Une dizaine de journalistes d’organes de presse écrite et audiovisuelle nationaux ont parcouru, du 11 au 17 octobre 2022, les régions du Plateau central, du Centre-est et du Centre-sud, pour renforcer leurs connaissances sur la pratique des mariages d’enfants en vue d’enrichir leurs productions sur la problématique.
Du Ganzourgou au Zoundwéogo en passant par le Kouritenga et le Boulgou, dans les régions du Plateau central, du Centre-est et du Centre-sud, les caravaniers composés de membres du Réseau des Journalistes et Communicateurs pour l’abandon des Mariages d’Enfants au Burkina Faso (RJCME) et de Voix de Femmes, l’ONG initiatrice de l’activité, ont pu mettre à jour leurs connaissances en matière de mariages d’enfants au Burkina Faso.
La dénomination ‘’mariage d’enfants’’ ou ‘’précoce’’ désigne juridiquement une union matrimoniale contractée alors que la fille et/ou le garçon n’ont pas atteint l’âge légal, sauf autorisation préalable du juge conformément aux dispositions du Code des Personnes et de la Famille en la matière.
Cet âge est de 17 ans pour la fille et de 20 ans pour le garçon.
Le mariage précoce peut être aussi forcé dans la mesure où il intervient au moment où le garçon ou la fille n’est pas capable de donner un consentement libre et éclairé, selon des spécialistes de la question.
Le mariage forcé, lui, étant défini comme toute union matrimoniale sans le consentement de l’homme ou de la femme.
A la découverte des réalités du terrain concernant cette pratique, dans les régions sillonnées, les caravaniers ont eu comme interlocuteurs, entre autres, des victimes, des autorités coutumières et religieuses, des responsables de services administratifs et d’associations.
De leurs témoignages et éclairages, il ressort que le mariage d’enfants est une pratique qui se poursuit dans les contrées du pays même si il connait aujourd’hui un recul considérable voire une quasi inexistence dans certaines localités.
A Zorgho comme à Koupéla, respectivement chefs-lieux des provinces du Ganzourgou et du Kouritenga, le cas de mariages d’enfants sont aujourd’hui rares, affirment les acteurs locaux.
Les efforts conjugués des acteurs, à travers les interpellations et les sensibilisations diverses, sont les raisons qui expliquent que les parents ne sont plus enclins à marier leurs enfants mineurs, aux dires du coordonnateur provincial de l’Association des Parents d’Elèves du post primaire et secondaire du Ganzourgou (région du Plateau central), Ousmane Kaboré.
Dans la localité, a-t-il indiqué, ce sont plutôt les rapts de jeunes filles qui alimentent encore les mariages d’enfants.
Ces rapts, a précisé le chef de canton par ailleurs 1er vice-président de la Délégation spéciale de la commune de Zorgho, Pamtaba Sambo, sont généralement l’œuvre d’aventuriers ou d’orpailleurs qui planifient leurs actions, le plus souvent, à l’insu des parents et, parfois, avec le consentement des jeunes filles peu averties des dangers y relatifs.
A Tenkodogo (région du Centre-est), Sa majesté Naaba Djiguempolé ainsi que des responsables d’associations et des autorités religieuses sont aussi unanimes à reconnaitre que le mariage d’enfants est en nette régression dans leur cité.
Toutefois, il aurait encore la peau dure dans des contrées reculées et en milieu rural à travers la région, ont-ils reconnu.
Rachelle (nom d’emprunt) a d’ailleurs été une victime d’une tentative de mariage forcé à ses 17 ans dans la commune de Ouargaye, dans la province du Koulpelogo.
Aujourd’hui accueillie dans une communauté religieuse, elle affirme que c’est aussi bien au regard de son jeune âge que du constat des conditions de vies difficiles de ses amies mariées très jeunes qu’elle a décidé de fuir le domicile familial pour échapper au sort qui lui était réservé.
Dans une des localités de la province du Zoundwéogo (région du Centre-sud), Abiba (nom d’emprunt) doit aussi le salut à son directeur d’école et à l’Association Zak La Yilguemdé qui l’ont sauvée, in extrémis, en 2018, d’un mariage alors qu’elle fêtait ses 12 ans et étant en classe de CM2.
Aujourd’hui en classe de 5e et pensionnaire dans un centre pour jeunes filles, elle se réjouit que sa mésaventure soit maintenant reléguée au passé.
Le chargé de projet à AZLY Emile Ouédraogo a souligné que dans la province du Zoundwéogo, le cas de Abiba n’est pas isolé.
En 2021, six cas de mariage d’enfants ont été déclarés, a-t-il dit, ajoutant que la réalité est bien plus importante en raison du caractère caché de la pratique.
Les grossesses non désirées sont, selon M. Ouédraogo, l’une des causes principales entrainant le mariage de mineurs souvent sous l’impulsion des parents qui précipitent l’union de leurs filles avec les présumés auteurs de la grossesse.
Qu’à cela ne tienne, il a loué les actions de lutte notamment les sensibilisations menées par plusieurs acteurs locaux qui ont permis progressivement une prise de conscience collective et des dénonciations des cas surtout par les victimes elles-mêmes.
Pour le substitut du Procureur près le TGI de Manga et coordonnatrice du Réseau de Protection de l’Enfance (RPE) à Manga, Laure Souga, les dénonciations des cas de mariages d’enfants auprès des autorités judiciaires restent toutefois en deçà des attentes.
De son point de vue, toutes les forfaitures y afférentes doivent être portées devant les tribunaux pour que les auteurs soient poursuivis et punis s’il le faut et ce, afin qu’ils prennent conscience de la dangerosité de l’acte posé.
A ce sujet, elle a rappelé que même s’il n’y pas d’infraction intitulée mariage d’enfants dans le code pénal, d’autres infractions comme le mariage forcé, le détournement de mineurs ou le viol y figurent et permettent des poursuites des auteurs avec la requalification des faits selon les cas.
Au titre des conséquences liées aux mariages d’enfants, la juge a fait savoir que la pratique est une atteinte au droit à une enfance heureuse de la jeune fille qui représente la principale victime.
Les autres effets négatifs, a-t-elle poursuivi, sont, entre autres, sanitaires comme les complications des grossesses et socioéconomiques comme les viols, la déscolarisation, la forte fécondité et la pression démographique, entrainant la paupérisation de certains ménages et l’augmentation des charges pour l’Etat.
La caravane de presse initiée par Voix de femmes en collaboration avec le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) s’est achevée sur une note de satisfaction des participants et des organisateurs.
L’ONG Voix de femmes entendait par l’activité promouvoir une meilleure implication des médias dans la promotion de l’élimination des Violences basées sur le genre notamment les mariages d’enfants et ce, conformément à sa vision, à savoir : «un monde où les droits des femmes sont connus et entièrement respectés par tous».