès aux services sociaux de base.
C’est pourquoi le FP appelle dès maintenant à rejeter les préjugés et l’ostracisme qui se sont installés dans la conduite des affaires de l’Etat et qui frappent les organisations et les forces sociales représentatives et légitimes, aujourd’hui écartées de toute consultation ou concertation.
C’est aussi pourquoi le FP appelle ces organisations et forces sociales à participer à des échanges approfondis autour des questions relatives à une véritable refondation de l’Etat après la Transition, pour le mettre au service exclusif du peuple, à une refondation du système électoral afin que ceux que le peuple choisira pour le représenter ou pour le diriger soient conscients que toute la souveraineté appartient au peuple et que ce dernier doit pouvoir à tout moment, leur demander des comptes et les révoquer.
La refondation de l’Etat s’accompagnera nécessairement de celle de l’armée et de l’administration. L’armée ne doit plus jamais avoir la tentation de confisquer par la force la souveraineté du peuple.
L’administration doit comprendre enfin qu’elle doit être au service du peuple et non au service de ses agents et qu’elle doit se débarrasser à tout jamais de la gangrène persistante de la corruption et de l’impunité.
Le peuple burkinabé doit prendre son destin en main : les autorités de la Transition qui le dirigent doivent l’associer pour toutes les grandes décisions qui engagent son avenir par des consultations et des échanges avec toutes les forces sociales organisées et légitimes qui le représentent. C’est pourquoi le Front Patriotique avait proposé dès le 17 septembre 2022 la création d’un Haut conseil national des légitimités sociales.