Les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) des communes de la région du Nord du Burkina se remobilisent pour la lutte contre les groupes armés terroristes dans cette partie du pays. Les VDP de plusieurs communes de la région se sont concertés mi-octobre 2022, à Ouahigouya, chef-lieu de la région.
Tôt le matin de ce mois d’octobre 2022, je quitte Ouagadougou, la capitale du pays, destination Ouahigouya, chef-lieu de la région du Nord, située à environ 181 km de Ouagadougou. Beaucoup de zones de cette région sont infestées de terroristes.
Je suis bien conscient de cette situation. Néanmoins, je m’installe, avec d’autres voyageurs à bord d’un véhicule de transport en commun. Très vite, nous arrivons à Boussé, puis à Yako et ensuite à Gourcy.
Gourcy est le chef-lieu de la province du Zondoma. Cette ville est située à 41 km de Ouahigouya, notre destination finale.
Gourcy ! Il y a quelques semaines de cela, ce nom était sur toutes les lèvres, au Burkina. En effet, c’est dans cette ville que des terroristes avaient fait irruption et s’en étaient pris au commissariat de police dans la nuit du 2 au 3 septembre dernier. À travers les vitres de notre véhicule, nous avons pu apercevoir des impacts de balles sur des murs et des véhicules incendiés, garés sous un hangar.
Le 17 octobre 2022 de nouveau, des terroristes en nombre important, sont revenus à Gourcy, cette fois au district sanitaire de la ville où ils ont mis le feu à trois véhicules et criblé les bâtiments de balles.
Nous continuons notre voyage. Juste après Gourcy, nous apercevons une colonne motorisée de militaires armés. Nous marquons un arrêt, afin de leur céder le passage.
C’est à notre retour que nous comprendrons, pour les avoir rencontrés de nouveau, que ces militaires font la patrouille entre Gourcy et Ouahigouya, afin de sécuriser le trafic routier. C’est un signe indiquant que les groupes armés sont bien actifs dans les parages et peuvent agir à tout moment. Les forces de défense et de sécurité sont donc sur leurs gardes.
Les postes de contrôle, à l’entrée de chaque ville sur cet axe, sont tenus par des gendarmes. Tout passager doit descendre du car et présenter sa carte nationale d’identité avant de remonter dans le véhicule et de continuer son voyage.
Après environ trois heures de route sur l’axe Ouagadougou-Ouahigouya, c’est enfin l’arrivée vers 10h du matin, à la gare de la Cité de Naaba Kango, l’autre nom de Ouahigouya. Il faut faire vite parce que des VDP (Volontaires pour la défense de la patrie) que je vais rencontrer m’attendent depuis un bon moment.
Rencontre avec des combattants VDP à Ouahigouya
À bord d’un autre véhicule, mes hôtes VDP et moi, nous nous dirigeons vers la place Naaba Kango, dans le centre-ville. Nous mettons quelques minutes pour arriver à cette place mythique de la ville.
Nous y trouvons des VDP mobilisés. Ils sont une trentaine de VDP, venus de certaines communes de la région.
Sous les arbres, les choses sérieuses commencent très vite. Cela, curieusement, à proximité de la Tombe de Naaba Kango. Il s’agit, pour les VDP, d’examiner la situation sécuritaire et de s’organiser pour faire face aux groupes armés terroristes. Il est question, notamment, de régler le problème de leur dotation en armes et de se prononcer sur la situation des intermédiaires civiles (coordination) entre VDP et forces de défense et de sécurité (FDS) dans la lutte contre le terrorisme.
« L’armée nous a retiré nos armes…» regrettent les VDP
Pour ce qui est du premier point, les combattants VDP disent ne plus être en possession de leurs armes car l’armée les a retirées. Ils plaident donc pour que des armes leur soient remises pour leur permettre de reprendre la lutte.
Dans leurs interventions, se dégagent des sentiments de frustration. Certains d’entre eux avaient décidé de ne plus continuer la guerre contre les terroristes dans ces conditions.
L’un des VDP, qui ne veut pas donner son identité, lâche : « Ils ont retiré nos armes avant le ramadan (Ndrl mai 2022); nous n’avons pas de munitions ; ils donnent des armes à qui ils veulent. Qu’ils nous redonnent les armes, et nous saurons comment combattre sur le terrain ».
Ces combattants pour la patrie veulent que les choses changent sur tous les plans. Sur le terrain des opérations surtout, ils disent vouloir désormais que les militaires soient devant et eux derrière pour servir d’appui.
Les VDP ne veulent plus entendre parler de « la Coordination »
Parlant justement de «la Coordination », les VDP ne veulent plus entendre parler. L’un des VDP, visiblement remonté, explique : « La Coordination est une structure qui sert d’intermédiaire entre les FDS et les VDP. C’est par elle que nous recevons les armes et certains ordres. Nous avons combattu ses agissements ; nous avons été à Ouagadougou pour dénoncer son comportement face aux responsables de l’armée. Malgré tout cela, rien n’a changé. La Coordination constitue un véritable obstacle pour nous dans la lutte contre le terrorisme. Les membres de cette coordination nous appellent pour récupérer les armes quand ils veulent ; ils confisquent tout ce qui est destiné aux VDP ; ils s’autoproclament responsables VDP quand des autorités veulent nous rencontrer, ici, à Ouahigouya. Nous ne voulons plus d’eux. »
« Comment se fait-il que quelqu’un qui ne sait pas manier les armes soit le pont entre des combattants et l’armée ? », voilà la principale préoccupation des VDP de la région du Nord. C’est pourquoi ils déclarent, haut et fort, qu’ils ne veulent plus de cet intermédiaire qu’est la Coordination.
Indignés, ils expliquent que lorsqu’il y a attaque : « la coordination » leur intime l’ordre d’aller sur le lieu de l’attaque. Mais, à tout moment, selon leurs dires, ils tombent dans des embuscades. Ce qui augmente le nombre de morts dans leurs rangs. « Les choses ne peuvent plus continuer ainsi », a pesté un VDP qui n’exclut pas une « complicité » entre la Coordination et les groupes terroristes.
Après avoir passé plusieurs longues minutes à mettre les points sur les « i », les VDP prennent, à l’unanimité, une décision : « Tant que l’intermédiaire entre les FDS et les VDP n’est pas un homme de tenue, de préférence un militaire ou un gendarme, personne n’ira plus au combat. »
Les VDP de cette région sont convaincus d’une chose : « Il y a des traîtres parmi eux ». A les écouter, c’est ce qui complique la lutte contre le terrorisme. Un VDP, le visage bien crispé, fait observer : « On peut décider de faire quelque chose, de mener une attaque et des gens d’entre nous appellent les terroristes pour les informer. Voilà notre sérieux problème. S’il n’y avait pas trop de complices, nous allions mieux mener ce combat. Je vous demande d’arrêter d’informer l’ennemi.»
L’arrivée du capitaine Ibrahim Traoré au pouvoir, est un ouf de soulagement pour les VDP
Les VDP ont salué l’arrivée du capitaine Ibrahim Traoré au pouvoir. « C’est à cause de son arrivée que nous avons sonné cette mobilisation pour reprendre les combats parce que c’est un homme d’honneur » assurent les VDP.
Au sein des VDP de la région du Nord, c’est une très bonne nouvelle. Le fait même que le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba soit renversé est un ouf de soulagement pour ces VDP qui se disaient découragés au point de baisser les bras.
Un des VDP, m’a confié ceci : « Ce que le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba a fait était pire. Pour nous, il n’a tenu aucune de ses paroles. Si le capitaine Ibrahim Traoré veut faire comme le lieutenant-colonel Damiba, nous n’allons pas nous engager. « Moi qui vous parle, j’ai mon petit frère qui a été tué par les terroristes lors d’un combat ».
Pour les VDP, le capitaine Ibrahim Traoré a commencé à bien travailler sur le terrain. Ce qui les motive à se mobiliser pour reprendre les armes. « Si ce que le capitaine Ibrahim Traoré fait actuellement était fait depuis le début, nous en aurions fini avec le terrorisme ». Ils insistent en ces termes : « Donnez-nous les armes et nous irons prendre Titao et ainsi de suite… ».
Les discussions se font en présence d’un agent de sécurité qu’ils ont invité à cette rencontre. Cependant, lorsque des enfants mendiants se rapprochent ou passent à côté, ils sont systématiquement chassés pour qu’ils se tiennent très loin du lieu de la réunion. La vigilance est de mise !
« Ce sont des enfants que les terroristes envoient pour prendre les renseignements », explique un VDP aguerri. À Ouahigouya, mieux vaut être discret parce que les hommes du mal ont sans doute infiltré la ville.
«…Je risque de quitter Ouahigouya»
A la fin de la réunion, les VDP se retrouvent en petits groupes pour causer. Je ne saurai pas ce qu’ils se sont dits. Je demande à m’entretenir avec quelques combattants. Ce que je ferai un peu plus tard, dans un lieu plus discret. J’embarque donc pour cette nouvelle destination.
Dans une petite pièce, mes interlocuteurs sont assis, coincés, visiblement à l’étroit. Je me suis entretenu avec quelques-uns, l’un après l’autre. Pour des raisons évidentes de sécurité, ils ont le visage caché : « Il faut cacher mon visage, sinon je risque de quitter Ouahigouya » me prévient un jeune VDP.
Ce jeune homme dit avoir moins de 24 ans. Il affirme que cela fait trois ans maintenant qu’il s’est fait enrôler pour se battre pour sa patrie : « Ce n’est pas à cause de l’argent, ni de la nourriture que je suis VDP. Je me suis fait enrôler pour que la paix revienne dans mon pays. Depuis trois ans, nous avons combattu, nous avons mené beaucoup d’attaques contre l’ennemi. Je faisais du commerce, mais j’ai tout laissé pour être VDP. Si je ne le fais pas, qui va défendre notre localité ? Souvent je n’ai même pas à manger, mais je garde espoir. »
Pour ce jeune volontaire, tout ce que les VDP veulent, c’est que les nouvelles autorités arrivent à les approvisionner en armes et en munitions.
« Nous avons décidé de vendre notre vie »
J’ai eu à discuter avec un VDP, un des survivants de l’attaque terroriste dans laquelle un chef VDP nommé Ladji Yôrô avait été tué, ainsi que d’autres personnes, le 23 décembre 2021 à Titao dans la province du Loroum, région du Nord.
« Dans cette attaque, j’ai eu la main gauche cassée, témoigne-t-il. Je me suis soigné à mes propres frais à l’hôpital. Je n’ai eu aucun soutien. Nous avons décidé de vendre notre vie pour défendre ce pays. J’ai beaucoup de camarades qui sont morts. J’ai fait quatre mois sans percevoir de rémunération. Nous n’avons pas de moyens de déplacement. J’espère que le capitaine Ibrahim Traoré va changer les choses».
« Les terroristes ont tué 44 d’entre nous »
La cinquantaine bien sonnée, un autre VDP me dit faire partie des volontaires qui ont encore le courage d’aller dormir dans leurs maisons au village. « Lorsque j’ai vu, à plusieurs reprises, les terroristes venir traumatiser les populations, je me suis dit qu’il faut que je me lève pour me défendre. » m’explique ce volontaire d’une cinquantaine d’années.
Il soutient que les complices dans cette affaire sont nombreux et que ceux qui les (eux, les VDP) appellent pour aller sur le terrain sont les mêmes qui appellent les terroristes pour leur indiquer leur position.
« C’est pourquoi les terroristes nous attaquent facilement. Ils ont fait ça une première fois, et les terroristes ont tué mes collègues. La deuxième fois, j’étais avec Ladji Yôrô. Des complices de ces terroristes ont signalé encore notre position. Ce jour-là, les terroristes ont tué 44 personnes d’entre nous » se rappelle ce témoin VDP.
Et d’ajouter : « Comme si cela ne suffisait pas, les militaires sont venus retirer nos armes. Qu’est-ce qu’on pouvait faire d’autre dans cette lutte ? Nous avions pris la résolution de ne plus être VDP… Mais, maintenant, les choses sont en train de changer, même demain, si on nous appelle, nous irons répondre ».
Un autre volontaire de dire : « Moi, je pars au village dormir pendant trois ou quatre jours et je reviens à Ouahigouya pour faire la même chose. Que Dieu nous aide pour que nous puissions récupérer nos terroirs ».
Ladji , l’homme qui a conduit 28 offensives avec ses camarades VDP contre les terroristes
Parmi ces chefs VDP des communes de la région du Nord, il y en a un qui fait l’unanimité. C’est lui que tout le monde respecte. Son nom, Ladji. Pour mener une attaque, c’est lui qui est devant et qui fournit même le carburant souvent pour les motos de tous.
Ladji m’a déclaré : « J’ai conduit 28 attaques contre les ennemis. La 28e était celle entre Ouahigouya et Titao. C’est le jour où Ladji Yoro a été tué. Je n’avais jamais eu un tel souci dans mes 27 attaques précédentes ».
Les ennemis sont connus selon le chef Ladji qui regrette cependant la présence de traîtres parmi eux, VDP : « Nous, nous connaissons les ennemis ; ils nous connaissent aussi. Ils savent que nous les attendons et vice versa. Mais, le fait de constater que parmi nous, il y a des complices de terroristes nous surprend beaucoup. »
Il estime que si cette situation de complicité perdure, les problèmes ne finiront jamais : « Lorsque nous nous sommes levés pour aller à Titao, comment les terroristes ont-ils appris que nous nous rendions dans cette zone pour qu’ils quittent la brousse pour venir nous tendre une embuscade ? Comment ont-ils fait ? » s’interroge le chef VDP qui soutient que le véritable souci est interne à eux, combattants VDP.
Il conclut : « C’est lorsque nous démarrons que quelqu’un appelle les terroristes pour donner nos positions. Voilà notre problème. ».
Ce chef des VDP vu comme le héros du groupe depuis la mort de Ladji Yoro n’a plus d’arme personnel. Il explique : « La coordination » lui a retiré son arme de même que ceux de plusieurs autres combattants, depuis des mois. »
Cependant, il se réjoui de l’arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré. « Je l’ai connu après l’attaque sur l’axe Ouahigouya-Titao. J’ai été évacué à Ouagadougou, au camp Général Sangoulé Lamizana pour y être soigné ; et il est venu nous y rendre visite. C’est un bon soldat, il a su nous remonter le moral et nous encourager. Nous sommes restés en contact jusqu’à sa prise du pouvoir. Mais, depuis lors, on ne s’est plus jamais parlé au téléphone. Mais j’ai foi qu’il va pouvoir changer beaucoup de choses de ce que j’ai entendu lors de son passage au camp Général Sangoulé Lamizana. Il a de la compassion et la volonté de voir les choses changer », me dit-il .
Outre le combat contre les terroristes et les revendications des moyens de lutte, les VDP expliquent qu’ils font l’objet de stigmatisation par leurs propres familles. « Certains sont rejetés parce qu’ils ont pris les armes. Des membres de nos familles refusent de nous reconnaître au risque de subir les représailles des terroristes. Certains ont vu leurs épouses les quitter. Malgré tout ça, nous n’avons pas de reconnaissance pour les efforts que nous fournissons au prix de notre vie. Qui sommes-nous finalement ? » s’interrogent des VDP.
L’autre problème, c’est la prise en charge des blessés, des veuves et des orphelins. Selon ces supplétifs de l’armée, il n’y a pas de prise en charge adéquate.
Les émoluments prévus par les textes ne sont pas payés. « Nous ne voyons pas les paiements prévus, nous ne recevons pas aussi des vivres comme annoncé ; parfois on nous dit que c’est stocké dans un tel lieu mais rien ne nous parvient. Il faut supprimer ces intermédiaires entre les forces de défense et de sécurité et les VDP » propose un des responsables des VDP.