Dans la province du Nahouri, région du Centre-sud, des paysans s’orientent, de plus en plus, vers la Régénération naturelle assistée (RNA). Cette pratique agroécologique ancestrale à multiples retombées refait des adeptes. Témoignages et constats en début août 2022 dans les champs de ceux qui ont désormais fait le choix de l’agroforesterie à travers la RNA, en lieu et place des pratiques agricoles destructrices de l’environnement.
Bourou est un village de la commune de Pô, situé à 180 km de Ouagadougou. En cette matinée d’août 2022, le temps est particulièrement doux et agréable. Cette bourgade d’environ 1 000 âmes s’est réveillée après une longue nuit pluvieuse. La végétation dominée par des karités feuillus offre de doux et paisibles ombrages. De part et d’autre, des sentiers boueux, des champs de maïs, de coton, de sorgho, de soja, de haricot, de sésame, d’arachide, etc. s’étendent à perte de vue.
Malgré une installation tardive de la saison des pluies, les cultures affichent une bonne physionomie avec des niveaux de développement disparates. L’espoir est permis, surtout si dame pluie ne joue pas à la capricieuse pour le reste de la saison, spéculent les paysans !
Dans les exploitations agricoles familiales, femmes, hommes et jeunes rivalisent d’opérations culturales. Sarclage à la daba par-ci, buttage à l’aide des bœufs de trait par-là. Sur d’autres terrains, les derniers semis de niébé ou de sésame poussent sur des sols nouvellement labourés.
Jouxtent les cultures, des domaines en jachère investis par des moutons, des chèvres, des bœufs, sous la bienveillance de jeunes bergers, l’air insoucieux. Pourtant, pèse sur leurs frêles épaules la lourde responsabilité de cantonner les troupeaux dans les aires de pâturages, sans qu’ils ne franchissent les lignes rouges : les champs.
Parmi ces exploitations agricoles de Bourou, le champ de Nabaré Yakari, situé à environ 4km du village, offre un paysage atypique. Sur son domaine d’environ 5,5 hectares où il exploite sorgho, maïs, soja, des centaines de jeunes arbres en pleine croissance dominent de loin, en nombre, les quelques pieds adultes de néré, karité, raisinier, etc.… éparpillés çà et là. Le maitre des lieux ignore le nombre exact de nouvelles pousses.
« Au début, je prenais le temps de compter les jeunes arbres. Aujourd’hui, je ne me fatigue plus. Je me préoccupe de les entretenir », lâche l’agriculteur de 46 ans, entre deux légers coups de machette à un jeune arbre qu’il s’attèle à élaguer.
Selon une étude réalisée en 2019 par l’Association NATUDEV, qui accompagne les communautés locales dans la préservation des ressources naturelles et forestières, le champ de M. Yakari regorgeait de 48 espèces d’arbres composées de plus de 1 300 individus, soit environ 85 % de jeunes plants et plus de 15% de pieds adultes. Ce décompte semble dépassé, la pratique de la RNA s’étant poursuivie sur de nouvelles portions de terre.
Gestion intégrée de la fertilité des sols
Les jeunes pousses régénérées, épanouies, de taille plus ou moins homogène dansent au rythme léger de la mousson, comme si elles exprimaient leur jeunesse ou se moquaient des cultures de maïs, mil, soja.
Elles donnent l’impression d’être les fruits d’un reboisement dans le champ. Pourtant, il n’en est rien, ces nouveaux plants sont la résultante d’une pratique agroécologique « ancestrale » : la Régénération naturelle assistée (RNA), une technique de gestion intégrée de la fertilité des sols, alliant agriculture et foresterie.
Elle consiste, pendant le défrichage, à laisser grandir certains pieds d’arbustes et de touffes. Sa pratique, l’air aisé, obéit cependant à un protocole technique, voire scientifique.
« Pendant le défrichage, le producteur sélectionne, en fonction de ses besoins, parmi les touffes ou arbustes, deux pieds sains, présentant les meilleures morphologies. Les autres pieds sont éliminés. L’année suivante, le pied en meilleur état est conservé. Les jeunes pousses sélectionnées sont espacées d’au moins cinq mètres. Il les élague par moment pour faciliter leur croissance », explique le directeur provincial de l’environnement du Nahouri, Jean-Bosco Zongo.
A l’aide d’une machette, sous un soleil clément au zénith, Nabaré Yakari coupe les branches « encombrantes » des jeunes plants, les débarrasse de leurs feuilles qu’il prend soin d’étaler aux pieds des cultures.
« Ces feuilles et celles mortes constituent de l’humus pour mon champ. Elles permettent de garder l’humidité du sol pendant plusieurs jours après la pluie. Mon champ souffre ainsi moins pendant les poches de sécheresse. En plus, j’ai du bois de chauffe pour ma femme. Elle n’aura plus besoin d’aller détruire la forêt pour ses besoins d’énergie », se satisfait-il, brandissant, avec un brin de sourire, la branchette verte issue d’une taille.
Depuis cinq ans, M. Yakaré a fait le choix de l’agriculture durable à travers la pratique de la RNA dans toutes ses exploitations familiales.
Tout comme lui, à Yaro, village voisin de Bourou, Koudarihi Diderkoga, du haut de ses 50 ans, s’est reconverti dans la pratique de la RNA. Depuis quelques années, il en fait sa principale technique de production.
Son champ de maïs, de mil, de soja d’environ cinq hectares, situé au prolongement ouest de la forêt villageoise de ladite localité, constitue un cas d’école de l’agroforesterie. La densité et la diversité des jeunes arbres issus des pousses naturelles entretenues tranchent avec les exploitations agricoles voisines, clairsemées de quelques vieux pieds.
Selon l’étude de NATUDEV, dans la zone, le champ de M. Diderkoga est le plus diversifié floristiquement. L’étude y dénombre 48 espèces d’arbres formées de plus de 1 300 individus, dont 84 % de jeunes pieds.
Avant ce changement de cap dans leurs pratiques culturales, ces deux producteurs avaient pour dénominateur commun, le défrichage sauvage ou l’agriculture itinérante sur brûlis comme mode de production agricole.
« Elle nourrit le sol et les cultures »
« De par le passé, au moment de la préparation des champs, je coupais tout sur mon passage, arbustes, jeunes arbres, les rassemblais avec les anciennes tiges, les herbes et les brûlais », conte M. Yakari. Mais pendant des décennies, le résultat était le même.
Année après année, ses terres agricoles se dégradaient, ses rendements s’amenuisaient. Pour ces agriculteurs, avec le changement climatique, la pression anthropique sur les ressources naturelles de plus en plus forte, le besoin de produire durable, d’avoir une agriculture respectueuse de l’environnement s’imposaient à eux.
« Sinon, qu’allons-nous léguer à nos enfants, si ce ne sont que des terres dégradées», s’interroge-t-il.
Le retour à cette veille pratique agricole plus ou moins abandonnée qu’est la RNA remonte en 2017 à Pô, à la faveur d’une rencontre de présentation de cette approche agroforestière à des producteurs par l’Association NATUDEV.
« Dans la zone, il y a des projets qui demandent aux producteurs de ne pas laisser d’arbres dans les champs pour les cultures qu’ils proposent. Du coup, les paysans ne savent plus si la RNA qui est une pratique ancienne était bonne ou mauvaise. Ils étaient déboussolés », explique le sociologue et président de NATUDEV, Dr Alexis Kaboré, par ailleurs enseignant-chercheur, spécialiste en gestion de l’environnement et des ressources naturelles.
Mais après avoir suivi « religieusement » l’exposé des experts sur les bienfaits de la technique pour l’agriculture et l’environnement, M. Yakari et M. Diderkoga se sont engagés à l’implémenter. Mais ils devraient le faire avec les railleries de l’entourage.
« Lorsque j’ai commencé à laisser de nombreux pieds d’arbustes se développer dans mon champ, les gens me demandaient si je voulais ériger une forêt sur mes terres cultivables. Ils étaient convaincus qu’entretenir autant de végétaux dans un champ n’était pas productif. Aujourd’hui, ils m’envient, sont admiratifs de la bonne physionomie de mon champ », confie l’agriculteur de Bourou. Et c’est à cœur joie, les nouveaux adeptes de la RNA égrènent ses avantages.
Ce condensé de plantes ligneuses libère de la fumure organique qui nourrit le sol et les cultures, améliore les rendements agricoles, argumente M. Diderkoga. De 5 sacs de 120 Kg de maïs à l’hectare, aujourd’hui, ses récoltes varient entre 10 et 15 sacs à l’hectare, grâce à la RNA. Ce qui lui permet de mettre sa famille à l’abri de l’insécurité alimentaire.
Pendant qu’il nous fait découvrir ses exploits, au moment où le soleil entame son dernier virage vers le coucher, le paysan écologiste fait une confidence.
« Au début, il avait été question d’organiser un concours pour récompenser les meilleures pratiques de RNA. Sous prétexte que ce concours n’a pas eu lieu, certains qui s’y étaient engagés ont abdiqué, ont même coupé les arbres régénérés qu’ils avaient sélectionnés, entretenus dans leurs champs. Mais moi, avec ou sans cette compétition, je ne couperai jamais ces jeunes plants que vous voyez. Je sais ce qu’ils m’apportent », lâche-t-il, tout convaincu.
Protectrice de la biodiversité
Pascal Nébié, agriculteur dans le village de Oualèm, situé à une quinzaine de km de Pô, est tout aussi comblé d’avoir fait l’option de l’agroforesterie comme mode alternative de production, après avoir définitivement tourné le dos aux systèmes productifs nuisibles à l’environnement.
Depuis plus de six ans, il pratique la régénération naturelle assistée sur ses champs de coton, soja, maïs, sorgho, haricot et sésame.
« La RNA constitue une bonne pratique agricole. Au début, les gens pensaient que les arbres allaient empêcher le développement des cultures. Mais à la pratique, cela s’est révélé faux. Bien au contraire, les arbres participent à la fertilisation des sols. Avec la RNA, je n’ai pas besoin de mettre de l’engrais chimique dans mon champ », développe M. Nébié, au milieu de son champ de coton, le regard sur le sol tapissé de feuillages morts.
Son lopin de terre d’un hectare, jadis dégradé et abandonné, est de nouveau cultivable, avec des rendements meilleurs, grâce à son retour à l’agroforesterie.
Outre l’amélioration de la productivité agricole, la RNA, poursuit M. Nébié, renforce la biodiversité, lui fournit des ressources alimentaires alternatives et de nouvelles sources de revenus, à travers les produits forestiers non ligneux, comme le néré, le karité, le tamarinier.
« Les gens viennent me demander des plantes médicinales en me disant » j’ai cherché cette plante un peu partout dans la brousse en vain « . Mais je n’accède à la requête que si l’intéressé a besoin des feuilles ou des branches et non des racines», relate-t-il.
Pourtant, au début, les gens le taxaient de fou. Si les gens quittent la capitale, pour venir visiter nos champs, cela est réconfortant et prouve que nous sommes sur la bonne voie, se satisfait-il.
Mais son principal motif de satisfaction aujourd’hui est d’avoir à léguer à sa progéniture une technique de production intégrée et durable. Pour les nouveaux reconvertis à l’agroécologie, si leur province fait partie des mieux arrogées du pays, c’est parce qu’elle regorge encore d’importantes formations végétales.
Il y a donc urgence à produire durable, préserver la biodiversité, les ressources forestières, s’ils ne veulent pas subir le sort des zones désertiques du pays.
Vers la mise à l’échelle
Au ministère en charge de l’environnement, l’agroforesterie est prise au sérieux. « La RNA est une pratique agroécologique que nous capitalisons comme activité de reforestation. Avec l’appui des partenaires au développement, nous multiplions les actions de sensibilisation et de renforcement de capacités des producteurs, en vue d’une mise à l’échelle de ce système agroforestier », fait savoir le directeur provincial de l’environnement du Nahouri, Jean Bosco Zongo.
La régénération naturelle assistée a l’avantage d’être un moyen d’atténuation et d’adaptation aux effets du changement climatique, ajoute-t-il.
De plus, le bois, les produits forestiers non ligneux qu’elle offre permettent de réduire « considérablement » la forte pression que les populations riveraines exercent sur les aires protégées, notamment le « corridor n°1 » ou « couloir des éléphants » qui relie le parc national Kaboré Tambi et le ranch de gibier de Nazinga, dans la deuxième plus grande réserve naturelle du Burkina : le complexe écologique PONASI.
Au ministère en charge de l’agriculture, l’option de l’agriculture durable semble également être inscrite en première ligne des priorités. Ce département a entrepris de se doter d’une stratégie nationale de développement de l’agroécologie 2023-2027, qui attend d’être adoptée en conseil des ministres. Dans ledit document stratégique, l’agroforesterie occupe une place non négligeable.
En attendant son opérationnalisation et ses éventuels effets sur le terrain, les agroforestiers du Nahouri, malgré leur engagement, font face à un certain nombre de contraintes.
« La grosse difficulté réside dans la protection des jeunes pieds en saison sèche, du fait de la divagation des animaux. Face à l’insuffisance de pâturage en cette période, les animaux broutent nos jeunes plants, gênent leur développement ou les détruisent, surtout les espèces fourragères », déplore Dabaré Yakari, l’air impuissant.
Ces producteurs écolos ont aussi besoin de renforcer le couvert végétal dans leurs exploitations agricoles à travers des actions de reboisement, surtout avec des espèces fertilitaires, mais qui leur font défaut. L’absence de points d’eau à proximité des champs, pour l’arrosage des plants reboisés constitue un autre boulet au pied des paysans.
Awé Yakaré est un jeune leader communautaire très engagé dans la protection de l’environnement. Il est le président de l’association inter villageoise pour la gestion des ressources naturelles (communes de Pô et Guiaro).
Pour ce militant écologiste, les paysans modèles méritent l’attention des pouvoirs publics.
« Si le gouvernement pouvait les encourager, même à titre symbolique avec du matériel de production agricole comme les charrues, les charrettes ou même les décorer, cela aura l’avantage, non seulement, de les galvaniser davantage, mais aussi de susciter de l’engouement pour l’agroécologie au sein de leurs communautés », suggère-t-il.