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« Il ne faudrait pas que le capitaine Traoré remette le pouvoir à quelqu’un d’autre », Me Apollinaire Kyélem

Publié le vendredi 14 octobre 2022  |  Autre presse
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Un coup d’Etat militaire a renversé au Burkina le régime du lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba, le 30 septembre 2022. Le capitaine Ibrahim Traoré, 34 ans, tombeur de Paul-Henri Damiba, est ainsi devenu le nouveau chef de l’Etat. Dans cet entretien accordé à Libreinfo.net, Me Apollinaire Kyélem de Tambèla, avocat au barreau du Burkina, soutient que le capitaine lui inspire parfaitement confiance. Me Kyélem, qui est également le directeur du Centre de recherches internationales et stratégiques (C.R.I.S) conseille au tombeur du colonel Damiba d’assumer pleinement le pouvoir.

Propos recueillis par Nicolas Bazié

Libreinfo.net : Le 30 septembre dernier, le Burkina Faso a connu un coup d’État. Est-ce qu’il fallait s’y attendre ?

Me Kyélem : Oui, il fallait, plus ou moins, s’y attendre. Je m’attendais à un changement, mais je ne savais pas qu’il viendrait si tôt que cela.

Parce que, si vous remarquez, le coup d’Etat qui a porté au pouvoir le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba avait pour justificatif le problème sécuritaire ; c’était comme un soulagement ;on pensait que beaucoup de choses changeraient.

On a vu qu’en réalité on n’évoluait pas. Cela a fait que ce pourquoi ils étaient venus causait problème maintenant. Il y avait comme une incapacité à faire face à leur propre défi.

Avec ce qui s’est passé à Gaskindé, (NDLR : attaque d’un convoi de ravitaillement de la ville de Djibo par des terroristes qui a causé qui a fait des dizaines de victimes) je me suis dit que les gens ne resteraient pas inactifs. Je ne savais pas qu’il y aurait un coup d’État dès le 30 septembre, à moins d’une semaine du drame de Gaskindé.

C’est ce qui m’a peut-être surpris… Sinon, quand on écoutait l’opinion publique, on sentait qu’elle cherchait une autre voie de sortie de crise.

Libreinfo.net: Quelle lecture faites-vous des manifestations qui ont suivi la chute du président Damiba?

Me Kyélem : Avant le coup d’État, il y a eu des manifestations à Bobo-Dioulasso, (NDLR : la deuxième ville, capitale économique du Burkina) où des commerçants demandaient la démission du président Damiba.

Parce que ce qui s’est passé à Gaskindé a affecté plus les commerçants puisque c’est leurs vivres et camions qui ont été incendiés. Je pense que les pertes s’évaluent autour de milliards de F CFA. Ensuite, pendant le coup d’État, il y a l’institut français de Bobo qui a été saccagé, suivi de celui de Ouagadougou ainsi que l’Ambassade de France.

Je pense que cela ne se justifie pas parce qu’aucune violence ne peut se justifier. Mais elle peut s’expliquer parce que les gens soupçonnaient la France de tirer les ficelles dans cette situations et surtout de soutenir le président Damiba alors qu’il n’arrivait plus à résoudre le problème.

C’est ce qui a exprimé le mécontentement des citoyens vis-à-vis des Français. Une autre raison est que, parmi eux, des gens pensaient que les Français protégeaient le président Damiba dans la base militaire de Kamboinsin(NDLR : située à une dizaine de km de la ville de Ouagadougou).

C’est pourquoi il y a eu des barrages au niveau du camp de Kamboinsin pour empêcher éventuellement les troupes françaises de descendre dans les rues pour soutenir le président Damiba.

Entre temps, le bruit courait aussi que Damiba était dans l’enceinte de l’Ambassade de à Ouagadougou. C’est pourquoi, les gens se sont déplacés là-bas pour essayer de grimper sur les murs afin de voir s’il y était.

Après, on a dit qu’il était à la Base aérienne avec l’ambassadeur de France. Donc, il y a eu toutes ces rumeurs-là qui ont fait que les gens en voulaient à la France. Cela a amené la jeunesse anti-française à exprimer sa colère.

Sur ce plan, je n’explique pas la violence mais j’essaie de comprendre, parce que tous ceux qui manifestaient n’étaient pas des gens qui avaient mon âge, ma formation, ma hauteur d’esprit. Dans l’enthousiasme de la jeunesse, ils ont voulu exprimer leur point de vue, leur mécontentement.

Libreinfo.net : Que retenez-vous de la gestion des 8 mois du lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba ?

Me Kyélem : On ne peut pas dire que tout est négatif ; parce qu’il avait déjà commencé à prendre certaines mesures comme la relecture du statut des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), la poursuite de l’armement du Burkina Faso et la diversification des partenaires qui avait été entamée par le président Roch Kaboré. Il y a eu aussi des mouvements au sein de l’administration.

Cela ne concernait pas le problème sécuritaire mais ça concernait la gestion du pays. Cela avait permis de débusquer certaines malversations qui étaient en cours. On peut dire qu’il y a eu du positif comme il y a eu du négatif, à savoir que le président Damiba n’avait pas été à la hauteur des défis sécuritaires qui se posaient à lui.

Si vous avez suivi la déclaration du nouveau chef de l’Etat, le capitaine Ibrahim Traoré, il dit qu’on a perdu 8 mois. C’est-à-dire que sur certains points, la gestion du président Damiba a été défectueuse.

Libreinfo.net : Le capitaine Ibrahim Traoré est le nouveau chef de l’Etat. D’abord quel commentaire faites-vous de l’acte fondamental du MPSR 2 ?

Me Kyélem : Il n’y a rien de particulier. C’est à peu près la même chose que l’acte fondamental quand le lieutenant-colonel Damiba venait au pouvoir. Donc, il n’y a pas de relecture à faire.

C’est pour régulariser la prise du pouvoir du nouveau MPSR et régulariser le fait qu’actuellement c’est le capitaine Ibrahim Traoré qui est le chef de l’État. C’est cet acte qui gérait l’État en attendant le rétablissement de la Constitution.

C’est pourquoi, si vous avez remarqué, ils disent que l’acte fondamental prend effet à partir du 30 septembre 2022. Et à partir de sa prise,l’acte fondamental fait partie de l’ordre institutionnel et juridique du Burkina Faso.

Libreinfo.net : Est-ce que, selon vous, le capitaine Traoré inspire déjà confiance de par ses premières déclarations ?

Me Kyélem : Moi, il m’inspire parfaitement confiance parce que, résolument, il semble être engagé du côté de la révolution, de l’aspiration de la jeunesse, du côté du changement.

Donc il m’inspire confiance dès le départ. Mais cela dit, on ne peut pas savoir à quoi cela sera dû parce qu’à l’épreuve du pouvoir les gens changent. Comme on le dit, chacun a son prix. Il suffit d’évaluer son prix et on peut l’acheter.

C’est à lui de savoir ce qu’il veut et de s’en tenir à la route qu’il s’est donnée. C’est en vertu de l’honnêteté de chacun, on peut t’acheter ou ne pas pouvoir t’acheter. Par exemple, quelqu’un comme Thomas Sankara, (NDLR : leader de la Révolution de 1983 au Burkina) on ne pouvait pas l’acheter parce que sa vertu était au-delà de ça.

À un certain niveau, vous considérez les choses matérielles comme des choses basses parce que ça n’a pas beaucoup d’importance pour vous. C’est votre vertu, votre idéal, votre spiritualité qui va vous suivre, même après votre mort.

Mais, quand vous n’avez pas cette élévation d’esprit, vous avez tendance à croire qu’en accumulant des biens, en jouant sur l’apparence, en se faisant voir, que tout se rapporte à cela. Alors que vous allez quitter cette terre en laissant tout, pour partir les mains vides.

Libreinfo.net : Le jeune capitaine de 34 ans doit légiférer par ordonnance proposent certaines personnes. Juridiquement, qu’est que cela veut dire ?

Me Kyélem : C’est simple. Moi-même, je l’ai proposé. Dans une interview, j’ai dit qu’il ne devrait pas mettre en place des institutions lourdes qu’on a vu sous la précédente transition, mais il devrait légiférer par ordonnance. Une ordonnance est une loi qui n’est pas prise par l’Assemblée nationale mais par l’exécutif. C’est l’équivalent d’une loi.

Si vous avez remarqué, sous le président Damiba, l’Assemblée législative de transition avait voté une loi d’habilitation qui lui permettait de prendre certaines décisions par voie d’ordonnance.

A la seule différence que comme il y avait une assemblée, à une période donnée, ces ordonnances devaient être ratifiées par l’Assemblée.

Il y a des domaines dans lesquels le président Damiba lui-même légifère par voie d’ordonnance. Après les ordonnances vous avez les décrets, ensuite les arrêtés et les circulaires. C’est comme ça l’organisation juridique dans un pays.

Libreinfo.net : Quels sont les risques avec les ordonnances ?

Me Kyélem : Des risques ? Je ne sais pas. Tout dépend du patriotisme du chef de l’Etat. Même à l’Assemblée nationale, il y a des risques. Il y a des lois qu’on fait voter et qui ne sont pas conformes aux besoins des citoyens.

Il y a des assemblées nationales qui sont à la botte de l’exécutif. On a vu ça sous le président Blaise Compaoré. La preuve est que c’est sous le régime de Blaise Compaoré qu’on avait voté une loi pour taxer les engins à deux roues et à quatre roues.

Mais les gens ne l’ont jamais accepté de telle sorte que lorsque les évènements de 2011 (NDLR : Mutineries dans l’armée) ont survenu, le gouvernement mis en place après avait abrogé cette loi. Donc, ce n’est pas parce qu’il y a une assemblée nationale qu’il n’y pas de loi impopulaire.

L’assemblée peut représenter une classe déterminée. Sous Blaise Compaoré, c’était une assemblée de la classe des possédants et qui ne reflétait pas forcément les aspirations populaires. C’est une question de classe et d’orientation.

Libreinfo.net : Qui pour diriger cette Transition selon vous ? Un civil ou un militaire ?

Me Kyélem : Pour moi, un militaire, un civil, un vieux, une femme, un homme, un jeune, ça n’a pas d’importance. C’est la compétence, l’intégrité et la vertu de la personne qui compte. Si la personne est vertueuse, elle va gouverner en fonction des aspirations du peuple et de la droiture.

Si la personne est hypocrite, fausse, tournée vers l’enrichissement, qu’elle soit militaire ou civile, elle va dévoyer la gouvernance vers ses propres intérêts. Il y a des militaires pourris comme il y a des civils aussi pourris et vendus. Donc les débats n’ont pas d’importance.

L’essentiel c’est de chercher l’homme charismatique qu’il faut, capable d’engager la société vers des voies nouvelles de sorte que le pouvoir qui viendra après la Transition ne puisse pas trop reculer par rapport à l’orientation que le gouvernement de la Transition aura fixée pour le peuple. C’est ça l’essentiel.

Libreinfo.net : Pensez-vous que le capitaine Traoré peut être l’homme qu’il faut au Burkina ?

Me Kyélem : Pour moi, c’est l’homme qu’il faut. Seulement, il ne faudrait pas qu’il commette une erreur. Pour pouvoir gouverner, il faut connaître l’histoire. Patrice Lumumba était le Premier ministre du Congo Belge. Il a commis une erreur en choisissant d’être Premier ministre et de laisser la présidence à Joseph Kasa Vubu.

Erreur fatale ! Même si le premier a beaucoup de pouvoirs, le président, même s’il a un rôle symbolique, il a toujours le pouvoir de démettre un Premier ministre ou alors de signer des traités internationaux.

C’est ce qui a permis à M. Joseph Kasa Vubu, bien que n’ayant pas autant de pouvoirs que le Premier ministre Patrice Lumumba, de conduire des intrigues qui ont abouti à l’élimination physique de Patrice Lumumba.

Même au Mali, à côté, ce sont les Assimi Goïta qui ont fait leur coup d’État. Ils ont succombé aux sirènes internationales et ont appelé Bah N’Daw pour être le président. Ce dernier a trahi la voie des auteurs du coup d’Etat. C’est pourquoi ils ont dû refaire un autre coup d’État pour récupérer leur chose.

Ici au Burkina Faso, c’était la même chose. Ce sont les Ibrahim Traoré qui ont fait le coup d’État du 24 janvier 2022 ; ils ont, par la suite, donné le pouvoir à Damiba qui a trahi leur voie. Ils ont aussi récupéré leur chose.

Il ne faudrait pas que le capitaine Ibrahim Traoré commette donc l’erreur de remettre le pouvoir à quelqu’un d’autre. Celui qui se bat pour quelque chose, c’est pour lui la chose. Vrai ou faux ?

Le capitaine Ibrahim Traoré a pris des risques, il a mis en cause sa vie. Si le coup d’État avait échoué, quel aurait été son sort ? S’il y avait eu des affrontements (parce que tout était possible), il aurait pu succomber pendant les combats. Donc, il a engagé sa vie pour le changement, qu’il assume le pouvoir.

Il y a des gens qui disent qu’il est jeune et qu’au nom de la hiérarchie militaire, il doit céder le pouvoir aux plus gradés. Je dis non. Où étaient ces gradés ?

Ils sont des complices de la situation. Si on remet le pouvoir à ces gradés, étant complices du régime renversé, ils vont œuvrer à saboter leur ligne comme ce fut le cas au Congo Belge, au Mali. S’il se trompe, s’il remet le pouvoir aux plus gradés sous prétexte qu’il est moins gradé, il en paiera le prix.

Comme l’a dit l’homme politique Louis Antoine Saint Just au moment de la Révolution française, « celui qui fait la révolution à moitié creuse sa propre tombe ». Que le capitaine Ibrahim Traoré retienne cela. Il faut qu’il garde le pouvoir et qu’il l’assume. Si c’est bien, il en récoltera les fruits ; si c’est mauvais aussi, il en paiera les conséquences.

Pour moi, il n’y a pas quelqu’un d’autre qui peut assumer le pouvoir d’État plus que le capitaine Ibrahim Traoré. Moi, je souhaiterai qu’il n’y ait même pas de Premier ministre. Qu’il assume le pouvoir comme Thomas Sankara.

Il légifèrera par ordonnance ; là, les choses iront vite. Parce que nommer un Premier ministre créé un intermédiaire entre le Gouvernement et le président. Ce qui accroît les lourdeurs administratives.

Libreinfo.net : Comment voyez-vous cette transition ?

Me Kyélem : Moi, je garde espoir d’autant plus qu’il reste deux ans selon le calendrier établi au préalable. Même si ce calendrier peut être revu à la baisse ou à la hausse, je ne pense pas qu’en deux ans beaucoup de choses de pire puissent arriver.

Donc, je la vois de façon heureuse, sans inquiétude. Je pense que les jeunes officiers qui sont là sont assez engagés, ils pourront trouver des solutions à nos problèmes au cours de cette Transition.

Libreinfo.net : Quel est votre message à l’endroit de tous ces jeunes ?

Me Kyélem : J’appelle la jeunesse révolutionnaire du Burkina Faso à s’organiser. On sent que la jeunesse a des aspirations mais elle ne sait pas comment les traduire en actions.

Elle est souvent déboussolée parce qu’il y a des sirènes de toute part qui l’appellent. J’appelle aussi la jeunesse à se former politiquement, techniquement, professionnellement pour savoir où elle va pour ne pas se laisser entraîner n’importe comment.

Il y a des gens qui disent qu’il faut rompre les relations avec la France pour aller avec la Russie. Moi, je dis qu’il ne faut pas quitter X pour aller avec Y. Il revient aux Burkinabè de tirer profit de chaque partenaire.

Avec la France, nous pouvons avoir des intérêts à défendre et à obtenir. Avec la Russie c’est la même chose. C’est à nous de savoir qui nous sommes, ce que nous voulons et de voir quelle utilité il y a par rapport à chaque partenaire.

Mais le drame des Africains est qu’ils ne savent même pas qui ils sont et ne savent pas ce qu’ils veulent, ils naviguent à vue.
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