«On devrait laisser la procédure judiciaire suivre son cours et l’État de son côté devrait trouver des mécanismes pour sauver la mine. » estime M. Elie Kaboré, Directeur de publication de la revue spécialisée en ligne Actumine.net. dans une interview accordée à Libreinfo.net
LI : Comment réagissez-vous à la volonté de la société Trevali de mettre la mine de zinc de Perkoa sous liquidation judiciaire?
M. Elie Kaboré : Il faut d’abord préciser que cela fait suite aux incidents malheureux que la mine a connues. Trevali est une société basée à Vancouver au Canada, qui a des filiales un peu partout dont Perkoa qui exploite le zinc. Normalement Perkoa devrait fermer en 2023.
Pour parler de façon simple, on peut dire que Perkoa a fini de ramasser son minerai et devrait fermer. La mine avait déjà commencé le processus pour la fermeture et la réhabilitation. Malheureusement, on a eu l’incident du 16 avril 2022 qui a provoqué 16 morts.
La mine a investi beaucoup d’argent pour pomper l’eau en vue de retrouver les miniers. Elle a importé notamment du matériel de sauvetage de pays comme l’Afrique du sud car il y avait un espoir de retrouver des rescapés dans la chambre de refuge.
Il ne faut pas oublier aussi la pression populaire. Il se trouve que la maison mère elle-même a des problèmes. Ils ont une mine au Ghana qui rencontre des difficultés financières.
A la limite, c’est Perkoa qui soutenait un peu la grande société. Avec ce qui est arrivé et avec la procédure judiciaire qui a conduit à l’emprisonnement de leur directeur, tout cela a un peu découragé les actionnaires au niveau de la bourse de Vancouver et beaucoup se sont retirés; ce qui a conduit à mettre la société dans plus de difficultés et elle a même déposé un rapport d’insolvabilité au niveau de l’équivalent de notre tribunal du commerce ici ; et il avait même été décidé de retirer la société de la bourse ; alors que, tant qu’on n’est pas dans la bourse, il est difficile de lever des fonds pour faire fonctionner la société, surtout qu’au niveau de Perkoa, ils étaient en train de partir.
Toutes ces difficultés ont fait que la société était obligée de licencier le personnel et de garder un petit noyau qu’ils appellent le personnel essentiel pour continuer les activités jusqu’à la fermeture complète; ils ont décidé de payer les droits des travailleurs conformément à la législation en vigueur, de liquider la société ; et les avocats ont été au tribunal du commerce, ici, pour liquider les 90% qui appartiennent à la société, l’État garde donc toujours ses 10%.
En général, quand on parle des mines, on oublie que notre État est propriétaire à 10%. La liquidation intervient quand une société n’arrive plus à payer ses créances.
On met alors en place un syndic liquidateur qui va vendre les actifs, payer les créances et laisser à l’État ses 10%. C’est dans ce processus qu’on est ; la liquidation a été actée au niveau du tribunal du commerce de Ouagadougou.
Au niveau de la maison-mère, j’ai vu le 13 octobre 2022, qu’elle a pu mobiliser 16 millions de dollars pour la reprise de ses activités et ça m’étonnerait que cet argent soit réinvesti au Burkina pour une activité quelconque. Ce sont ces difficultés qui ont conduit à cette liquidation malheureuse de la société.
LI : Que perd le Burkina ?
M. Elie Kaboré : le Burkina perd beaucoup. Quand on parle d’une mine en général, beaucoup voient seulement les taxes et les impôts payés au niveau de l’État mais il n’y a pas que ça. Si je prends les données en ma possession, en 2020, la société Perkoa avait payé 6 milliards 500 millions F CFA de taxes directes à l’État burkinabè.
Mais, en dehors de cette contribution, il y a aussi les contributions pour le développement de la commune.
Depuis la mise en place du fonds minier de développement local, la mine a payé 2 milliards 200 millions de F CFA. Vous savez que la moitié de ce montant revient d’office aux communes impactées ; l’autre moitié est répartie encore de sorte que ces communes puissent en bénéficier ; ça veut dire que le fonds minier est venu faire des communes impactées par Nantou Mining des communes milliardaires.
Depuis avril 2022, il n’y a plus de vente, il n’y a plus de fonds minier. Donc les communes-là vont recevoir seulement les 20 % de redevances proportionnelles reçues par l’État dans les prochaines répartitions. Elles n’auront plus la moitié du chiffre d’affaires.
C’est donc un manque à gagner pour ces communes-là. La mine verse, depuis un certain temps la patente. Selon la loi, les sociétés minières sont exemptées de cet impôt pendant les 5 premières années de leur durée de vie ; Perkoa avait donc commencé à payer. En 2020, la commune impactée a reçu 250 millions au titre de la patente ce qui n’est pas rien pour son budget.
Il y a ce qu’on appelle les investissements volontaires ou Responsabilité sociale de l’entreprise. Si je me base sur les chiffres de l’Initiative pour la transparence dans l’industrie extractive (ITIE), en 2020, ce sont 70 millions F CFA qui ont été investis à ce titre.
On ne parle pas d’autres retombées directes comme la sous-traitance. Il y a de nombreux sous-traitants qui gravitent autour de la mine, que ce soient les bouchers ou les vendeuses de fruits et légumes.
L’impact, c’est aussi au niveau des emplois. La mine emploie directement 331 personnes selon les derniers chiffres que j’ai obtenus : 316 Burkinabè et 15 expatriés.
Imaginez ce que toutes ces personnes paient comme impôts sur les traitements et salaires (IUTS). Nous allons donc perdre sur toute la ligne. Ce qu’on peut reprocher à la mine, c’est le fait qu’elle n’arrivait pas à payer les 10 % de l’État et qu’elle évoquait, entre autres, des raisons financières comme le manque de bénéfices réalisés.
LI : Est-ce qu’on aurait pu éviter ces conséquences économiques ?
M. Elie Kaboré : A mon humble avis oui. Il y a l’aspect judiciaire et la justice est indépendante d’ailleurs on a vu qu’à l’issue du procès, la mine a été relaxée pour les reproches qui lui étaient faits que ce soit le non-respect des consignes de santé sécurité, mise en danger de la vie d’autrui, etc. ça veut dire qu’on a fait beaucoup de bruits sans même maitriser le contenu.
L’Etat, comme je l’ai dit, est actionnaire à 10%, donc est propriétaire de la mine ;, ceux qui travaillent dans la mine sont des Burkinabè et la mine paie des taxes à l’Etat burkinabè ; donc l’idée qui consiste à voir les mines comme une nébuleuse n’est pas toujours bonne à véhiculer.
On devrait laisser la procédure judiciaire suivre son cours et l’État de son côté devrait trouver des mécanismes pour sauver la mine. Malheureusement on a vu que les autorités administratives et même politique ont pris position pour la fermeture même de la mine.
On s’est tiré une balle dans le pied et, aujourd’hui, j’ai bien envie de demander si tous ceux qui ont fait le show peuvent regarder les familles des victimes en face. On aurait pu trouver des moyens pour éviter ce qui arrive actuellement.
La mine allait fermer certes mais un dialogue avec les différents acteurs aurait pu permettre de sauver les meubles.
LI : Que faut-il revoir dans la gestion de ces mines ?
M. Elie Kaboré : Il faut plus de concertations dans la gestion des mines. Notre perception des mines doit changer. Aucune société minière ne vient signer un contrat avec le fusil sur la tempe d’un ministre. Il y a un processus qu’on suit. Si les textes ne sont pas bons, il faut les changer, si ce sont les hommes qui gèrent mal, il faut les sanctionner.
Aujourd’hui, nous sommes à un point critique. Nous avons ouvert notre sous-sol à des investisseurs privés qui sont là, qui créent de l’emploi et nous sommes, à la limite, un État dépendant de cette ressource-là. Que faire? Les chasser avec les Burkinabè qui y sont ? Ou bien il faut les accompagner ?
Moi, je pense que ce qui manque le plus, c’est le suivi-contrôle du secteur. On a fait la promotion de notre sous-sol, on a adopté des textes qui encadrent le secteur ; maintenant notre problème, c’est le suivi-contrôle et on a l’impression qu’on laisse tout dans les mains du ministère chargé des mines qui est, à la limite, le parent pauvre du gouvernement, qui n’a pratiquement pas les moyens.
Le ministère des mines a un budget de 6 milliards F CFA ; si on retire les salaires, frais de fonctionnement, le ministère n’a même pas d’argent ; il manque même de véhicule tout terrain pour se déplacer et pour aller peser l’or, pour aller suivre les expéditions.
L’inspection manque même de matériel pour aller suivre les activités sur le terrain. Elle peut passer une année sans inspecter une mine. Notre vrai problème se trouve à ce niveau-là. J’accuse le gouvernement. Il ne faut pas ouvrir le sous-sol aux investisseurs sans avoir les moyens de les contrôler.
LI : la mine de Perkoa n’est pas la seule à fermer…
M. Elie Kaboré : Actuellement, le secteur traverse une grave crise. Le manque de solutions au niveau du gouvernement m’inquiète. Le 30 janvier 2022, juste après le coup d’Etat, il y a eu l’attaque de la mine de Ouaré qui appartient au groupe Avesoro qui exploite en plus Nétiana et Youga.
Le minérai de Youga étant fini, ils étaient en train de passer en souterrain au niveau de Nétiana et ils comptaient sur Ouaré pour faire fonctionner les deux mines.
Mais quand Ouaré a été attaquée ils n’ont pas eu de répondant au niveau du gouvernement ; donc ils ont décidé de suspendre leurs activités, mettant au chômage près de 500 employés, sans compter, bien sûr, le manque à gagner pour les caisses de l’Etat et les collectivités.
Juste après Ouaré, il y a eu la fermeture de Taparko. Nord Gold qui exploite cette mine a décidé de fermer la mine parce qu’il y avait des incursions terroristes dans la zone. A ce niveau aussi, on a au moins 500 employés au chômage.
Dernièrement, en juin de cette année, il y a eu l’attaque de la mine de Karma et le personnel a été mis en chômage technique. Des négociations sont en cours pour la reprise de cette mine.
Il faut, aujourd’hui, la sécurisation totale de toutes les mines ; et il faut qu’au niveau administratif, on trouve des facilités pour permettre à ces mines de pouvoir redémarrer.
On n’a pas besoin, forcément, de gagner aujourd’hui avec ces mines mais le désastre humain et écologique peut être évité si au niveau de l’État on gère la crise avec plus de sérieux.