Changement climatique: « Nous publions les résultats de nos enquêtes pour conscientiser les dirigeants » dit Josaphat Finogbé Dah-Bolinon, journaliste d’investigation
Dah-Bolinon : Un changement que nous constatons déjà dans notre quotidien est lié à l’environnement, au climat, à travers la météo qui change, les saisons également qui changent. Au Burkina, par exemple, j’ai fait le constat, depuis mon arrivée, qu’il fait très chaud dans la journée et la nuit il fait vraiment froid.
Ça, ce n’est pas encore anormal. Ce qui est anormal, c’est que ce n’est pas la saison habituelle. Ce qui veut dire qu’il y a un dérèglement quelque part que nous constatons. Dans le cas du Bénin, que je connais très bien, la saison pluvieuse n’est plus comme avant. Si la pluie tombait en juillet, ce n’est plus le cas ; c’est peut-être fin août ou peut-être fin octobre qu’elle va se manifester désormais.
Li : En quoi le changement climatique peut-il influencer négativement la vie de la population ?
Dah-Bolinon: Ce changement climatique s’observe sur le rendement des cultures ; les gens qui produisent peut-être du riz, du sorgho et bien d’autres spéculations, ne le pourront plus ; ils devront travailler davantage, quand bien même ils parviennent à le faire, pour obtenir le rendement qu’il leur faut.
Il y a un changement au niveau de la pluviométrie ; et il y a un changement chez le producteur agricole.
Cela ralentit l’économie du pays. Et quand l’économie est ralentie, le développement aussi se ralentit. C’est tout une chaine.
Mais si un maillon de cette chaîne se brise, c’est tous les autres maillons qui auront des problèmes et comme ça, c’est le pays tout entier qui aura des problèmes ensuite.
Li : Vous avez tenu une conférence publique qui traitait de la question du journalisme d’investigation face au changement climatique ; donnez-nous quelques exemples de la contribution du travail du journaliste d’investigation dans la lutte contre le changement climatique.
Dah-Bolinon: Concernant la conférence que nous avons tenue au Centre national de presse Norbert Zongo de Ouagadougou, nous avons présenté les résultats de notre enquête sur de longs mois. C’est un travail qui concerne les changements climatiques en Afrique de l’Ouest.
Ces productions concernent bien sûr les brasseries et les cimenteries qui sont les grosses industries qui polluent l’environnement, qui émettent beaucoup de carbone qui détruisent la couche d’ozone.
On a travaillé sur le fleuve Sassandra et le fleuve Niger, on a travaillé également sur la cartographie en matière de déforestation au Mali et en Côte d’ivoire.
Il y a aussi le Burkina où des sociétés minières se sont installées et détruisent pratiquement la nature en exploitant les richesses économiques.
Donc on a présenté ces résultats de nos enquêtes pour prouver, qu’effectivement, il y a un drame dans la société. Et tous ceux qui ont été présents à cette conférence, y compris les acteurs de la société civile, les ONG et même les représentants des directions et des ministères, ont reconnu qu’il y a un problème.
Pour ce qui est les zones industrialisées à Abidjan, en Côte d’Ivoire et à Cotonou, au Bénin, sur lesquelles nous avons travaillé, comme les brasseries, nous avons démontré qu’en utilisant les calcaires, la poussière qui se dégage, contribue à la dégradation de l’environnement.
CIM Bénin qui est une cimenterie basée à Cotonou, au Bénin, produit environ plus de 70.000 mégawatts d’électricité par an, alors que la production de la société d’État de l’énergie est pratiquement en deçà de cette quantité.
Donc, vous voyez, entre la production et la consommation, il y a déjà un décalage. Toute cette production et tout ce dioxyde de carbone que cette cimenterie dégage, détruit la couche d’ozone.
Parce que, avec la couche d’ozone qui est ainsi détruite, désormais, on ne pourra plus avoir un climat prospère.
Le réchauffement climatique, la nappe phréatique et les poussières issues également des calcaires qui se déversent, tout cela constitue quand même un drame qu’on vit.
Nous publions les résultats de nos enquêtes pour conscientiser les dirigeants et montrer qu’il y a quelque chose qui ne va pas et que les gouvernants doivent prendre des décisions nécessaires pour agir.
Ce n’est pas nous qui allons prendre les décisions à leur place, mais nous, en tant que journalistes, nous avons fait notre travail. Et nos enquêtes sont d’ailleurs publiées sur les sites de la CENOZO ainsi qu’également dans les organes de presse partenaires.
Nous montrons dans notre travail que dans le drame qui se vit ici et là, il y a aussi, parfois, des solutions à côté.
Donc, il suffit juste pour les dirigeants d’opter pour telle solution et de prendre les mesures appropriées avec fermeté, d’agir sur les lois qui existent et qui tardent a être appliquées.
Imaginez que vous avez une forêt qui est déclarée classée et au même moment, il y a le même État qui octroie un permis d’exploitation des ressources dans cette forêt ou à côté de cette forêt… Donc, vous voyez le drame qui se créé…
Ce n’est pas parce que les dirigeants ne savent pas. Peut-être qu’ils n’avaient pas mesuré l’ampleur des dégâts environnementaux et climatiques que cette décision pourrait causer.
Libreinfo.net : quelles sont les solutions, par exemple, que les acteurs étatiques peuvent prendre pour essayer de lutter contre ce phénomène ?
Dah-Bolinon: On peut décider de déclasser une forêt sur le plan national et la classer sur le plan communal. Là, il y a moins d’impact.
C’est un peu compliqué mais on peut toutefois prendre des mesures ou à défaut ne pas octroyer des permis d’exploitation au niveau de cette forêt.
En Côte d’Ivoire, par exemple, les députés ont voté des lois pour dire qu’on ne doit pas installer ces industries dans les agglomérations, c’est-à-dire en plein cœur d’une ville.
Malheureusement, on a octroyé des permis d’installation à ces industries-là dans des agglomérations. C’est contraire d’ailleurs à la loi.
Au Bénin, la loi interdit aussi cela. Mais là-bas, c’est encore pire. Il y a une société de ciment, installée en plein cœur de Cotonou.
Suite à une injonction du gouvernement sur la base d’un décret datant de 2001, l’usine devait délocaliser son unité de production qui est installée en plein cœur de la ville, mais depuis cette décision et ce long temps, rien.
En 2021, le gouvernement, en conseil des ministres avait décidé de donner un ultimatum aux dirigeants de la cimenterie.
L’ultimatum était fixé au 30 décembre 2022. Mais à la date d’aujourd’hui où nous sommes, déjà en janvier 2023, l’unité de production est toujours là.
Donc, il y a déjà le manque de volonté des dirigeants tant au niveau du Burkina qu’au Bénin et c’est la même chose en Côte d’Ivoire.
Li: Quelles sont les techniques qu’un journaliste d’investigation peut appliquer pour mieux conduire ces enquêtes ?
Dah-Bolinon: Mais aujourd’hui, il y a beaucoup de techniques. Il y a la technique traditionnelle qui consiste à aller sur le terrain, à vérifier vous-même, à chercher, à fouiner. Et l’utilisation des outils modernes.
Par exemple, pour un travail sur une forêt au Burkina Faso et sur le fleuve Sassandra du Niger, on a utilisé des outils qui permettent de surveiller et de mesurer le changement climatique et la production en temps réel dans chaque ville.
Il y a ces outils qui existent et que le journaliste d’investigation peut utiliser. Mais cela n’empêche pas, comme c’est d’ailleurs recommandé, qu’e le journaliste se rende sur le terrain et qu’il prenne attache avec les victimes, avec les responsables et surtout qu’il obtienne l’avis des divers responsables.
Et avant d’approcher ces responsables, le journaliste doit s’assurer de disposer du maximum d’informations utiles.
Li : Est-ce que dans le cadre de vos enquêtes, vous rencontrez des difficultés particulières ?
Dah-Bolinon: Il y a les difficultés que vous connaissez : c’est déjà l’accès aux sources d’information, l’absence des interviews que les gens ne veulent pas accorder et bien d’autres. Ça, ce sont des difficultés classiques.
Mais s’il y a un défi que nous devons relever, c’est le défi de la collaboration entre journalistes d’investigation des quatre pays (Mali, Burkina Faso, Côte d’Ivoire et Bénin). Vous savez, le travail collaboratif n’est pas facile.
Li: Alors quels sont les volets dans la lutte contre le changement climatique dans lesquels les médias peuvent être utiles ?
Dah-Bolinon: Mais c’est tous les volets… Il n’y a pas de volet spécifique. Je me promène depuis quelques jours à Ouagadougou mais je constate qu’il y a toujours des gens qui utilisent le vélo.
Si aujourd’hui vous partez dans les pays développés, ils ont recours au VTT (Vélo tout terrain) pour se déplacer. Mais pour eux, l’optique est de préserver la nature. Ils optent pour les trottinettes électriques.
Au Burkina, il y a encore du vélo, mais c’est un potentiel. C’est peut-être culturellement enraciné dans votre quotidien, mais c’est un aspect écologique. Le journaliste peut prendre cet exemple et travailler là-dessus.
Ouagadougou aujourd’hui est moins polluée qu’Abidjan, Cotonou et Dakar. En Allemagne, il y a des sujets qui semblent être des sujets simples mais qui s’avèrent vraiment intéressants qui pourraient intéresser.
Imaginez un instant que vous travaillez pour ramener la mentalité du Burkinabè à le convaincre de ce que aller à vélo participe à la préservation de la nature, cela participe au maintien de l’ordre climatique.
Mais il va s’y intéresser…Il va dire « ok » ; si l’image que j’ai de celui qui va à vélo change positivement, et que moi-même, par exemple, j’opte pour aller à vélo, cela peut influencer d’autres personnes…
Donc c’est dans tous les domaines que nous pouvons intervenir et participer au changement de comportement en vue de contribuer à une prise de conscience.