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Marché de fer de Ouagadougou : un site de plus de 200 hectares à l’abandon

Publié le mercredi 28 septembre 2022  |  Sidwaya
Marché
© Autre presse par DR
Marché de fer de Ouagadougou
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Inauguré en mai 2006, le marché de fer de Ouagadougou, situé à Bassinko à la sortie nord de la ville à une quinzaine de kilomètres du centre-ville, est presque désert. Les milliers d’acteurs qui devaient l’occuper brillent par leur absence laissant le site à la merci des intempéries. Reportage !

Le temps est peu ensoleillé. Le ciel présente une physionomie rassurante, aucune menace de pluie. Nous sommes sur la Route nationale 2 (RN2). La circulation est dense comme à l’accoutumée. A la queue leu leu, les conducteurs avancent à pas de caméléon. C’est le quotidien des habitants des zones cité Bassinko et Yagma ainsi que des voyageurs de l’axe reliant Ouahigouya à la capitale. Cet embouteillage est dû à l’étroitesse de cette voie à sens unique. Seuls les cyclomoteurs arrivent à se faufiler entre les cortèges de véhicules. Les usagers véhiculés sont obligés de prendre leur mal en patience. Après près d’une heure d’avancée difficile, nous arrivons au péage. A notre gauche se trouve le marché de fer de Ouagadougou bâti sur une superficie de 202ha. Lorsque nous foulons le site, nous tombons sur des bâtiments inachevés qui sont pour la plupart devenus le refuge des animaux. Des fosses non couvertes et des dalles cassées s’aperçoivent également çà et là.

Les quelques rares bâtiments qui sont achevés sont pour la plupart sous serrure. Seuls quelques ateliers sont ouverts. A pas de course, nous foulons l’atelier de garage de Mamadou Doro. Chez Doro, un parc automobile nous plonge dans l’univers de la mécanique auto. Habillés dans leurs tuniques violettes, des jeunes apprentis en petits groupes manient clés et accessoires mécaniques sur les moteurs des grosses cylindrées. Ils valent une dizaine qui sont sous la coupe de sieur Doro. Avec un âge compris entre 14 et 18 ans, beaucoup d’entre eux ont quitté les provinces pour la formation en mécanique auto. Ils sont tous aux aguets et écoutent religieusement les instructions de leur chef. Mamadou Doro est installé sur le site depuis 2010, soit quatre années après son inauguration officielle par l’ancien bourgmestre de la commune, Simon Compaoré. « A l’époque, nous avons salué l’initiative de construction du marché, vu que cela allait permettre de réunir tous les travailleurs du fer de la ville dans un seul lieu », nous confie M. Doro. Depuis la douzaine d’années qu’il mène ses activités au marché de fer, le garagiste dit ne pas regretter son choix. « Les clients nous rendent visite. Le marché est acceptable même si la situation sécuritaire impacte négativement le cours des choses. Nous n’arrivons plus à nous rendre dans les provinces pour des dépannages », déplore M. Doro. Et d’ajouter que le nombre de ses clients s’est accru depuis qu’il a déménagé sur le site, car désormais ils sont nombreux ces habitants de la cité de relais de Bassinko qui fréquentent son atelier. Il dit ne pas regretter le choix d’être venu.

Des bâtiments abandonnés
Cette ambiance qui y règne chez Doro se dissipe au fur et à mesure que l’on parcourt le reste de l’étendue du site censé accueillir les travailleurs du métier de fer. Des bâtiments attendent impatiemment la visite de la truelle du maçon pour être occupés. L’entreprise chargée de l’aménagement du site semble avoir pris la poudre d’escampette laissant à l’abandon des chantiers en phase de fondation. Des voies de fortune à peine visibles se confondent au reste du terrain devant accueillir les travailleurs du fer. Certains ouvrages inachevés sont transformés en cadre d’élevage. Et ce n’est pas tout ! En cette saison pluvieuse, l’agriculture s’invite sur les lieux. De loin, nous apercevons un homme, la quarantaine bien révolue, muni de sa daba en train d’enlever les mauvaises herbes sous ses spéculations. Il y cultive de l’arachide, du haricot et de l’oseille qui sont en phase de montaison. Nous nous dirigeons vers lui. Après les salutations d’usage, il nous fait savoir que le bâtiment, dressé juste devant, appartient à son patron qui est un garagiste. Nous décidons alors de rentrer en contact avec celui-ci.

Mais son refus est catégorique. Pas question de dévoiler l’identité de son employeur à plus forte raison nous mettre en contact avec ce dernier. « Mon travail se résume à surveiller la cour. Pas plus ni moins », se contente-t-il de nous dire. Il n’est pas le seul dans ce cas sur le site ! A 100 mètres de ce lieu, un autre groupe de femmes, en majorité du troisième âge, étaitau four et au moulin pour donner de l’éclat à leur petit champ. A l’inverse du quadragénaire, celles-ci cultivent du maïs et du soja jusqu’au pied des bâtiments de la mairie. En effet, dans les plans d’aménagement du marché, des bâtiments sont construits pour accueillir les agents de la municipalité. Ces locaux de la municipalité qui abritent de nombreux bureaux sont malheureusement inhabités comme la plupart des infrastructures sur le site. La raison est toute simple. Il n’y a pas d’acteurs de fer sur le site à qui les agents vont offrir leurs services. A cause de cet abandon, les bâtiments commencent à tomber en ruine. Un bureau sans porte sert désormais de refuge aux chèvres. Impossible d’y mettre le nez. Au seuil de la porte, une odeur nauséabonde nous accueille. Que le constat est triste ! Des ouvrages réalisés à de millions de francs ploient sous le joug des intempéries.

Des pratiques qui dégradent le site
En outre, à cause de l’inexploitation du site, des individus n’hésitent pas à s’y introduire pour ramasser du sable sous le regard impuissant de tous. Ces actions anthropiques entrainent malheureusement la dégradation de cet espace. Il s’agit du creusage de fosses à des fins d’exploitation de la terre. Celle-ci est piochée et embarquée dans des tricycles ou des charrettes pour une destination inconnue laissant ainsi le site parsemé de trous. Le pire est que ces mauvaises pratiques sont menées à proximité des ateliers de travail dont la construction est achevée, mais qui restent inhabités. Le danger plane donc à l’horizon. Les risques d’éboulement de ces bâtiments sont trop élevés. A chaque pluie, le danger est imminent. Avec le ruissellement des eaux, ces endroits du marché de fer de Ouagadougou sont en passe de devenir un gisement de carrière à ciel ouvert. Les populations riveraines disent avoir alerté à plusieurs reprises la police municipale. Mais aucune mesure n’a été prise dans ce sens. Au regard de la situation, Issa Kaboré, un garagiste installé sur le site, s’adonne désormais à la sensibilisation et aux interpellations des personnes qui tiennent mordicus à ces pratiques malsaines. Mais, il dit être à bout de souffle. « Nous sommes fatigués, car désormais c’est la nuit que les gens viennent ramasser les agrégats. Nous demandons donc aux autorités de prendre leurs responsabilités », ajoute-t-il. L’autre constat que nous avons fait une fois sur place est la présence des cours à usage d’habitation sur le site.

Toute chose qui est contraire au plan d’aménagement du projet du marché de fer de Ouagadougou. Malgré ce plan, certaines familles comme celle du vieux Abdouramane Rasmané Kaboré alias Ladji Koutou ferrailleur sont installées sur le site, bien que n’ayant pas eu l’autorisation pour construire sur le site. Mais, il y vit avec sa petite famille et dit être le premier acteur à avoir rejoint le site. C’était en mai 2007. « Mes trois frères et moi avons eu chacun un terrain de 750 m2 et nous avons accepté venir parce qu’on allait pouvoir mener tranquillement nos activités », évoque cet homme rongé par le poids de l’âge. Mais l’enthousiasme de Ladji Koutou ferrailleur sera de courte durée. A peine installé, les dures réalités surgissent. Il s’agit du manque d’électricité et d’eau courante. A écouter Rasmané Kaboré, c’est le manque de commodité qui freine le déménagement des acteurs sur le site. « L’activité de ferrailleur ne peut pas se faire sans électricité », souligne-t-il. Le premier responsable du garage « Nongassomdé», Didier Kissou qui vient de rejoindre le site en janvier 2022 est du même avis. N’ayant pas de terrain sur le site, M. Kissou nous confie être en location. Concernant les infrastructures du marché de fer, il déplore la manière dont le projet a été conduit. « Je ne suis pas satisfait de ce projet qui s’est contenté de la délimitation du marché sans réaliser d’infrastructures répondant aux normes d’un garage moderne », fustige-t-il.

Le site non viabilisé
Il égrène un chapelet de difficultés auxquelles, lui et ses collègues garagistes font face sur le site. Il s’agit de l’état piteux des voies et l’inexistence d’un centre de santé, pour la prise en charge des victimes d’accident de travail. « Nous travaillons avec des métaux ! Le risque d’accident de travail est trop élevé », note-t-il. Pour lui, le minimum que doit disposer un marché de fer, c’est de le doter site de voies bien dégagées afin de permettre aux usagers de s’y rendre facilement. Même son de cloche pour le garagiste, Issa Kaboré. « Un client qui voit l’état de cette voie ne va pas s’hasarder à l’emprunter au risque de provoquer d’autres pannes à son véhicule », pense M. Kaboré, présent sur le site depuis 2017. Au-delà de cette kyrielle de difficultés liées à la voie et à l’électricité, les occupants soulignent amèrement être en manque d’eau sur le site, 16 ans après son inauguration. Effectivement, aucune installation de l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA) n’est visible sur le site. C’est l’une des raisons pour lesquelles bon nombre de travailleurs du fer n’ont pas rejoint le site.

Ces derniers pointent du doigt la distance qui sépare le site du centre-ville, qu’ils estiment longue. Le président de l’Association des professionnels, des garagistes, casse-autos, vendeurs de véhicules et pièces détachées de Ouagadougou (APGCAVPO), Idrissa Bandaogo, ne partage pas cet avis. Pour lui, il ne trouve pas logique que certaines personnes disent que le garage de Bassinko qui est à 15 km du centre-ville est loin. « Je connais des personnes qui font embarquer leurs véhicules pour aller les réparer au Ghana», se justifie-t-il. Dans le rang de ceux qui ne sont pas sur le site, les justificatifs ne manquent pas. Certains évoquent le problème d’espace car n’ayant pas été attributaires de parcelle sur le site. C’est le cas de Michel Ilboudo. Il est chef d’atelier de casse-auto au marché de fer de Larlé à quelques mètres des rails. « Je ne suis pas allé sur le site de Bassinko parce que je n’ai pas de terrain là-bas », nous lance-t-il. Il reconnait tout de même que son activité à Larlé l’expose à de nombreux risques. Car, remarque-t-il, à proximité des concessions et du trajet du train, le travail est dérangeant. Cependant, il dit être prêt à déménager si toutefois il y gagnait un espace pour mener ses activités dans la tranquillité. Quant au vendeur de pièces détachées, Alexis Nikièma, il affirme que les débrouilleurs comme lui auront du mal à travailler sur le site, car ne disposant pas de matériel sophistiqué pour mener amplement leurs activités. Pour l’heure, ils fonctionnent grâce à l’appui d’autres garagistes disposant de matériel sophistiqué. De plus, il ajoute le manque de clients qui ne va pas leur permettre de tirer leur épingle du jeu. « Certains de nos collègues sont allés, mais ils sont tous ruinés présentement, faute de clientèle », fait-il savoir.

La mairie invitée à s’assumer
Dans le but d’amener les acteurs du secteur du fer à rejoindre le site, M. Nikièma trouve nécessaire que les « grands chefs d’entreprise » fassent le pas. Car, il pense que ces acteurs de premier plan pourront mobiliser les plus petits qui dépendent de leurs services. Las d’attendre la viabilisation du site, des attributaires de parcelles ont vendu leurs terrains, à en croire Alexis Nikièma. Malgré toutes ces difficultés qui constituent le nœud gordien de la non- occupation du site, le président de l’APGCAVPO, Idrissa Bandaogo, pense que les autorités municipales doivent contraindre s’il le faut, ceux qui occupent anarchiquement les espaces dans les rues de Ouagadougou à rejoindre le site. « C’est l’Etat qui décide de comment mettre de l’ordre dans la cité. Si le maire dit qu’on ne veut plus voir des garagistes au centre-ville à part Bassinko, je vous assure que le site du marché de fer va se métamorphoser, car nous sommes habitués à la pression», note-t-il. Et de compléter que les questions de commodité vont être réunies au fur et à mesure. Par ailleurs, il dit avoir toujours en mémoire une promesse de la Société nationale burkinabè d’électricité (SONABEL).

« Après l’inauguration du site en 2006, nous avons approché la SONABEL pour avoir de l’électricité sur le site et il nous a été demandé de rejoindre le marché avant qu’elle ne vienne fixer les poteaux électriques. Mais, les gens ne l’ont pas fait », témoigne-t-il. De l’avis de Mamadou Doro, l’Etat doit accompagner ceux qui ont le désir de s’y rendre, mais qui n’ont malheureusement pas de parcelles ou qui ont des difficultés financières pour bâtir des ateliers modernes. Par ailleurs, il précise que pour être propriétaire d’une parcelle, il faut être un garagiste remplissant le cahier des charges ou encore, appartenir à une association professionnelle du métier du fer. Cependant, il note qu’après l’inauguration du site, la construction des ateliers revenait à la charge des acteurs. « Chacun devrait œuvrer à la mise en valeur de son terrain sans aucun accompagnement de l’Etat », nous affirme-t- il. La mairie de la commune de Ouagadougou étant l’institution porteuse du projet, nous avons introduit, depuis le 6 juillet 2022, une demande d’entretien accompagnée d’un questionnaire. Malheureusement, après moult promesses de la direction de la communication et des relations publiques, de nous mettre en contact avec des responsables ainsi que des relances de notre part, nous bouclions les lignes de cet article sans les avoir rencontrés.

Dô DAO
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