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Doti Bruno Sanou, historien et chercheur : « Le MPSR 1 n’avait pas mesuré l’ampleur du terrorisme »

Publié le lundi 24 octobre 2022  |  Sidwaya
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© AFP par Issouf Sanogo
Début avril, 62 personnes ont été tuées à Arbinda, lors d`attaques jihadistes suivies d`affrontements intercommunautaires.
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Après le coup d’Etat du 24 janvier 2022, le Burkina Faso a encore enregistré un autre coup de force le 30 septembre 2022. Pour analyser cette situation nationale marquée par une crise sécuritaire avec son corolaire d’attaques terroristes et de Personnes déplacées internes (PDI), Sidwaya s’est entretenu, le vendredi 21 octobre 2022 à Bobo-Dioulasso, avec Doti Bruno Sanou, chercheur et historien de formation, membre du Conseil d’orientation et de suivi de la Transition (COST) aussitôt dissout après sa mise en place.

Sidwaya (S.) : Depuis 7 ans, le Burkina Faso vit une grave situation sécuritaire marquée par des attaques de tous genres. Quelle lecture, en fait l’historien que vous êtes ?

Doti Bruno Sanou (D.B.S.) : En tant qu’historien, je dis que nous sommes à la fin d’un cycle historique, d’une civilisation, d’un monde. Et cette fin de cycle est marquée par la violence au niveau mondial. Le Burkina Faso n’y échappe pas parce qu’il y a des intérêts défendus par certains groupes. Il faut donc travailler à trouver des solutions dans la longue durée parce que cette violence, ce terrorisme que nous vivons aujourd’hui a toutes ses racines dans le passé colonial et précolonial. Donc, il faut remonter le temps pour trouver les raisons qui amènent à une résurgence de cette violence que le Burkina Faso a connue, notamment à partir du 16e siècle.

S : En l’espace de 8 mois, le pays a enregistré deux coups d’Etat. Cette situation était-elle prévisible comme certains le soutiennent ?

D.B.S. : Dans la lutte contre ces violences, il y a une stratégie à adopter. Je crois personnellement que le MPSR1 (ndlr, Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration) n’avait pas mesuré l’ampleur du terrorisme. Aucun gouvernement ne peut arriver à bout de cette violence en quelques mois. Le minimum c’est trois siècles de lutte contre cette violence. La fin de l’antiquité a pris près de six siècles de violence. Ce n’est pas une guerre ordinaire contre laquelle on peut réussir en quelques temps. Ici c’est une guerre asymétrique où l’ennemi n’est pas perceptible. Il est au milieu de la population. Il est fils d’un village ou d’autre communauté de ce pays qui revendique certains droits. Donc, cette instabilité politique, devenue militaire, a toujours existé depuis l’indépendance et même avant l’indépendance.

S : Sur quels leviers les nouvelles autorités doivent-elles s’appuyer pour lutter efficacement contre le terrorisme ?

D.B.S. : La gestion d’une communauté, d’un Etat doit être perçue sur la longue durée. Un pays qui se gère de façon ponctuelle ne peut jamais être stable. Le Burkina Faso est indépendant, il y a seulement 62 ans. Qu’est-ce que 62 ans dans l’histoire des communautés ? Ce n’est qu’une goutte d’eau dans un verre. C’est donc sur la longue durée qu’il faut agir. On ne peut pas gérer de façon ponctuelle la vie des communautés et espérer un développement.

Tout dirigeant, et cela n’engage que moi, qu’il soit président du Faso, président du conseil régional ou président du conseil communal, qui n’a pas de projet sur la longue durée ne pourra jamais réussir. Si l’on ne prend pas la dimension de la longue durée, on ne pourra jamais arriver à bout de cette violence au Burkina Faso. Et la meilleure arme contre cette violence, c’est bien l’éducation. Au Moyen-âge c’est la remise en question du système éducatif qui a mis fin aux violences. Ce n’est pas le fusil. Il faut donc repenser le système éducatif au Burkina Faso.

Quand le Pr Joseph Ki-Zerbo parlait de développement endogène, c’est à cela qu’il faisait allusion. Dans la gestion de cette situation, il faut aussi tenir compte de l’intégration des peuples car, durant des siècles, ces communautés se sont constituées à partir de leur désir de vivre dans la cohésion et l’amour.

Je tiens à l’affirmer ici, le développement est un processus historique de perpétuel devenir, un processus de transformation sociale de qualité qui exige une analyse sérieuse et profonde, de la patience et de la persévérance dans l’effort. C’est en ce sens que tous ceux qui ont contribué à la mise en œuvre de ce processus au cours des millénaires sont morts pauvres mais l’histoire a retenu leur nom à jamais.

S : Le Conseil d’orientation et de suivi de la Transition (COST) dont vous étiez membre a été dissout, un mois seulement après son installation. Le COST a-t-il pu travailler ?

D.B.S. : Non ! Après l’installation, le directoire du COST a été reçu par l’ancien Président Paul-Henri Sandaogo Damiba. On devrait commencer nos sessions le 4 octobre 2022. Mais avec le coup d’Etat, il est évident que nous n’avons pas pu travailler.

S : Quelle aurait pu être sa contribution à la bonne marche de la Transition ?

D.B.S. : L’ancien président de la Transition nous avait suggéré de travailler à donner des idées de sorte qu’après la Transition, le Burkina Faso retrouve sa stabilité. Dans les débats à l’époque, j’ai personnellement souhaité qu’il y ait une méthode de recherche pour construire une nouvelle société. Une requête à laquelle le président Damiba avait accédé.

S : La nouvelle Charte de la Transition l’a finalement supprimé. Regrettez-vous cette décision ?

D.B.S. : Je n’ai aucun regret au sujet de la suppression du COST du moment où mon travail ne s’arrête pas avec la fin du COST. De toute façon, je le faisais avant l’arrivée du MPSR et je continuerai de donner mes idées. D’ailleurs, quand j’ai été saisi pour faire partie du COST, j’ai refusé. On m’a supplié d’accepter et que ce n’était pas une affaire de politiciens. C’est après avoir pris conseils auprès de certaines personnalités, des sages, que j’ai fini par accepter. En tant qu’historiens, nous sommes tenus d’éclairer les lanternes.

La cohésion sociale, la réconciliation dont on parle tant, viendra de la base, dans les villages. On doit amener les communautés à se remettre en question, à pratiquer l’intelligibilité de la réalité présente afin de leur permettre de se projeter sur le futur. L’on doit travailler à ce que la commune devienne un trésor que l’on tient dans ses mains. Chacun, à partir de sa communauté, doit contribuer à la stabilité du pays.

S : Il a été décidé de la gratuité des mandats des députés de l’Assemblée législative de Transition (ALT) qui ne toucheront que des frais de session. Comment appréciez-vous cette décision ?

D.B.S. : Chacun a son appréciation sur la question. Pour moi, ce n’est pas l’argent qui intéresse pour ces genres d’institutions, c’est la volonté et l’amour de la patrie. Mais, au regard de l’attitude des gens par rapport à l’argent et au matériel, je me demande si nous aimons réellement notre pays le Burkina Faso. On ne devrait pas mettre en avant la rémunération de ceux qui doivent siéger à cette Assemblée législative de Transition (ALT), mais plutôt travailler à avoir des lois qui répondent aux aspirations des populations, à développer l’amour du pays qui passe par l’amour de soi-même et de l’autre. C’est cet amour qui construit une Nation.

Je regrette que les législations ne soient pas fondées sur les valeurs locales. Si je prends le droit occidental, les curés des paroisses et les moines ont collecté les coutumes à la base pour le droit européen au Moyen-âge dans lequel toutes les communautés se reconnaissent. Le droit européen auquel nous nous référons aujourd’hui a plus de 800 ans. Mais dans nos cités, on ne fait que copier les lois venues d’ailleurs, de la France notamment, alors qu’on devrait tenir compte de nos réalités, de nos coutumes qui étaient et qui sont des réponses aux questions que les communautés se posaient au fil du temps. Prenons le cas du foncier.

C’est la prochaine bombe du Burkina Faso parce que la loi sur le foncier s’inspire de l’extérieur. Or on aurait dû collecter toutes les coutumes des différentes communautés afin d’élaborer cette loi sur le foncier. C’est la même chose avec la démocratie, la constitution, etc. On ne se réfère pas à notre histoire, à nos valeurs locales en matière de gestion, comment réussir l’intelligibilité de la réalité présente et travailler à actualiser notre patrimoine ? C’est tout un travail de recherche qu’il faut mener afin qu’il y ait cette cohésion sociale.

Interview réalisée par Kamélé FAYAMA
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