Relations internationales : « chaque pays doit peser de son poids pour faire valoir et respecter ses intérêts », dixit la juriste internationaliste, Dre Sampala Balima
Dre Sampala Balima est politiste et juriste internationaliste, enseignante-chercheuse à l’université Thomas- Sankara. Elle est par ailleurs experte en défense, sécurité et diplomatie. Dans cette interview accordée au journal de tous les Burkinabè, Sidwaya, elle analyse, loin des passions habituelles, les rapports entre la France et ses anciennes colonies, notamment le Burkina et le Mali, l’impact de la guerre russo-ukrainienne sur les rapports de forces à l’œuvre sur la scène internationale ; ainsi que la place et le rôle de l’Afrique dans la nouvelle carte géopolitique mondiale qui se dessine.
Sidwaya (S) : Le Burkina Faso vient de dénoncer les accords militaires qui le lient à la France, mettant ainsi fin à la présence des bases militaires françaises sur le sol burkinabè. Votre commentaire sur cette décision des autorités burkinabè.
Dre Sampala Balima (S. B.) : Cette dénonciation est à inscrire au compte de l’expression de sa souveraineté par le Burkina Faso dans une relation bilatérale qui le lie à un pays tiers, tout autant souverain. L’article 16 de l’accord de 2018 relatif au Statut des éléments des forces armées françaises intervenant au Burkina Faso pour la sécurité au Sahel dispose de la possibilité de cette dénonciation par l’une ou l’autre des parties. C’est un acte normal, un droit qui s’est exercé pour conformer les engagements du Burkina Faso à ses intérêts. Le processus de construction des Etats passe aussi par l’évaluation et la remise en cause des choix précédents afin de mieux orienter l’action publique. La coopération avec l’Etat français ne s’arrête pas là pour autant, ni dans le domaine militaire ni dans les autres.
S : En plus de cette décision, le gouvernement a demandé le départ de l’ambassadeur de France au Burkina. Peut-on dire que les nouvelles autorités burkinabè sont sur la voie d’établir des relations diplomatiques et de coopération équilibrée avec l’ancienne puissance coloniale ?
S. B. : Le départ d’un ambassadeur n’équivaut pas à une rupture des relations diplomatiques entre les deux Etats. Il s’agit d’un simple changement d’interlocuteur. Il est courant dans les relations internationales qu’un dialogue conflictuel s’installe entre les personnalités interfaces des représentations et autorités de leur pays de résidence. Dans ces conditions, il est du droit du pays hôte de demander le rappel des personnalités indiquées et du devoir de courtoisie des pays dont ils sont les ressortissants de s’y conformer. Dans le cas de l’ambassadeur français, on se rappelle du discours prononcé à l’occasion de la fête nationale française à sa résidence et qui avait provoqué la colère de l’opinion et occasionné une réponse de l’ancien 1er ministre Albert Ouédraogo. C’est dire qu’il y avait déjà un passif. Peut-on pour autant considérer cet acte comme rééquilibrage des relations diplomatiques ? Oui, dans une moindre mesure, puisqu’elle réinstaure à minima l’exigence de politesse dans le langage diplomatique. Mais, on peut tout à fait analyser la demande de rappel, comme une mesure de prudence qui tient compte de la nature de l’opinion actuelle.
S : Que ce soit au Burkina ou au Mali, ce sont des régimes militaires de transition qui dénoncent ces accords avec l’ancienne puissance coloniale. Comment expliquez-vous que ce soient ces régimes de transition qui prennent ces décisions que d’aucuns qualifient d’audacieuses ?
S. B. :On risquerait en répondant à la question telle que vous la poser non plus d’expliquer les coups d’Etat, mais de les justifier. Et c’est là une erreur à ne pas commettre. Il est donc plus juste de poser la question de savoir pourquoi les régimes de transition font des choix plus audacieux que ceux issus des élections. Cette précision est importante, car toutes les transitions politiques ne sont pas conduites par des militaires, et même lorsqu’elles le sont, le qualificatif « régime militaire de transition » est abusif. Il est plus juste de parler de régime civilo-militaire de transition ou militaro-civil de transition en tenant compte de la proportion de l’un et l’autre groupe social dans la chaine décisionnelle. Mais qu’à cela ne tienne, elles sont toutes des temps politiques marqués par une inflation dans la mise à l’agenda des problèmes socio-politiques. La littérature est abondante dans la sociologie de l’Etat et l’action publique à ce sujet. Ce qui est important de noter, c’est qu’une transition politique porte deux caractéristiques majeures : le temps court qui lui est alloué et la nature des autorités qui la conduisent (non issues d’élections et souvent empêchées par la charte de la transition de se présenter aux immédiates élections). De ce fait, elle fait l’objet d’une gestion de crise marquée par l’urgence liée à l’agenda et la volonté d’acter des réformes profondes. C’est donc une fenêtre d’opportunité vers de réels changements. Et ceci, peu importe que ces transitions soient conduites par des civils ou des militaires.
S : Avec ce qui se passe au Mali, au Burkina, en Centrafrique, où en plus des autorités politiques qui ne veulent plus rester sous la seule ombre de la France, il y a des opinions nationales antipolitiques françaises de plus en plus fortes, peut-on dire que l’on s’achemine vers la fin de la Francafrique ?
S. B. : Les relations internationales ont toujours été marquées par une tradition de diversification des partenariats, et ce, en fonction du contexte et des intérêts de chaque pays. C’est là où l’effort de pédagogie à l’endroit de l’opinion doit être mobilisé. Sans aller voir ailleurs, le cas du Burkina et de Taiwan est illustratif des inflexions dans les relations internationales bilatérales ou multilatérales. Il faut se souvenir dans ce cas précis que ces deux pays comptabilisent deux ruptures diplomatiques depuis 1961, d’abord en 1973, ensuite en 2018. C’est donc une question d’intérêts contextuels. Malheureusement, le tropisme qu’induit le fait colonial a toujours mis une plus grande visibilité sur les relations avec la France et c’est le point commun des trois pays que vous énumérez. Sinon, plusieurs études font cas du poids respectif des partenaires de ces pays et celui de la France n’y apparait pas le plus important.
S : Certains estiment que ce qui se passe au Burkina, au Mali ou ailleurs est la résultante d’une diplomatie arrogante, déséquilibrée que la France a toujours entretenue avec ses anciennes colonies. Votre commentaire…
S. B. :Ce serait maladroit de verser dans un jugement moral. Ce n’est peut-être pas là où on attend un enseignant- chercheur. Je rappelle encore qu’il s’agit d’une relation entre Etats et qu’à ce titre, chacun fait valoir le poids qui est le sien dans les négociations qui structurent leurs rapports ; qui ne sont jamais d’ailleurs des relations identiques dans le temps long de l’histoire des peuples.
S : Tout porte à croire que la France n’a pas encore compris qu’il y a des dynamiques sociales (surtout au niveau de la jeunesse) en cours au sein des anciennes colonies qui ne toléreraient plus les relations déséquilibrées avec l’ancienne puissance coloniale….
S. B. :Aucun pays ne devrait attendre de l’autre qu’il comprenne les dynamiques sociales en son sein, et de ce fait, établisse des relations plus équilibrées. Chaque pays doit peser de son poids pour faire valoir et respecter ses intérêts. Ce n’est pas du moralisme que d’affirmer qu’il ya une dimension psychologique dans l’affirmation de la souveraineté. Ce à quoi, il importe déjà de procéder à minima, c’est la décolonisation du langage. Et si nous sortions déjà de notre narratif des expressions telle « puissance coloniale ». Le mot « France » suffit largement. Ensuite, dans une lecture géopolitique plus globale, il est facile de noter qu’on assiste à l’ère des mobilisations sociales avec une bascule de celles jadis structurées (société civile) vers celles moins structurées, mais qui portent malgré tout de vrais problèmes de sociétés tels que la répartition des richesses. Il s’agit d’une rupture des ordres partout. Partant, on peut observer que la politique intérieure de la France est remise en cause par des mouvements sociaux d’une rare virulence depuis quelques années par sa propre opinion nationale dont d’ailleurs, une partie rejette sa politique extérieure. La particularité qui exacerbe et cristallise l’opinion de certains pays d’Afrique de l’Ouest francophone, c’est l’insécurité.
S : La France va-t-elle accepter les nouveaux rapports que le Burkina et le Mali veulent imprimer?
S. B. :Une fois de plus, il s’agit d’un rapport entre Etats. Aucun pays ne doit réfléchir à la place de l’autre. Nous devons défendre nos intérêts dans un rapport de négociations d’intérêts mutuels, de négociation d’une communauté de destin. On peut donc tout au plus rompre à un exercice bien connu des politistes qui est celui d’établir un « risque pays » : analyse des rapports de force et prise en compte des hypothèses possibles. Ce qui permet à la chaine de décision de se positionner stratégiquement.
S : A l’international, il y a la guerre russo-ukrainienne. Cette guerre est-elle en train de dessiner une nouvelle carte des rapports de force sur la scène internationale ?
S. B. :L’une des observations notables que l’on peut faire, c’est que la guerre russo-ukrainienne officialise une rupture d’avec un acquis que l’on croyait définitif à l’issue de la 2nde guerre mondiale : la fin de la guerre interétatique. C’est donc un basculement important. Et puisque la guerre est toujours le fruit d’une collusion d’intérêts contradictoires, il faut s’attendre à des évolutions difficilement prévisibles. En cela, rien n’est jamais définitif dans le processus d’une guerre dans la mesure où les forces s’engageant progressivement, peuvent faire basculer le rapport de force de l’un ou l’autre côté des belligérants. C’est le jeu des alliés qui va définir la suite.
S : Avec la montée en puissance de la Russie, de la Chine et d’autres puissances émergentes, s’achemine-t-on vers une nouvelle carte géopolitique mondiale où l’Occident ne serait plus le centre du monde ?
S. B. :Pour sûr, il y a une reconfiguration de la carte du monde par les pays émergents. On est plus au stade de la montée en puissance, mais de la consolidation de leur statut de puissances contestataires de l’ordre occidental. L’invasion de l’Ukraine est un exemple parfait. Leur poids économique, démographique et militaire à des degrés variables, mais changent le jeu et le positionnement des acteurs sur la scène internationale. Le monde unipolaire s’étiole de fait malgré la volonté de résistance du bloc occidental.
S : Quels seraient la place et le rôle de l’Afrique dans cette nouvelle carte géopolitique mondiale qui se profile ?
S. B. :On peut le considérer comme une opportunité à la seule condition d’une conscience pleine des enjeux. L’Afrique n’est pas une, elle est multiple avec des pôles divers qui peinent à communiquer entre eux et est traversée en ce moment même par plusieurs velléités de sécessionnisme sur plusieurs territoires. Il faut sortir du panafricanisme en esprit pour l’opérationnaliser si nous avons le désir de peser dans le futur international.