Alors que les opérations de la force française Sabre ont pris fin dimanche, et que sur un autre plan, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a décidé le maintien des sanctions contre le pays dirigé par des putschistes, c’est peu dire que le Burkina Faso se retrouve dans une situation délicate qui impacte fortement le développement économique du pays.
Depuis plusieurs années déjà, le pays des Hommes intègres est fortement engagé dans la guerre contre un terrorisme redoutable qui nécessite des moyens importants, mais il doit aussi faire face à des chocs exogènes, comme la pandémie de Covid-19 ou la guerre en Ukraine. Le Burkina Faso est également touché par les crises climatiques caractérisées par des cycles d’inondations ou de fortes sècheresses. Autant de facteurs qui mettent à mal les projections sur le long terme et affectent le quotidien des populations. Surtout avec une inflation à deux chiffres ces derniers mois, estimée à 14,6 % en moyenne en 2022. Comment les Burkinabés s’y prennent-ils pour faire face aux différents chocs, alors qu’ils sont les premiers à faire les frais de la récurrence de l’instabilité politique ? De quels moyens dispose le gouvernement pour franchir le cap sans trop de dégâts ?
Un quotidien fait d’adaptation
Adama T. est enseignant. La journée de ce fonctionnaire commence par une prise en charge des siens : le petit déjeuner, la popote du jour et l’argent de poche pour ses trois enfants. Pour tout cela, il doit débourser au moins 2 000 francs CFA (3,05 euros). L’enseignant, qui se rend au travail à moto, fait vite le calcul : « Mon domicile est à environ 15 km de l’école. Par jour, je consacre un peu plus de 500 francs CFA en moyenne pour le carburant », évalue-t-il. Pour économiser sur l’essence, Adama préfère ne pas retourner à la maison quand c’est la pause de la mi-journée. Une option qui implique tout de même des frais, essentiellement pour sa restauration : pas moins de 500 francs CFA.
Avec un revenu mensuel d’environ 260 000 francs CFA (396,41 euros), le fonctionnaire consacre une grande partie de cette somme à ses besoins personnels et à ceux de sa famille. Par mois, près d’un cinquième du revenu d’Adama, soit environ 50 000 francs CFA, est destiné à l’alimentation. À cela, il faut ajouter la facture d’électricité (8 000 à 10 000 francs le mois), celle de l’eau (5 000 à 6 000 francs), le loyer (65 000 francs CFA), les provisions en céréales et d’autres denrées vitales. Mais aussi des « imprévus », comme lorsqu’il s’agit de soigner un membre de la famille. « Au final, on n’arrive pas à s’en sortir. Pour éponger les dépenses obligatoires, on fait parfois dans la débrouillardise », reconnaît l’enseignant. Et c’est sans compter avec des dépenses fixes, comme la scolarité des enfants : « Pour mes trois enfants, j’ai dépensé un peu plus de 350 000 francs CFA cette année pour leur scolarité », assure Adama T. Pas de place donc pour des loisirs, comme « aller au ciné ou s’offrir une bouteille de bière ».
Insécurité, Covid-19, guerre russe en Ukraine : un cocktail explosif
À quelques montants près, les dépenses prioritaires des Burkinabés au quotidien sont quasiment les mêmes d’un consommateur à un autre : l’alimentation, le déplacement, les soins, les frais de communication… Et avec des revenus élevés ou pas, ils sont nombreux à partager le ressentiment d’un coût de la vie de plus en plus élevé par rapport au pouvoir d’achat. « De jour en jour, tout augmente », constate Fanta Bélem Fofana, employée du secteur privé. C’est aussi le constat de Mahamadi Compaoré, commerçant. Ce vendeur de chaussures se réjouit de pouvoir faire des recettes de 5 000 à 6 000 francs CFA la journée. « Suffisant, dit-il, pour honorer les dépenses élémentaires », mais bien loin de lui permettre de faire des investissements et de réaliser des projets comme il en fourmille. « J’ambitionne, moi aussi, de me construire un logement assez commode, ce dont je ne dispose pas pour le moment. Bien au-delà, je rêve de pouvoir m’offrir un jour une voiture », projette le commerçant, avant de pousser un « hélas ! » de… désespoir. « Sur le marché, presque tout est devenu inaccessible. À commencer par les denrées alimentaires », déplore Mahamadi Compaoré.
Pour nombre de consommateurs, il ne faut pas chercher loin les raisons de ce renchérissement de la vie. « L’activité tourne au ralenti, principalement à cause de l’instabilité sécuritaire [qui a causé la mort de plusieurs milliers de personnes et le déplacement de près de deux millions d’autres en sept ans]. Les productions sont impossibles dans les zones à risque et cela affecte la disponibilité de certains produits. En plus de cela, il faut compter avec le fait que l’augmentation répétée du prix de l’essence impacte directement le coût de la vie », croit savoir Marc Yigui, vendeur de ceintures rencontré au grand marché de Ouagadougou. Il n’y a pas que la crise sanitaire due au Covid- 19, et bien d’autres chocs, exogènes ou non, ont affecté le pouvoir d’achat.
Une économie qui résiste malgré tout
Dressant la situation économique et financière du Burkina en 2022 et les perspectives sur la période 2023-2025, le ministre burkinabé des Finances, Aboubacar Nacanabo, fin janvier dernier, l’a d’ailleurs relevé en ces propos : « L’activité économique et la gestion des finances publiques en 2022 ont été marquées par la crise russo-ukrainienne, les tensions géostratégiques et la résurgence de nouvelles variantes du Covid-19. » Il ajoutait qu’au plan national, « on note la persistance des attaques terroristes, le déplacement interne massif des populations et ses conséquences humanitaires et l’avènement de transitions politiques ». Selon des données du ministère des Finances, l’économie a enregistré une décélération du rythme de sa croissance pour s’établir à 2,7 % en 2022 contre 6,9 % en 2021, tandis que pour l’ensemble de l’année 2022, l’inflation est ressortie en moyenne annuelle à 14,6 % contre 3,9 % en 2021.
Face à cette situation économique du pays, les Burkinabés font montre de résilience. Une économie et un pays qui plient, mais ne rompent pas. Le gouverneur de la BCEAO, la Banque centrale sous-régionale ouest-africaine, Jean-Claude Kassi Brou, a récemment apporté son soutien aux autorités du pays face à la donne économique. « La croissance économique en 2022 est ressortie positive et devrait continuer à s’améliorer en 2023 avec notamment l’amélioration de la campagne agricole », a-t-il observé, tout en notant que « l’inflation reste un défi pour l’économie burkinabée comme c’est le cas dans tous les autres pays de l’espace Uemoa », a-t-il dit, lors d’une visite récente au président de la transition burkinabée, le capitaine Ibrahim Traoré. L’espoir est donc permis et beaucoup, comme Ablassé Tamalgo, sont optimistes. Ce commerçant, comme nombre de ses compatriotes, espère que les obstacles à la relance de l’économie, dont la crise sécuritaire, pourront être levés le plus tôt que possible.