Le procès Dabo Boukary a pris fin ce 21 septembre 2022, au Tribunal de grande instance Ouaga II, avec les plaidoiries des avocats, la réquisition du procureur général et l’arrêt du président de la chambre criminelle. Les accusés Gilbert Diendéré, Mamadou Bamba, Magloire Yougbaré sont respectivement condamnés à 20 ans , 10 ans et 30 ans de prison ferme.
Par Nicolas Bazié
32 ans après son assassinat, justice est enfin rendue à l’étudiant en 7e année de médecine Dabo Boukary. Les auteurs de sa mort le 19 mai 1990 ont respectivement écopé de 20 ans, 10 ans et 30 ans de prison, après 22 ans de procédure judiciaire.
C’était un procès marathon voire commando pour tous. Débuté le 19 septembre 2022, le procès a pris fin le 22 septembre 2022.
Le dossier qui a donc connu toutes les péripéties pendant ces années a vu son épilogue. Le 21 septembre, à la chambre criminelle de la cour d’appel, que d’émotions pendant la plaidoirie de la partie civile constituée d’environ 14 avocats dont Me Bénéwendé Sankara, Me Prosper Farama et Me Ambroise Farama.
Plaidoirie de la partie civile sur le cas Gilbert Diendéré
Les avocats de la partie civile sont unanimes sur un point dans le dossier Dabo Boukary : l’accusé général Gilbert Diendéré est coupable des faits qui lui sont reprochés.
Pour eux, une personne qui dispose de moyens légaux pour empêcher une infraction mais ne le fait pas, se rend complice de l’infraction. Le général Gilbert Diendéré ne pouvait pas ignorer ce qui se tramait au conseil de l’entente, déclare Me Antoine Kaboré.
Selon lui, bien que le général ait reconnu qu’il n’a pas donné des ordres pour l’arrestation des étudiants, il a dit à ses éléments d’envoyer les étudiants à Pô (région du Centre-Sud) et de transférer le corps de Dabo Boukary à Pô.
Et de poursuivre: « les victimes reconnaissent que c’est lui qui a donné les instructions pour qu’elles soient maltraitées et incorporées de force dans l’armée». Ce qui montre à souhait qu’il était bien au courant de tout.
Si Gilbert Diendéré dit qu’il n’était pas au courant du transfert des étudiants, sur la base de quoi donc, il les reçoit dans son bureau pour leur proposer de rejoindre l’armée ? interroge Me Antoine Kaboré. Pire, signifie le conseil, Diendéré n’a pris aucune mesure pour sanctionner les responsables des forfaits, selon l’avocat. « On ne peut pas commander un corps et se contenter uniquement de venir constater des dégâts», a-t-il fait savoir.
Pour lui, il existe l’intention coupable dans ce dossier. En clair, il s’agit de la connaissance par le complice que ses actes vont contribuer à la commission d’une infraction. Le général a adopté ce que le conseil a appelé « l’inexécution d’une obligation d’intervention», le fait de laisser faire sans opposition.
Dans sa plaidoirie, Me Ambroise Farama n’a pas manqué de dire que l’infraction de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort est suffisamment constituée.
Il trouve que le fait pour Gilbert Diendéré de n’avoir pas pris des dispositions pour prévenir l’infraction fait de lui un coupable. « Ce que nous lui reprochons c’est de n’avoir pas pris ses responsabilités pour empêcher ce qui s’est passé», fait-il savoir.
Me Bénéwendé n’a pas voulu trop parler. Il soutient tout simplement que les faits sont assez constitués dans le dossier Dabo.
Prenant la parole, Me Prosper Farama, “très choqué” de la «méchanceté avec laquelle», les militaires ont traité les étudiants en mai 1990, a coulé des larmes. « Dommage, Dabo Boukary n’a pas eu le temps d’avoir un enfant, j’aurais énormément eu le plaisir de plaider devant cet enfant. Mais des gens, depuis des années, ont décidé du droit de vie et de mort des autres. On ne peut pas accepter cela», a-t-il laissé entendre.
Le seul hommage qu’on peut rendre à une victime c’est de se battre pour la justice, lâche Me Farama qui a tenu à interroger la responsabilité de la culpabilité des accusés dans cette affaire de Dabo Boukary.
Il fait observer que « pour ce qui est du drame du 19 mai 1990, la tête pensante était Salif Diallo, le maestro était Blaise Compaoré lui-même et l’homme de terrain était Gilbert Diendéré». Me Prosper Farama affirme qu’il n’y a pas de différence entre celui qui a tué et celui qui a regardé tuer.
L’accusé Mamadou Bamba
Les déclarations émises par le médecin lieutenant-colonel Mamadou Bamba ont été rejetées par les avocats de la partie civile qui sont formels sur sa culpabilité.
C’est Bamba qui a identifié les étudiants, pour qu’ils soient conduits au conseil et maltraités, avance Me Antoine Kaboré qui ajoute que toutes les victimes l’ont vu, sauf lui-même.
Selon son propos, Bamba savait très bien qu’en indiquant les étudiants à arrêter, cela allait aboutir à la commission d’infraction ou y a eu mort d’homme. Il est bien impliqué dans les arrestations, renchérit-il.
« Mamadou Bamba est devenu colonel grâce à la mort de Dabo Boukary», lance Me Prosper Farama.
Réquisition du Procureur général
Le procureur général Arsène Francis Sanou a pris le soin de faire un récapitulatif de tout ce qui a été dit devant la chambre criminelle, pour ce qui du dossier Dabo Boukary. Il a trouvé que certains faits qui pèsent sur les accusés sont constitués.
Pour lui, Gilbert Diendéré est coupable de séquestration aggravée. Il a requis donc contre lui, une peine d’emprisonnement de 7 ans ferme. Le procureur général a néanmoins demandé à ce que les faits de complicité d’arrestations illégales et de recel de cadavre contre lui soient abandonnées.
De ses explications, l’infraction coups et blessures ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner ne peut être retenue car, Diendéré s’est a posteriori rendu compte de la commission de l’infraction en mai 1990.
Parlant du recel de cadavre, Arsène Francis Sanou a fait noter que dès lors que le général Gilbert Diendéré a constaté le décès de Dabo Boukary et qu’il a ordonné qu’un véhicule sanitaire prenne le corps pour aller enterrer à Pô, il ne peut être poursuivi pour cette infraction.
Quant au médecin lieutenant-colonel Mamadou Bamba, le parquet général trouve qu’il est coupable des faits de complicité d’arrestations illégales et de complicité de séquestration aggravée. Il a requis contre lui, une peine de 10 ans de prison ferme avec une amende de 1 million de francs CFA.
Pour le cas de Magloire Yougbaré qui est en fuite, il a été jugé par défaut. Complicité d’arrestations aggravées et complicité de séquestration aggravée sont les faits retenus contre lui dans le procès Dabo Boukary. Le procureur général a requis contre lui, la prison à vie, avec une amende de 10 millions de francs CFA.
Plaidoiries de la défense
La peine de Mamadou Bamba est lourde a fait savoir son conseil Me Mamadou Sombié qui a plaidé pour que l’on trouve des circonstances atténuantes pour son client . Dans sa plaidoirie, il a demandé à la chambre de relaxer Mamadou Bamba au bénéfice du doute.
Selon Me Jean Saba, l’un des avocats du général Gilbert Diendéré, il y a prescription quant à l’ infraction de séquestration aggravée. En plus, « mon client n’a pas assisté, n’a pas donné d’ordre pour frapper qui que ce soit. Il était en mission , il n’était pas là au moment des faits. Donc cette infraction n’est pas constituée», poursuit le conseil.
Pour le recel de cadavre, il soutient que son client n’a pas lui-même enterré le corps de Dabo Boukary, il a donné un ordre qu’il a reçu du chef de l’Etat. Il a demandé à la chambre de considérer cette infraction comme non constituée.
La défense va plus loin en déclarant qu’aucun élément n’est constitué pour ce qui est des accusations contre Gilbert Diendéré. Par conséquent, il faut sa relaxation et à défaut un sursis parce que l’intention coupable est difficile à trouver dans les faits.
Gilbert Diendéré, Mamadou Bamba condamnés…
Après avoir écouté toutes les parties débattent entre elles pendant plus de 4h, le président de la chambre criminelle San Louis Ouattara a décidé de se retirer avec ses conseils à 21h27 pour délibérer. A exactement 00h42, le président a rendu son arrêt qui est sans équivoque.
Le général Gilbert Diendéré est condamné à 20 ans de prison ferme avec 1 million de francs CFA d’amende pour complicité d’arrestation et de séquestration aggravée.
Par contre, pour les infractions coups et blessures ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner et recel de cadavre, il y a prescription. Entendez là, la chambre décide d’abandonner ces charges.
Le médecin lieutenant-colonel Mamadou Bamba a été condamné à 10 ans de prison ferme avec 1 million de francs CFA d’amende, pour complicité d’arrestations illégales et de séquestration aggravée.
Quant à Magloire Victor Yougbaré, il a été déclaré coupable de complicité de d’arrestations et de séquestration aggravée. Il est condamné à 30 ans de prison par défaut, avec une amende de 5 millions de francs cfa. Un mandat d’arrêt a également été émis contre lui.
Les accusés ont 15 jours pour faire appel de l’arrêt de la chambre criminelle.
1 F symbolique
La famille de Dabo Boukary a demandé une somme de 1 F symbolique, une sépulture pour la victime, plus un certificat de décès. L’Association nationale des étudiants du Burkina (ANEB) réclame également la somme de 1 F symbolique.
L’Etat doit être reconnu comme étant civilement responsable à cet effet. En l’espèce, il doit être garant de la mise en œuvre effective des demandes faites. A préciser que cela ne veut pas dire que l’Etat est coupable d’une infraction quelconque dans le dossier.
Réactions
La décision de justice ayant été rendue, la partie de la défense dans le procès semble ne pas être satisfaite. « Nous allons discuter entre nous et voir ce que nous ferons», lance Me Abdou Latif Dabo. Il fait comprendre qu’il ne sait pas s’ils feront appel mais après discussion avec les accusés, la suite sera connue.
Cependant, du côté de la partie civile, la satisfaction est de taille. Pour Me Prosper Farama, l’un des avocats, justice a été rendue à Dabo Boukary et cela est salutaire . Il espère que cette décision de justice sera respectée
Le nom de Blaise Compaoré a été cité dans le dossier et la partie civile aurait aimé qu’il soit lui aussi entendu. « Le corps de Dabo Boukary a été enterré à Pô grâce à Salif Diallo, Blaise Compaoré et Gilbert Diendéré, puis enterré comme un chien à peine à quelques centimètres du sol», déplore l’avocat de la partie civile.
C’est une satisfaction « pour nous qui avons été séquestrés avec Dabo Boukary il y a de cela 32 ans», soutient Jean Yves Sansan Kambou, l’un des témoins.
«Ce verdict est purement pédagogique. Il fallait montrer à certaines personnes que nul n’est au-dessus de la loi», a soutenu monsieur Kambou.
Une satisfaction partagée par Seni Kouanda, président de l’ANEB en 1990. Pour lui, Dabo Boukary pourra enfin reposer en paix, vu que les auteurs de son assassinat ont été jugés et condamnés. « Si Salif Diallo était vivant, il devrait aussi répondre de ses actes parce que son nom à été plusieurs fois cité tout au long du procès», ajoute-t-il..