Le procès de l’assassinat de l’étudiant Boukary Dabo s’est ouvert hier, lundi 19 septembre 2022, à la chambre criminelle de la Cour d’appel délocalisée au Tribunal de grande instance Ouaga 2. Après plus de 10 heures d’interrogatoires, les accusés Mamadou Bamba et Gilbert Diendéré ont comparu devant les juges.
Je demande pardon à la famille de Dabo Boukary qui a perdu son fils », a déclaré Mamadou Bamba, ce 19 septembre 2022, à la chambre criminelle de la Cour d’appel délocalisée au Tribunal de grande instance Ouaga 2. Premier à passer à la barre, ce médecin lieutenant-colonel, est accusé de : « complicité d’arrestation illégale, séquestration aggravée », et de « complicité de coups et blessures ayant entrainé la mort sans intention de la donner et de recel de cadavre ». A l’entame du procès, M. Bamba a dit vouloir déposer un « fardeau » qu’il porte depuis 32 ans et ce, avec « transparence » et qu’importe le prix. Sur sa présomption de « complicité d’arrestation illégale et de séquestration aggravée », il a plaidé non coupable.
Devant la cour, celui qui est aussi accusé d’avoir « aidé » et « assisté » des militaires dont Gaspard Somé, à l’arrestation d’étudiants qui ont conduit à la mort de Dabo Boukary le 19 mai 1990 a dit avoir été meurtri dans son esprit, dans son âme, dans sa chair par ces événements. Il a déclaré n’avoir « jamais » participé à ces arrestations. « Je suis stupéfait d’entendre ces accusations », a-t-il affirmé. Il a ajouté : « en tant que qui, moi Mamadou Bamba pouvait intimer l’ordre à des militaires de procéder à des arrestations de certains étudiants ? Je n’ai jamais remis une liste d’étudiants à des militaires pour qu’ils procèdent à ces arrestations ». Pour lui, il est victime de son statut de président du comité révolutionnaire du campus de 1990. « Ce crime a été commis sous un régime (Régime Compaoré NDLR) dont je suis membre. Je suis victime de mon statut de militant. Je ne connais pas les militaires qui ont enlevé́ Dabo Boukary, à l’exception de Maïga, un réputé élément, à l’époque, de la garde prétorienne de Blaise Compaoré », a expliqué l’accusé. Après l’interrogatoire du médecin lieutenant-colonel Mamadou Bamba, le général Gilbert Diendéré a été appelé à la barre.
Avant ses aveux, il a dit s’incliner sur la mémoire de Dabo Boukary. Il a également traduit toute sa compassion à tous ceux qui ont subi des préjudices lors des événements de l’année 1990. Evoquant la journée du 16 mai 1990, Gilbert Diendéré a dit qu’au moment des faits, il n’était pas à Ouagadougou. Il a dit être revenu de la province le soir et ne s’est pas rendu au Conseil de l’entente ce jour-là. Dans son récit, il dit avoir été informé le 16 mai 1990 d’une manifestation d’étudiants à l’université, alors que « je n’étais pas au Conseil de l’entente au matin », souligne-t-il. C’est dans la soirée qu’il a été informé de l’arrestation de certains étudiants. « J’ai demandé qui a ordonné l’arrestation de ces étudiants ? », a indiqué le général. « Les ordres venaient du cabinet du Président du Faso (Blaise Compaoré, à l’époque) », lui a-t-on répondu. « …ils ont été manœuvrés » C’est ainsi que, fait savoir le général Gilbert Diendéré, après s’être rendu au cabinet du président du Faso, lui a-t-on ordonné de libérer les étudiants arrêtés et gardés au Conseil de l’entente. Ce qui a été fait. « J’ai fait sortir des bus pour les déposer à l’université, histoire de les mettre dans les conditions », a-t-il déclaré, en laissant entendre qu’au moment des faits, le Directeur de cabinet du président du Faso était feu Salifou Diallo.
De retour d’une mission en province, Gilbert Diendéré dit avoir été informé du décès « d’un civil au niveau de la permanence du Conseil de l’entente » par Ali Nébié, sous-officier, un élément sous son commandement, à son domicile. « C’est le soir, aux environs de 23 heures que le sous-officier de permanence est venu m’informer qu’un civil est mort à la permanence. Je suis allé et j’ai vu le corps de Dabo Boukary. Je ne connaissais pas son nom. J’ai demandé comment cela est-il arrivé. On m’a dit que c’est Somé Gaspard. Comme il n’était pas là, je suis allé immédiatement rendre compte au président du Faso », a-t-il relaté. « Qu’est-ce qui a entraîné la mort de Dabo Boukary ? », a demandé le juge ? « On m’a dit qu’ils ont été manœuvrés à travers des pompes, des pirouettes et autres, des exercices physiques. Dabo Boukary, lui, n’a pas supporté ça », a affirmé le Général. « Le 16 mai 1990, l’ordre d’arrêter les étudiants venait du cabinet de la Présidence du Faso, dirigé par feu Salifou Diallo et Somé Gaspard a exécuté l’ordre. Quant à moi, je ne suis pas au courant de séquestration d’étudiants. J’ai reçu l’information au moment où le nommé Dabo Boukary a rendu l’âme le 19 mai 1990 », a avoué Gilbert Diendiéré.
« J’ai conduit le corps de Ouagadougou à Pô…»
Il a également avoué avoir rendu compte au Président du Faso. Le Président du Faso, des dires du général, s’est emporté et lui a demandé de « prendre les dispositions pour l’enterrement », en lui notifiant que Salifou Diallo allait se charger de prévenir la famille du défunt. « Il était énervé. Il m’a dit que comme il en est ainsi, de prendre les dispositions pour l’enterrement », selon lui. La décision d’inhumation dans la ville de Pô de la dépouille de Dabo Boukary, le 20 mai 1990, selon les déclarations du général, est venue du défunt Salifou Diallo. Gilbert Diendéré a par ailleurs laissé entendre que Somé Gaspard et un nommé Maïga, entre autres, qui ont procédé à l’arrestation des étudiants, étaient sous son commandement, mais n’ont pas agi sur son commandement. « Ayant reçu l’ordre du président du Faso pour l’inhumation du corps, j’ai transmis l’information à mon adjoint depuis Pô (…) Il a pris toutes les dispositions. Quant à moi, j’ai conduit le corps de Ouagadougou à Pô avec les camarades étudiants du défunt, qui ignoraient leur lieu de destination », a indiqué l’accusé Gilbert Diendéré.
Pour Me Farama il faut que le procès se tienne dans le respect des droits de toutes les parties (partie civile et partie des accusés), mais aussi avec une attention particulière à la suite qui sera réservée aux éventuelles condamnations. « Nous ne faisons pas tout cela juste pour les besoins d’un folklore. Il ne faudrait pas que pour des considérations d’ordre politique, nous venons prétendre que nous rendons justice et par la suite venir piétiner les décisions de justice », a indiqué Me Prosper Farama, avocat de la partie civile. Le procès a été suspendu pour reprendre ce mardi 20 septembre 2022 à 9h, avec toujours l’accusé Gilbert Diendéré à la barre. A ce procès deux des trois accusés ont comparu au premier jour. Le 3e accusé Magloire Yaguibou ne s’est pas présenté au procès mais sera jugé par defaut.