Au Burkina Faso, les mariages entre des hommes majeurs et des filles de moins de 18 ans étaient courants dans la province du Boulgou et la commune de Zabré en particulier. Les unions précoces étaient banales, perpétuées de génération en génération. Mais aujourd’hui la pratique s’étouffe et avec elle, les meurtrissures d’innocentes jeunes filles. Même si Zabré et ses villages environnants ne sont pas encore débarrassés de cette tradition « dégradante », des acteurs locaux engagés dans la lutte engrangent des victoires et mettent un point d’honneur à précipiter sa fin…
Le rire charmeur et pleine d’entrain, Alizar (nom d’emprunt) force l’admiration. Avenante et débonnaire, son esprit avisé lui fait paraitre 35 ans d’âge voire 40 ans et même plus. Elle en a pourtant en deçà. Alizar vient de souffler sa vingtième bougie, il y a quelques semaines, en début de ce mois d’octobre 2022, dans sa ville natale de Zabré, à environ 175 kilomètres de Ouagadougou dans la région du Centre-est. A la voir arborer régulièrement le sourire, la jeune fille passe pour une personne à qui la vie a été généreuse. Mais il y a neuf ans, elle vivait un cauchemar. On la mariait de force à un homme d’un âge avancé qu’elle ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam. Un évènement qui s’est abattu tel un couperet sur sa tête.
« J’avais onze ans et j’étais en classe de CM2 quand tout a commencé », relate-t-elle, d’un air monotone, la main serrant la croix du christ rédempteur portée autour du cou. « Ce jour-là, j’étais en classe et ils ont commencé leurs rituels à la maison. On m’a appelée pour me dire de fuir et de ne pas rentrer sinon je serai amenée de force pour être mariée. Ce que j’ai fait », poursuit Alizar, un brin affligée et réprimant un inconfort naissant. A l’époque, les oncles paternels avaient scellé son sort en dépit de la réprobation de sa mère. Leur argument était que la tradition avait décidé qu’elle soit une épouse par le fait de l’alliance qui existait entre sa famille et celle de son futur mari. Et suivant ce qui était de coutume, pour elle, c’est d’abord le passage par le rituel qui scelle l’union, le séjour dans la cour du mari jusqu’à ce qu’elle soit en mesure physiquement d’accomplir son devoir conjugal de femme. En somme, c’était un grand saut dans la vie d’adulte et une croix sur ses rêves d’enfants et sa vie scolaire.
La période de cavale d’Alizar a été une traversée de désert pavée d’inquiétudes au quotidien. « On m’avait dit que j’allais mourir parce que c’était le sort inévitable pour la personne qui refuserait de suivre cette tradition », dit-elle.
Ajouté à cette hantise, la jeune fille a dû se résigner à passer une année blanche puis deux autres années scolaires éprouvantes, loin de sa ville natale. La quatrième année a été le bout du tunnel pour elle. La tension étant retombée, les parents acceptent de passer l’éponge. Elle retrouve alors la cour familiale.
Une lutte payante
Alizar, aujourd’hui candidate au baccalauréat, doit son salut à l’aide de proches sensibles à son cas et opposés au mariage d’enfants. Sa mésaventure n’était cependant pas singulière. A Zabré et dans les villages environnants, le phénomène était monnaie courante.
Les cas récurrents aussi bien en ville qu’en campagne ont motivé la création d’associations locales qui ont pris position pour la cause de la jeune fille, principale victime de ces unions précoces. L’une de ces organisations s’illustre encore dans le domaine : l’Association « Yékouma Dakoupa » (AYDA), une dénomination en langue locale bissa qui signifie en français Association « Entraide Solidarité ». Son siège trône en plein cœur de la ville de Zabré à quelques phalanges de la grande artère menant à l’hôtel de ville. Des brochures et autres affiches tapissent les murs du bâtiment érigé à la création de l’association en 2001 et témoignent de l’engagement des occupants pour la défense des droits des enfants dont la jeune fille. En deux décennies, plus d’une cinquantaine de cas de mariages précoces ont été traités dans l’enceinte de la bâtisse, selon les responsables des lieux. Des combats au cours desquels, disent-ils, ils ont joué souvent jusqu’à leur vie. « Ce n’est pas simple de s’opposer à une tradition de longue date. Il est arrivé qu’on soit même menacé de mort. Mais nous étions déterminés dans notre lutte parce que nous étions convaincus de son bien-fondé », assure la présidente de AYDA, Pauline Kobanka. AYDA a travaillé en amont comme en aval pour freiner la pratique des mariages d’enfants au niveau local. « Nous avons beaucoup fait des sensibilisations mais quand nous apprenons aussi qu’il y’a un cas qui se prépare nous intervenons pour faire échec au projet », explique Mme Kobanka sur les stratégies de lutte de sa structure. Les actions de l’association ont même permis de faire de certaines localités de la commune de Zabré des modèles en matière de lutte contre les mariages précoces et forcés. Béka, situé à environ sept kilomètres de Zabré est un cas illustratif. Dans ce village d’où intervient régulièrement AYDA figure au premier plan de la lutte pour l’émancipation, le chef, Naaba Sanem. « Sa majesté est vraiment un de nos partenaires fidèles aujourd’hui qui participe activement à la sensibilisation contre les mariages précoces et les mariages forcés. Grâce à son engagement nous avons mis en place des comités de veille et d’alerte très actifs. Des émissaires du village de Béka animent aussi une tranche à la radio locale de Zabré pour la sensibilisation et l’émission est très interactive et bien appréciée. Avec l’accord de sa majesté nous envisageons bientôt d’ériger dans le village des pancartes qui témoignent de l’engagement des populations contre les mariages d’enfants et forcés », informe le coordonnateur de AYDA, Mamini Tarnagda, à propos de quelques hauts faits des habitants de Beka et de son chef en matière de lutte contre les mariages d’enfants et forcés.
« Aujourd’hui, je peux assurer sans trop me tromper qu’il n’y a pas de cas de mariage d’enfants dans tout Beka et même dans les villages qui entourent Beka », annonce, fier, Naaba Sanem.
A l’école primaire A de Beka tout comme au Collège d’enseignement général (CEG) de la localité, les responsables sont unanimes à reconnaitre que le phénomène s’est estompé. Depuis trois ans qu’il dirige le CEG, aucune élève n’a été inquiétée à ce sujet, soutient le directeur Jules Sawadogo. Dans son établissement, comme c’est le cas dans cette classe de 5e, les filles dominent en nombre avec un effectif de 35 contre 26 garçons.
Cette situation est peut-être le reflet de la répartition de la population de la commune en sexe qui montre une prédominance de femmes mais pour M. Sawadogo, la forte présence de filles sur les bancs serait tributaire aussi d’une prise de conscience générale de l’intérêt de la scolarisation des filles et de l’abandon des pratiques traditionnelles néfastes comme les mariages forcés. « Il faut souligner également que l’école est un atout parce que quand les filles sont scolarisées, elles ont plus de chance d’échapper au mariage précoce », analyse Jules Sawadogo.
Dans les limites départementales de Zabré, Beka n’est pas le seul village qui connait d’ailleurs une tendance baissière des pratiques des mariages d’enfants ou une hausse de la scolarisation des filles. A Bangou, à Zourma, à Benya, c’est aussi le cas, se plaisent à informer des ressortissants desdites localités.
Une violence néanmoins persistante
Dans la commune de Zabré, le phénomène de mariages de filles mineures n’a pas pour autant disparu. « La pratique existe toujours même si c’est moins fréquent », précise l’agent communal en charge de l’Action sociale de Zabré, Ouoba Dieudonné.
Des études réalisées au niveau local sont absentes pour mesurer l’ampleur du phénomène. Mais l’UNICEF interpelle sur le cas du pays en général qui connait une prévalence de mariage d’enfants élevée. Le Burkina Faso tient d’ailleurs aujourd’hui la 5e place mondiale des pays ayant le plus fort taux de mariage d’enfants, selon son classement. Amnesty International Burkina Faso, une ONG qui milite aussi pour la défense des droits de l’homme et surtout des enfants, avance, elle, pour l’année 2015, une prévalence des mariages d’enfants de l’ordre de 44,1% pour la région du Centre-est d’où figure Zabré contre un taux national de 51,6%. « Une situation tout de même très regrettable même si elle est en dessous de la moyenne nationale », déplore Moussa Ouédraogo, coordonnateur national d’un projet que Amnesty International Burkina Faso met en œuvre contre les mariages d’enfants au Burkina Faso.
Durant le premier semestre de 2022, le service de l’Action sociale de Zabré a répertorié, au niveau local, une dizaine de cas environ de mariages forcés dont quelques-uns impliquent des filles de moins de 18 ans. La pauvreté et les grossesses non désirées sont des facteurs qui poussent encore à la pratique, confie le responsable du service. Mais au classement, l’orpaillage est, selon Dieudonné Ouoba, le facteur principal qui alimente toujours le phénomène. « Il y a des sites d’or un peu partout dans la localité et les orpailleurs qui se sont enrichis viennent détourner les filles souvent mineures qui acceptent de fuguer pour les suivre. Cela prend souvent l’allure d’un rapt parce que les parents ne sont souvent pas au courant », explique-t-il.
Mais quel que soit le motif, selon lui, le mariage de filles mineures est un acte de violence à éradiquer. Et ce n’est pas seulement que la pratique prive les jeunes filles de la scolarisation normale ou de vivre une enfance épanouie, soutient-il. « Quand on est juste une adolescente et qu’on tombe enceinte, il y a les risques de complication pendant la grossesse et l’accouchement. Aussi, l’éducation des enfants et les violences conjugales vont constituer d’autres problèmes pour le couple », soutient Dieudonné Ouoba.
Pour l’UNICEF, au-delà du noyau familial, les mariages d’enfants ont des répercussions sur le pays qui se retrouve face à une fécondité élevée et une pression démographique mettant à rude épreuve sa capacité à relever efficacement les défis de santé, d’éducation et d’alimentation.
Au regard de tous ces inconvénients, Dieudonné Ouoba plaide pour que les décideurs, les ONG et les associations ne faiblissent pas dans le combat contre la pratique, notamment dans l’espace communal de Zabré.
« Nous devons continuer la lutte jusqu’à l’élimination complète du phénomène pour que les filles aient les mêmes chances de réussite dans la vie que les garçons », se défend-t-il.
L’association AYDA, elle, reste focus sur son ambition. « Mettre fin à cette pratique rétrograde », rappelle, avec force insistance, son coordonnateur Mamini Tarnagda.