L’économie du Burkina Faso à l’instar d’autres pays de l’Afrique est fortement impactée par le terrorisme et le conflit Russo-ukrainien accompagné d’une inflation accélérée, rendant ainsi la vie compliquée. Chercheur Senior a la Fondation d’Études et de Recherches sur le Développement International (FERDI) et fonctionnaire international, Dr Sampawendé Jules Tapsoba explique à Libreinfo.net, dans une interview, les implications de ces problèmes majeurs.
Propos recueillis par Nicolas Bazié
Libreinfo.net : Quelles sont les conséquences économiques de la guerre Russo-Ukrainienne sur les pays du continent africain ?
Dr Sampawendé Jules Tapsoba : Le contexte des tensions géopolitiques internationales ont toujours eu des conséquences sur nos économies. Et comme on le sait tous, l’Afrique ne vit pas seule.
L’interdépendance entre nations est plus que jamais palpable et comme nous le constatons tous, le conflit a généré une tension sur le marché énergétique et créée des risques d’insécurité alimentaire pour les pays dépendants des importations d’Energie et denrées de base.
• Premièrement, à propos des tensions sur le marché énergétique, la première conséquence inévitablement est la hausse du prix du pétrole. La hausse du prix du pétrole a d’autres implications aussi bien pour ceux qui importent des produits raffinés (essence et affiliées) que pour ceux qui exportent le pétrole. Ceux qui exportent se font évidemment des bénéfices. En revanche, ceux qui importent comme le Burkina Faso, il y a forcément une augmentation des coûts. Ça c’est déjà la première conséquence immédiate. ‘La hausse du prix des produits raffinés a des répercussions sur la vie quotidienne, il y a par exemple le transport, l’électricité, la production et beaucoup d’autres secteurs. Donc l’inflation observée aujourd’hui est d’une partie causée par ce changement.
• Deuxièmement, la Russie et l’Ukraine sont les pays producteurs de denrées alimentaires que nous utilisons beaucoup. La guerre et les sanctions contre la Russie bouleversent les expéditions et surement la production des deux États. Ces derniers représentent près de 30% des exportations mondiales de blé et 18% du maïs, dont la plupart sont expédiés via les ports de la mer Noire qui sont désormais fermés. Ainsi, les difficultés d’exportation de ces denrées en raison du conflit pourraient créer une chute des stocks disponibles et voire des pénuries, surtout pendant la période des saisons non pluvieuses associée aux épisodes de suture. Ces insuffisances de denrées créent l’insécurité alimentaire et nourrit l’inflation dans nos contrées africaines. Cela est dramatique car les coûts alimentaires représentent 40 % en Afrique subsaharienne. Dans l’immédiat, l’insécurité alimentaire nuit à la productivité de la main-d’œuvre. L’impact à terme est encore plus sévère car durable : développement des enfants à travers les risques de malnutrition, la baisse de la réussite scolaire des enfants à travers l’absentéisme. Ces facteurs joueront sur la croissance immédiate et future.
• Troisièmement, le fait qu’il y ait des tensions énergétiques au niveau global, forcément nos autre pays fournisseurs verront leur coût de production augmenter. Par conséquent, le prix des produits importés en provenance de cette zone, vont connaitre une hausse.
Les trois canaux sus expliqués entraîneront des conséquences sur les économies africaines en général et sur notre nation en particulier.
Libreinfo.net : Le dollar et l’euro sont aujourd’hui au coude à coude. Est-ce un avantage pour les pays en développement ou un problème à craindre ?
Dr Sampawendé Jules Tapsoba :
En effet, la valeur du dollar augmente et potentiellement pendant un moment encore. Nous atteindrons des niveaux historiques certainement. La raison principale est liée à la politique de la banque centrale américaine et la conjoncture dans le reste du monde
La banque centrale américaine a augmenté les taux d’intérêt à plusieurs reprises cette année pour tenter de lutter contre la hausse des prix. Cela a fait grimper les rendements offerts par les produits financiers qui utilisent des dollars tels que les obligations d’État américaines. Les obligations sont un moyen pour les gouvernements (et les entreprises) d’emprunter de l’argent, qu’ils promettent de rembourser avec intérêt dans le futur. Les obligations d’État sont généralement considérées comme très sûres. Des investisseurs du monde entier ont récemment acheté des milliards de dollars d’obligations américaines. Ils doivent dépenser des dollars pour acheter ces obligations, et la demande supplémentaire a fait grimper la valeur du dollar. Lorsque les investisseurs vendent d’autres devises pour acheter des dollars, leur valeur baisse. Et la valeur du dollar monte. Il y a eu une ruée vers l’achat d’obligations du gouvernement américain à Wall Street. Les investisseurs ont également tendance à acheter des dollars lorsque l’économie mondiale est sous pression, car la taille des États-Unis fait de leur monnaie une « valeur refuge ». Cela fait également grimper le prix. De nombreuses économies d’Europe et d’Asie sont en difficulté en raison de la flambée des prix du gaz causée par le conflit en Ukraine.
Avec de tels facteurs, ici dans notre zone, la monnaie se déprécie de façon automatique. Plus le dollar est fort par rapport à l’euro, plus nous le ressentons sur la valeur de notre monnaie et ce du fait de la parité fixe que l’on a avec la monnaie européenne. Nos coûts d’importation en dollars sont actuellement en hausses. En quelques mots, un dollar plus fort par rapport à l’euro correspond à une augmentation du coût des produits importés en dollars pour la zone. D’ailleurs nous le constatons déjà. Nos recettes d’exportation seront intéressantes si on vend notre coton, notre or en dollars. Cela nous rapportera beaucoup plus. Le plus décisif, c’est de déterminer quelle est la balance pour nous les pays importateurs et exportateurs par produits. Sommes-nous importateurs ou exportateurs nets de produits raffines, de coton, d’or, etc. C’est à partir de là que nous saurons s’il y a un effet global net positif ou négatif. Il faut une étude quantifiée pour réellement comprendre l’impact mais l’Afrique en général et le Burkina Faso en particulier sera affectée. C’est une opportunité pour diversifier notre économie pour être plus résilient et construire des éléments endogènes de développement.
Libreinfo.net : Le pays connaît l’inflation la plus élevée de la sous-région. Comment peut- on expliquer ce phénomène ?
Dr Sampawendé Jules Tapsoba : Il y a une composante intérieure et une dimension extérieure. Nous pouvons donner les tendances. Au début, on a exposé les effets de la guerre Russo-Ukrainienne et la dynamique du cours élevé du dollar pour ce qui est de la dimension extérieure. Au niveau de la dimension intérieure, Il est difficile de conclure sans une analyse fine. La situation sécuritaire y contribue certainement.
Libreinfo.net : Que pensez-vous de la situation sécuritaire du pays ?
Dr Sampawendé Jules Tapsoba : La situation est très complexe et critique. Nous sommes à la croisée des chemins en tant que Nation. Impossible de se développer dans une situation incertaine et délétère. Nous, toute la nation, devons-nous réveiller et aller dans une dynamique de solutionnement. Facile à dire mais titanesque à mettre en œuvre. Nous devons tous travailler à soutenir toutes les initiatives allant dans ce sens.
Je ne pense pas avoir l’expertise qu’il faut pour me prononcer sur toute la question. Pour ma part, en tant qu’économiste, j’encourage pour des solutions qui ne soient pas purement militaires mais qui approchent la question de façon globale, en tenant compte des aspects tels que le développement, l’économie, l’éducation etc… Il faut rendre le terrorisme économiquement et financièrement non rentable. À la fin de la journée, il y a un calcul économique et d’opportunités pour des actions d’extrémisme violent. Pour y arriver nous devons avoir une dynamique de création d’opportunités pour tous.
Libreinfo.net : Comment le terrorisme affecte la situation économique des pays en proie au terrorisme comme le Burkina Faso ? Pouvez-vous nous éclairer ?
Dr Sampawendé Jules Tapsoba : Le Sahel est de nos jours, l’une des régions les plus touchées par le terrorisme. Cette violence a premièrement un coût humain exorbitant : morts, blessés et populations déplacées. Également, elle entraîne des conséquences sur l’économie car l’instabilité et une incertitude économique n’est jamais bonne pour les activités économiques. Le terrorisme et la réponse d’un État à une activité terroriste affectent l’Economie de plusieurs manières.
• Humanitaire. Les déplacés internes font face à un cout certain en termes de manque d’activités et d’opportunités économiques.
• Production. Elle affecte la production et la croissance économiques en modifiant la taille, la nature et la composition de la production économique et de la main-d’œuvre. Le secteur industriel est à risque et surtout le secteur agricole au regard de la nature de l’insécurité. L’activité agricole est particulièrement vulnérable aux fluctuations avec des niveaux d’extrémisme violent, car les attaques peuvent rendre les terres inaccessibles, rendre les champs trop dangereux et la logistique autour du commerce des produits difficile à naviguer. L’instabilité de la sécurité est le plus grand obstacle à la production agricole car elle affecte l’accès et la disponibilité. Ces impacts sur la production entraîneront des répercussions sur les emplois et créer le chômage ou l’inactivité des bras valides. Le manque d’opportunités d’emploi est à la fois un moteur et une conséquence de l’extrémisme violent.
• Environnement des affaires. L’extrémisme violent peut augmenter les coûts de faire des affaires directement en ciblant les entreprises, ou indirectement en augmentant les coûts de la sécurité, les coûts d’exploitation dus aux infrastructures endommagées et les coûts associés aux mesures bureaucratiques, entre autres. Le coût de faire des affaires est à son tour un facteur affectant les décisions des entreprises internationales et locales de démarrer ou d’étendre leurs activités. Si les niveaux et les tendances de l’extrémisme violent affectent le coût des affaires, les entreprises nationales et internationales peuvent pécher par excès de prudence en renonçant, en retardant ou en déplaçant les décisions commerciales.
• Investissements. L’insécurité réduit les investissements dans les secteurs à forte intensité de capital, ce qui réduit la productivité et réduit les rendements. Les entreprises ont tendance à réorienter leurs investissements vers des biens liés au conflit au lieu d’investir dans la production de biens de consommation et exportables. De même, les investisseurs passent d’investissements à long terme à haut risque et à rendement élevé à des projets à faible risque, à faible rendement et à court terme. L’investissement étranger diminue également en raison des risques associés à la violence et du coût plus élevé de la criminalité pour les entreprises. Les capitaux sortent du pays.
• Tourisme. Le tourisme est également affecté. Les coûts du terrorisme pour l’industrie du tourisme comprennent des coûts directs tels que la diminution du nombre de touristes entraînant une diminution des dépenses et donc du PIB, et des coûts indirects tels que la diminution de l’emploi dans le secteur du tourisme.
• Infrastructures. Un autre coût tangible de l’extrémisme violent est la destruction des infrastructures et de la propriété privée, qui a des effets à long terme sur les entreprises et l’activité économique. Si les routes, les transports et les télécommunications sont touchés, cela réduit la capacité des entreprises à fonctionner. Cela peut entraîner une augmentation des coûts d’exploitation avec des tentatives de contourner l’infrastructure manquante, des pertes de stock et de capital ainsi qu’une perte de revenus. Les attaques contre les infrastructures comprennent celles qui visent les services publics, les télécommunications et l’approvisionnement en nourriture et en eau.
• Finances publiques. La nation doit faire face à des dépenses pour prendre en charge les PDI ne serait-ce que dans les domaines suivants au minimum : les moyens de subsistance, la santé, l’éducation, le logement et les infrastructures. Il faut aussi tenir compte des dépenses du gouvernement en termes de sécurisation et de lutte contre le terrorisme. Ces dépenses publiques auraient pu servir dans les domaines clés du développement : social, éducation, santé et infrastructures.
Ces effets négatifs conduisent à un cercle vicieux d’effets économiques tels qu’une croissance économique plus faible, une volatilité élevée, une incertitude et un chômage élevé.
Au-delà de toute cette analyse, nous avons tous l’espoir de vaincre le terrorisme en tant que Nation.
Libreinfo.net : Il y a l’industrie minière au Burkina Faso qui est durement frappée par le terrorisme. Est-ce qu’il faut craindre pour l’économie ?
Dr Sampawendé Jules Tapsoba : Bien sûr, c’est notre première source d’exportations. Nous n’avons pas une économie très diversifiée et cela doit interpeller beaucoup sur la nécessité de développer d’autres leviers de production. Une mine qui ne produit plus, il y a obligatoirement des conséquences sur les recettes budgétaires et sur ceux qui y sont employés. C’est une opportunité aussi de rappeler que l’économie du Burkina Faso ne se résume pas aux mines. Nous avons beaucoup d’autres potentiels.
Libreinfo.net : Comment un pays comme le Burkina Faso peut travailler à maîtriser son économie dans ce contexte ?
Dr Sampawendé Jules Tapsoba : Ce n’est pas seulement dans ce contexte qu’il faut travailler dans ce sens. De façon générale, un pays doit toujours travailler à maîtriser son économie. Il n’y a pas de recette magique. Il y a beaucoup plus de paramètres qui entrent en jeu. Il faut surtout, une politique et une vision. Il faudrait qu’on se donne une vision et que l’on s’offre les moyens pour exécuter notre vision avec probité et intégrité.