"Le football unit les peuples quand la politique les divise": les relations entre la Tunisie et le Maroc ont beau être en crise, le Tunisien Wissam Sultani encouragera mercredi les Lions de l'Atlas face à la France en demi-finale du Mondial-2022 au Qatar.
"Sur la pelouse, la politique n'a rien à faire. Soutenir un pays arabe, quel qu'il soit, est un devoir lorsqu'il arrive à ce stade de la compétition", affirme M. Sultani, 41 ans, qui tient un étal de fruits et légumes dans le marché central de Tunis.
Après avoir brisé un plafond de verre en devenant la première sélection africaine ou d'un pays arabe à entrer dans le dernier carré d'un Mondial, le Maroc peut en effet compter sur le soutien de tout un continent dont il porte les espoirs, en défiant les tenants du titre français pour une place en finale.
Le parcours du Maroc, qui a éliminé le géant espagnol en huitièmes et le Portugal de Cristiano Ronaldo en quarts, a suscité un élan de fierté et d'excitation chez les voisins tunisiens et algériens, transcendant les querelles politiques au Maghreb, ainsi que dans le reste de l'Afrique.
Dans le centre de Tunis, la sono d'une boutique d'articles sportifs crache des chansons folkloriques marocaines pour attirer le chaland. Le maillot rouge des Lions de l'Atlas est le clou de l'étalage.
"Tenir tête"
Le pays est pourtant en froid avec le Maroc, qui lui reproche de s'être aligné sur la position de l'Algérie dans le dossier du Sahara occidental, au coeur de tensions extrêmes entre les deux frères ennemis du Maghreb.
En Algérie, si les médias officiels ont quasiment passé sous silence les performances des Marocains, se contentant parfois du résultat sec, la presse privée a salué leurs exploits.
"Il est tout à fait normal que les Algériens soutiennent le Maroc, qui est un pays musulman, frère et voisin", explique Madjid, 58 ans.
Pour Salim, 45 ans, salarié d'une entreprise publique, "les Algériens sont avec l'équipe marocaine car elle représente un pays maghrébin et amazigh" (berbère).
Au Maghreb comme ailleurs dans le monde arabe, des fans affirment que leur soutien au Maroc est décuplé lorsqu'ils voient ses supporteurs et joueurs agiter le drapeau palestinien, montrant leur attachement à la cause palestinienne bien que Rabat ait normalisé ses relations avec Israël en décembre 2020.
Selon le sociologue tunisien Mohamed Jouili, ce soutien au Maroc qui se manifeste de plus en plus à l'approche du match contre les Bleus s'explique aussi par "le passé colonial de la France dans le Maghreb".
"Les pays de la région ne peuvent pas rivaliser avec la France sur les plans économique, militaire ou géopolitique, mais peuvent lui tenir tête pendant 90 minutes sur un terrain de football et même la battre", ajoute-t-il, rappelant la victoire de la Tunisie en phase de groupes contre les hommes de Didier Deschamps.
"Historique"
Au Sénégal, les critiques visant le Maroc pour "les mauvais traitements" qu'il est accusé d'infliger aux migrants subsahariens ont été mises en sourdine pour accompagner l'épopée des Lions de l'Atlas, surtout après l'élimination en huitièmes de la sélection nationale.
Le chef de l'Etat Macky Sall, président en exercice de l'Union africaine, a félicité l'équipe marocaine pour sa qualification en demi-finale, la qualifiant d'"historique".
"Maintenant nous devons tous pousser les Lions de l'Atlas et le Maroc pour les mettre sur le toit du monde. On arbore les drapeaux marocains et on met les maillots marocains. Amener la Coupe du Monde en Afrique, c'est désormais proche de la réalité", a réagi sur Twitter Alioune Tine, figure de la société civile.
Au Nigeria, l'ex-star de la sélection nationale et du PSG, Jay Jay Okocha, cité par la presse, a jugé possible un nouvel exploit marocain.
"L'équipe de France est dominée par des joueurs aux racines africaines mais l'Afrique soutiendra solidement le Maroc pour qu'il aille en finale", a-t-il ajouté.
Même son de cloche en Afrique du Sud, dont l'équipe nationale n'avait pas réussi à franchir la phase de groupes lors du Mondial 2010 organisé à la maison.
"Je suis devenu un grand supporteur des Lions de l'Atlas, et même si leurs chances contre la France sont minces, rien n'est impossible", estime Monthati Molosankwe, un adolescent de Johannesburg fan de football.