Le président de la Transition au Burkina, le capitaine Ibrahim Traoré a annoncé le 3 janvier 2022 à Bobo-Dioulassa, la capitale économique du pays, la suspension prochaine de la convention signée par l’Etat burkinabè sous le régime déchu du président Roch Kaboré avec le groupe français Meridian AMP pour la gestion du futur aéroport international de Ouaga-Donsin. Cette convention avait fait couler beaucoup d’encre et de salive au sein de l’opinion publique. Le collectif des syndicats de l’aéronautique burkinabè avait, plusieurs fois, dénoncé cette convention de concession et en avait exigé l’annulation.
Le groupe français Meridian AMP avait signé une convention en octobre 2021 avec l’Etat burkinabè pour la réalisation de 20% des travaux sur le site du futur aéroport international de Ouaga-Donsin, à une trentaine de km au nord de la capitale Ouagadougou.
Selon cet accord, le groupe français devait exploiter l’aéroport sur une période de 30 ans. Le coup d’Etat du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba de janvier 2022 qui avait renversé le régime de M. Kaboré avait mis un terme au processus de finalisation de cette convention. En effet, les décrets de mise en œuvre de la convention afin de permettre au géant français de commencer les travaux n’avaient pas encore été signés.
Le président Ibrahim Traoré a surpris toutes les parties en annonçant la suspension de la convention en cours de signature et la relecture des textes sur la gestion de l’aéroport international de Donsin.
Le nouveau chef de l’Etat burkinabè a fait cette déclaration le 3 janvier 2023 à Bobo-Dioulasso, lors de sa rencontre avec les forces vives de la région des Hauts-Bassins.
Le nouvel aéroport international de Donsin, situé à 35 kilomètres au nord-est de la capitale Ouagadougou, est en construction sur une superficie de 4 400 ha. Le coût d’investissement de ce projet est estimé à plus de 144 milliards FCFA.
L’infrastructure devrait être livrée le premier semestre de 2024 avec une capacité d’accueil d’un million de passagers par an. Le nouvel aéroport devrait comporter 25 bancs d’enregistrement, 17 postes de police et 156 m linéaires de tapis de livraison de bagages.
In fine, les redevances, combinées aux recettes fiscales versées par le concessionnaire, devraient générer environ 393 milliards de FCFA de revenus pour l’État sur la durée de la concession.
Après plus d’une année d’attente, c’est finalement le 12 octobre 2021 que le groupe français Méridian AMP avait signé avec l’État du Burkina Faso une concession de 30 ans pour la conception, la construction, le financement, l’exploitation et la maintenance du nouvel aéroport.
Une convention décriée par les syndicats des travailleurs de l’aéronautique
Cependant, la signature de cet accord de concession avait été largement décriée par les syndicats membres du collectif des syndicats de l’aéronautique du Burkina qui dénonce plusieurs manquements dans le texte.
Parmi ces insuffisances, les syndicats des travailleurs de l’aéronautique civile dénoncent, par exemple, le fait que le groupe français Meridian AMP puisse exploiter le futur aéroport pendant 30 ans, avec seulement un investissement de l’ordre de 20% du coût total du projet ; que l’Etat burkinabè n’aura seulement que 20% des redevances sûreté contre 80% pour le groupe français. « Dans la sous-région, aucun modèle économique ne permette cela », dénoncent les syndicats.
Lors d’une conférence de presse le 25 mars 2022, M. Ahmed Lamizana, porte-parole du collectif de syndicats, avait cité la loi n°10 du 26 avril 2000 sur la privatisation des aéroports de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso portant sur une durée de gestion de 20 ans. Selon lui, « ils veulent accorder une concession de 30 ans alors que la loi précise que c’est 20 ans »
En outre, les syndicats avaient dénoncé dans la convention, entre autres, « l’abandon » de l’aéroport international de Bobo-Dioulasso, l’absence d’une vision ambitieuse, la perte des droits et avantages acquis par les travailleurs des infrastructures aéroportuaires, le renchérissement du prix du billet d’avion.
Selon cette convention, le financement et la réalisation en maîtrise d’ouvrage publique des voiries d’accès, des bâtiments administratifs, de la tour de contrôle et de la piste d’atterrissage incombent à l’État.
À l’opérateur privé revient la charge de développer, de financer et de construire le reste des bâtiments et des équipements (à commencer par l’aérogare passagers, les hangars et les zones de frêt) et d’assurer l’exploitation, la gestion et la maintenance de l’intégralité du nouvel aéroport.
Devant une telle situation de répartition des charges et des bénéficies, le collectif a demandé aux autorités d’alors d’annuler la convention de concession de l’aéroport international de Ouaga-Donsin avec Méridian AMP, la révision de la conduite et de la gouvernance du projet, l’élaboration d’une nouvelle stratégie qui sera profitable au peuple burkinabè.
L’annonce de la suspension de cette convention sujette à controverse est sans doute une victoire d’étape pour les travailleurs qui estimaient également leurs emplois menacés par cette concession.
« Nous apprécions à sa juste valeur cette décision courageuse du chef de l’Etat » confie M. Ahmed Lamizana. Il a ajouté que ce n’est pas suffisant : « notre position au niveau du collectif, c’est l’annulation pure et simple. »
Cette suspension de la convention intervient quelques jours après le décès de 7 ouvriers suite à l’effondrement d’une dalle d’un immeuble en construction au sein de l’aéroport de Donsin en chantier.
Elle intervient également à une période où les relations semblent tendues entre Ouagadougou et Paris. En effet, après l’expulsion pour espionnage de deux Français dans la nuit 17 au 18 décembre 2022, le régime du capitaine Ibrahim Traoré a ensuite demandé le remplacement de M. Luc Hallade comme ambassadeur de France au Burkina.
Cette demande a été qualifiée d’inhabituelle par le porte-parole de Quai d’Orsay, Mme Anne-Claire Legendre, lors d’un point de presse le 4 janvier 2023, à Paris.
C’est dans ce contexte que nos confrères de “Africa intelligence” ont révélé l’intention de la France de retirer ses soldats actuellement présents au Burkina Faso.
Le gouvernement ira-t-il jusqu’au bout ?
La concession de l’aéroport international de Donsin au profit du groupe français Méridian AMP est régie par des textes signés de commun accord entre le groupe privé français et l’Etat burkinabè. Fondée en 2005 et spécialisée dans le financement des infrastructures, la société française Méridian AMP est engagée dans plusieurs projets au Sénégal, en Ethiopie, en Côte d’Ivoire, au Gabon et à Madagascar.
La suspension ou une annulation de la convention entre groupe français Méridiam AMP et l’Etat burkinabè devrait sans doute déclencher une procédure judiciaire à laquelle l’Etat burkinabè devra se préparer à faire face tout comme il devra revoir ses relations avec ses partenaires financiers internationaux.
En effet, ce projet avait mérité la confiance de plusieurs partenaire financiers du Burkina dont IFC (groupe Banque mondiale), la Banque africaine de développement (BAD), l’Agence française de développement (AFD), l’Institution financière de développement allemande (DEG), la Société islamique pour le développement du secteur privé (filiale de la Banque islamique de développement, BID), le fonds Emerging Africa Infrastructure Fund (EAIF).
Ce projet , stratégique, à plus d’un titre, nécessite donc une gestion prenant en compte de nombreux paramètres.