L’Emir du Liptako a accordé une interview à Sidwaya relative au discours du Président du Faso, Paul-Henri Sandaogo Damiba, du dimanche 4 septembre 2022 à Dori. Il analyse le discours et donne son appréciation sur la gestion de la Transition.
Sidwaya (S) : Comment analysez-vous le discours du Président Damiba ?
L’Emir du Liptako (E.L .) : Je pense qu’il avait promis de faire le bilan et il a tenu sa parole. Le fait qu’il l’ait fait à Dori me réjouit davantage, parce que c’est une zone où la population a subi beaucoup de problèmes liés à l’insécurité, au déplacement, au désenchantement. J’ai trouvé son discours très mesuré, très réaliste.
Il a dit que nous avons tous failli, en pointant les Forces de défense et de sécurité (FDS) du doigt en premier. Il a fait l’état de la situation, avant qu’il n’arrive, en disant que nous étions dans des divisions, des désengagements et autres. Il a aussi parlé de l’état de délabrement moral de toute la société. Il a parlé du service public corrompu et politisé, de la mauvaise gouvernance, de la perte de confiance en la justice qui ne joue plus son rôle de régulateur social.
Le Président Damiba a aussi parlé de lutte politique engluée dans des intérêts personnels, achats de conscience et de mauvaise gestion de deniers publics. Il a également parlé d’un peuple laissé à lui-même qui n’a plus de repère et de l’assistance continue de notre population qui perd son âme sans s’en rendre compte. Son discours est un appel au patriotisme parce qu’il a rappelé notre histoire, tous les politiciens et coutumiers qui se sont mobilisés pour la reconstitution de la Haute-Volta.
Je me permets d’ajouter qu’il y a eu l’Emir du Liptako et le roi de Fada à l’époque, qui ont convaincu les populations de revenir à la Haute- Volta, lors du référendum organisé par le Niger. Il a dit ce qui est juste, qu’il y a beaucoup de personnes actuellement et dans le passé qui n’ont d’yeux que pour leurs intérêts personnels, ce qui nous a amenés complètement à oublier la Nation.
Ce qui nous arrive n’est qu’une accumulation de problèmes amenant les uns et les autres à ne plus savoir s’ils sont du Burkina ou juste au Burkina. Mon appréciation est positive, car il a dit sans ambages où nous étions, où nous en sommes en ce moment et vers où nous devons aller. Bien sûr, il n’y aura pas de satisfaction parce qu’il y en a qui sont pressés de revenir au pouvoir.
Ceux-ci vont dire que c’est bon, mais ce n’est pas arrivé. D’autres sont des partisans et vont applaudir. Pour ma part, je considère qu’il y a des actions qui sont posées, mais si vous demandez à quelqu’un qui vit dans l’insécurité tous les jours et la précarité tout le temps s’il est satisfait de ce que nous avons, il répondra par la négative. Je l’avais déjà dit à la rencontre entre les chefs coutumiers et le Premier ministre que les choses avancent certainement, mais pas à notre goût.
En effet, j’aimerais bien pouvoir me lever aujourd’hui circuler de Ouagadougou à Dori ou de Dori à Seytenga vers Gorgaji ou Falangountou. C’est impossible en ce moment ! Voilà pourquoi il est légitime de ne pas être satisfait de son bilan alors qu’il est en train de corriger des problèmes de sept ans et même d’avant. L’important c’est de reconnaitre qu’il y a quelque chose qui se fait en ce moment et qu’il y a eu un sursaut de nos FDS qui s’impliquent réellement dans la bataille. Il faut maintenant que nous les populations, soyons avec elles. Nous devons être dans une logique de soutenir nos filles et fils qui se battent pour nous, les encourager et les aider.
S : Comment appréciez-vous la gestion de la Transition ?
E.L. : Nous, les chefs coutumiers, ne sommes pas là ni pour encenser un parti politique ou un gouvernement donné ni pour jeter l’anathème sur eux, mais pour dire ce que la communauté vit. Nous avons apprécié la création d’un ministère qui nous représente, ainsi que la reconduite du ministère de la Cohésion sociale et de la Réconciliation. Nous avons des échos des communautés selon lesquels, il y a des gens qui arrivent, aujourd’hui, à repartir chez eux et revenir malgré le fait que la sécurité ne soit pas totalement de retour.
Quand nous parlons aujourd’hui de la conduite de la Transition, comme de celle de tout gouvernement, nous parlons de ceux qui nous gouvernent et nous avons bien raison. Il faut que ceux qui nous gouvernent aient assez d’humilité pour accepter la critique, car elle est guidée par l’intérêt de faire aller mieux demain. Je ressens, comme beaucoup actuellement, la cherté de la vie. Est-elle due à la Transition ou la conjoncture internationale ? On ne doit pas juste se contenter de dire que les prix ont augmenté au niveau international.
C’est de leur responsabilité de prendre des mesures pour que la population puisse faire face à ces augmentations. Sinon, tôt au tard, cela va nous éclater en pleine figure. Chez nous, l’insécurité subsiste toujours, quoiqu’il y ait des zones où les gens peuvent aller et revenir. Dire que ça va c’est trop dire, mais on aimerait que ça puisse aller mieux. C’est très africain qu’un gouvernant se croit toujours supérieur aux autres. Il faut que les gens reviennent un peu sur terre. La force, la fortune, le pouvoir, la beauté, l’intelligence sont des choses que le bon Dieu prête à l’humain.
Si l’on en fait un mauvais usage, il les retire. Il faut donc toujours avoir l’humilité de ne pas se considérer au-dessus des autres, parce qu’on a une fonction au niveau de l’Etat. Du reste, l’Etat c’est tout le monde et quand on arrive à un certain niveau de responsabilité, on représente les autres, mais on n’est pas au-dessus d’eux. La plus grande piste pour nous sortir de cette situation est de nous attaquer aux causes, en même temps qu’aux conséquences.
Nous devons trouver les raisons qui ont conduit les gens à prendre les armes contre leur pays. Est-ce le manque d’infrastructures sanitaires, d’écoles, de considération des gens des foyers coraniques… Si on règle ne serait-ce que 1/3 des problèmes, ce sera une bonne avancée pour que certains reviennent. Le retour de ces personnes amènera d’autres à voir que c’est possible. On n’a pas besoin d’identifier les gens, eux-mêmes jetteront leurs armes pour rentrer. Le meilleur dialogue c’est de créer des emplois, de bonnes occupations pour ces personnes qui sont parties. Je suis sûr qu’on ne va pas demander deux fois à quelqu’un qui a de quoi s’occuper dignement de sa famille de revenir.
Ce n’est pas juste de voir seulement ceux qui sont partis. Et la population qui est là et subit tous les jours ? Sinon, il y en a qui diront qu’il y a plus intérêt à faire de mauvaises choses. Quoique nos religions disent qu’il faut bien accueillir le fils prodige, il faut aussi penser à ceux qui sont restés. Je me souviens il y a quelques années, mon défunt père, alors Emir, était allé voir l’ex- ministre de l’Administration territoriale, Jérôme Bougma, pour lui faire part de ses inquiétudes concernant ce qu’il entend çà et là et la radicalisation de certaines personnes.
Le ministre l’avait rassuré qu’il n’y a pas de problème et que le gouvernement connait tout et que la situation allait être gérée. Voilà où nous en sommes avec ces assurances. Nous souhaitons que l’autorité prenne en compte les alertes que nous faisons. Nous avons 60 % de notre territoire occupé par ces individus . Pour moi, recouvrer la totalité du territoire burkinabè et réunir les conditions d’un retour définitif et en toute sécurité des personnes déplacées internes doivent être de la responsabilité des dirigeants actuels . Pour cela, on doit mettre en place les conditions de sécurité physique et de sécurité alimentaire pour leur retour, parce que ce sont des gens qui n’ont pas cultivé depuis 3 ans.
De plus, la plupart ont perdu leur bétail, donc les moyens de subsistance manquent. Il faut régler les dysfonctionnements de notre système politique, sinon les mêmes causes risquent de produire les mêmes effets. Depuis son indépendance, notre pays a connu seulement dix ans de régime civil. A qui la faute ? Est-ce celle des civils, des militaires ou de la population ? Lorsqu’on est au pouvoir, on l’est pour tous les Burkinabè. On cesse d’être d’une ethnie, d’une région, d’avoir des partisans et des amis pour n’être que le représentant de tous les Burkinabè.