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Entrepreneuriat agricole dans le Tuy: les exploits des personnes en situation de handicap

Publié le mardi 20 decembre 2022  |  Sidwaya
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© Autre presse par DR
Campagne agricole de saison sèche 2022-2023 au Burkina Faso : plus de 10 milliards de FCFA pour un plan opérationnel
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De plus en plus, dans la province du Tuy (Houndé), région des Hauts-Bassins, des personnes en situation de handicap s’intéressent à l’agriculture et encore plus, à l’agrobusiness. Ils démontrent qu’agriculture et handicap peuvent faire bon ménage. Gros plan sur quelques-uns.

A Karaba, secteur 1 de la ville de Houndé, dans la province du Tuy, région des Hauts-Bassins, les travaux champêtres de la campagne agricoles 2022-2023 sont presque à terme en cette 2e semaine du mois de novembre 2022. C’est la moisson. Lamoussa Sieza, handicapé visuel, marié et père de 5 enfants dont 2 en âge d’aller à l’école, a le sourire aux lèvres. Et pour cause, ses greniers sont pleins après ses récoltes. « Nous avons eu de bonnes récoltes », dit-il, visiblement satisfait du fruit de son labeur.

Malgré son handicap, il se refuse tout repos. Ce jeudi 10 novembre 2022, il est occupé à labourer un lopin de terre, à la périphérie de Karaba, pour des cultures de contre-saison. A l’issue du labourage, il confectionne des planches afin d’y repiquer des pieds d’oignon, de tomate, de chou, d’aubergine … Depuis belle lurette, le handicap du natif de Karaba ne l’empêche pas de s’investir dans l’agriculture. L’homme excelle dans la culture de rente.

Le coton, le maïs, le sésame, le niébé, sont entre autres, ses spéculations de prédilection durant la saison agricole humide avec un hectare de superficie emblavée par spéculation. Après la moisson, il compte palper au moins 1 040 000 F CFA parce que son hectare de maïs a produit 1,5 tonne, celui du soja, 10 sacs de 100 kg, l’hectare de riz, 20 sacs et environ 900 kg de coton (non encore pesé) comme l’année dernière.

La quarantaine bien sonnée, M. Sieza est désormais cité en exemple parmi les agrobusinessmen de Houndé. Il y a 20 ans (fin des années 90), raconte-t-il, il s’est lancé dans l’agriculture après avoir perdu la vue. En 2001, il décide de diversifier son activité en s’occupant pendant la saison sèche. Il opte pour le jardinage. Un choix difficile mais « éclairé », même s’il est obligé de s’attacher les services de tierces personnes pour arroser les plantes.

« Comme je ne vois pas bien, il est difficile de puiser l’eau dans un puits qui n’a pas été creusé en ma présence, au risque de tomber dedans », fait savoir l’agriculteur. A la fin de chaque récolte de contre-saison, le chou peut lui rapporter environ 250 000 F CFA, la tomate, 300 000 F CFA et l’oignon, 600 000 F CFA, « si les récoltes sont bonnes », insiste-t-il.

A la sueur de son front
Comme Lamoussa Sieza, Mabalera Fankani est aussi une personne en situation de handicap. Malvoyante, dame Fankani a commencé à cultiver il y a de cela 9 ans. Dans la matinée de ce jeudi 10 novembre 2022, à 10 km de Karaba, le calme règne. Mabalera Fankani sèche son mil à la maison sous un soleil torride avant l’entreposage. Cette année, elle a cultivé le maïs, le sorgho, l’arachide et le soja sur un terrain d’un hectare et demi. Il est difficile, dit-elle, d’estimer la récolte, mais visiblement, elle en est satisfaite. « Vu mon handicap, mon mari m’a donné une portion de terre pour que je puisse me débrouiller », nous confie-t-elle avec fierté.

Pour elle, la terre peut nourrir son homme et elle invite les personnes en situation de handicap à s’investir dans l’agriculture au lieu de mendier. A Kari, village rattaché à la commune de Houndé, à 43 ans, Lohoua Dibiko, lui, est un handicapé moteur. Assis devant sa hutte dans un hameau de culture, il assiste les femmes qui récoltent son coton. M. Lohoua exploite cinq hectares d’or blanc depuis 2006. Il estime sa récolte entre 3 à 5 tonnes de coton par hectare.

En plus du coton, il cultive le maïs, le mil, l’arachide et le soja. Marié et père de 4 enfants, Lohoua Dibiko dit arriver à exploiter son champ grâce à sa femme qui lui est d’une « aide inestimable », en plus des services de saisonniers, surtout au moment des récoltes. « Nous sommes mariés, il y a 15 ans. J’aide mon mari dans l’exploitation de son champ. Très souvent, je l’aide à appliquer les pesticides sur les plantes », soutient Adjara Dibiko, son épouse.

Un terreau fertile
Malvoyante, la présidente de l’association Senimi (Entraide en langue bwamou), Pierrette Noélie Kaziemo, connait bien Lamoussa Sieza. C’est d’ailleurs grâce à ce dernier qu’elle a eu le courage de se lancer dans l’agriculture. « Quand j’ai su qu’il avait un champ et qu’il faisait le jardinage malgré son handicap, je lui ai demandé une portion de terre pour cultiver l’oignon moi aussi, vu que nous vivons le même mal », fait- elle savoir.

Avec son association, elle est en train d’aménager un terrain de 2 hectares pour la nouvelle campagne. « Nous allons cultiver les spéculations de tous genres », indique Mme Kaziemo. Pour elle, l’agriculture peut être un terreau fertile pour l’épanouissement des personnes vivant avec un handicap. « Certes, nous sommes en situation de handicap, mais nous devons nous nourrir à la sueur du front.

La terre nous offre des opportunités », affirme-t-elle. Mathias Ouattara est agent d’agriculture à la direction provinciale de l’Agriculture du Tuy. Il conseille Lamoussa Sieza sur les nouvelles pratiques agricoles depuis 3 ans. Il décrit le producteur handicapé comme un « homme humble et travailleur, toujours présent aux rencontres au niveau provincial ». « Tout le monde le connait grâce à la qualité de son travail. Pour moi, son travail sort de l’ordinaire pour quelqu’un qui est aveugle », affirme Mathias Ouattara.

Personne ne tarit d’éloges sur l’agrobusinessman. « Malgré qu’il soit aveugle, son champ dépasse ceux de certaines personnes non handicapées. Quand je vois son travail, cela dépasse l’entendement. Lamoussa n’attend personne avant de travailler. Il est capable de planter lui-même ses pépinières », renchérit Sylvain Damoué qui travaille avec lui depuis plus de 4 ans. Moctar Ouelogo, agent technique de coton dans la localité de Kari, encadre Dibiko Lohoua depuis trois ans.

A l’entendre, Dibiko Lohoua est un producteur exemplaire qui applique les conseils reçus. « Dès les premières pluies, cet handicapé commence les semis. Il est capable de faire tout le travail sauf le traitement phytosanitaire », raconte Moctar Ouelogo. Dibiko Lohoua travaille mieux que certaines personnes dites « normales », ajoute-t-il. Grâce à son travail, confie M. Ouelogo, le producteur handicapé a pu s’acheter une moto et scolariser ses enfants.

L’orpaillage, une menace des champs
Pour Dibiko Lohoua, le handicap n’est pas une fatalité parce qu’une personne vivant avec un handicap peut exceller dans l’agriculture. Toute chose qui peut favoriser sa réinsertion sociale. Pour sa part, Lamoussa Sieza encourage les personnes en situation de handicap à ne jamais désespérer et à travailler dur pour se faire une place au soleil. « Même si c’est difficile, il ne faut jamais baisser les bras. Le handicap, c’est dans la tête », se convainc-t-il. Sauf qu’aujourd’hui, dans la zone de Kari, les champs sont menacés par l’orpaillage. Dibiko Lohoua n’en est pas épargné.

D’un air triste, il craint que les terres que lui a cédées son grand-père ne soient « englouties » par des chercheurs de la pierre précieuse. « J’ai appris qu’à chaque fois qu’ils font des recherches et qu’ils trouvent des traces d’or dans un domaine, ils arrachent le champ à la personne sans aucune forme de procès. Ce que je sais, c’est qu’un jour, ils vont prendre mon champ parce qu’ils disent y avoir trouvé des traces d’or », se lamente-t-il.

D’ailleurs, certains, à notre passage ce jeudi 10 novembre 2022, ont commencé à installer leur quartier dans le lopin de terre de M. Lohoua. Ils ont même commencé à y creuser des trous pour des recherches. « Je les ai interpelés en vain », raconte-t-il avec amertume. Pour son encadreur, si cette terre lui est arrachée, ce sera un désastre pour lui et toute sa famille.

Boudayinga J-M THIENON
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