Le président du Faso, Paul Henri Sandaogo, s’est adressé dimanche soir depuis Dori (Sahel) au peuple burkinabè. Un discours qui suscite beaucoup de réactions. Voici celle de Newton Hamed Barry, ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI).
1) Incontestablement, c’est le meilleur discours de Damiba depuis le 24 janvier. Il était mieux articulé. Mais il transparaît, en le lisant, l’état d’esprit de ses rédacteurs tiraillés entre un agacement perceptible devant la modicité du résultat à présenter et la contrainte de se coller à une ligne de communication qui dissout la culpabilité individuelle, celle de la junte, dans une culpabilité collective: « Chacun a sa part de responsabilité dans ce qui nous arrive.. ». C’est un exercice difficile évidemment qui a empêché la franchise dont veut se prévaloir Damiba d’aller jusqu’au bout de la logique.
Responsabilité collective !
1) Pour faire bonne mesure, il a commencé par l’armée et les VDP. Sentence : « L’armée a failli. Les VDP ont aggravé la situation en soufflant sur les braises communautaires… Ce qui a rompu les équilibres fragiles sur lesquels nos devanciers avaient construit notre pays » (..) rendant difficile la victoire sur le terrorisme dans l’immédiat et en l’état. C’est pas faux et c’est inédit. C’est la première fois depuis le début de la crise qu’un responsable politique de ce niveau ose un tel diagnostic.
2) Par contre, la responsabilité du peuple telle que présentée est plutôt douteuse. C’est très méchant de dire que les Burkinabè ont troqué la « résilience » pour « l’assistanat ». La vérité est plutôt que de la résilience, faute d’une offre de solution de sortie de crise, des différents régimes y compris le MPSR, les Burkinabè se sont « résignés ». On ne peut donc dire avec toute la lucidité que les Burkinabè sont passés de « victimes à complices ». Mieux, les populations locales se sont investies pour trouver des solutions quand l’administration et les militaires les ont abandonnées. On l’a vu à Thiou et à Djibo à travers des initiatives de dialogue avec les groupes terroristes. Il faut croire d’ailleurs que ce sont ces initiatives locales qui ont inspiré les Comités de Dialogue du MPSR. Cet aspect du discours a été franchement mal inspiré.
Quelquefois aussi, il y a eu l’impression que les rédacteurs ont voulu régler des comptes. Le passage sur « la justice » ressemble à une réplique au CSM dans la dernière affaire du retour raté de Blaise Compaoré.
3) Quid du bilan !
Il était forcément malaisé. Mais l’angle des rédacteurs du discours l’ont davantage compliqué. Il a fallu construire sur une stratégie qui n’a pas fini de se mettre en place et donner les grandes lignes de la stratégie. Mais en épiloguant sur les premiers résultats, Damiba prend le risque de se faire démentir dans les jours à venir. Si les premiers effets de la stratégie mise en place ont contraint les terroristes à changer la leur, cela peut signifier deux choses :
Primo, dans le meilleur des cas, le gouvernement a prévu cette évolution et s’y est préparé pour répondre. Donc il n’a pas été surpris. C’est un effet prévu et qui sera conséquemment traité. Ce sera tant mieux.
Secundo, cette évolution a surpris le gouvernement et c’est grave. Car cela veut dire que les terroristes savent s’adapter et font preuve de vélocité extraordinaire. Le gouvernement va être alors confronté très bientôt à un dilemme : continuer avec une stratégie dont les conséquences sont plus désastreuses que les solutions qu’elle apporte. On a l’impression quand on regarde Solenzo, Kouka, Gourcy, Endemtenga… que pour l’instant la détresse des populations n’est pas freinée par la nouvelle stratégie. Il y a eu le cas de Seguenega où l’armée s’est portée au secours des populations. Mais c’est un cas isolé. Le constat est que les réponses de la nouvelle stratégie n’ont pas atteint un seuil déterminant pour inverser le cours de la guerre.
C’est pourquoi, le discours ne devrait pas s’achever sur une fermeture et une invite à des rendez-vous de redevabilité. Car la stratégie en déploiement mérite sans doute d’être améliorée. La mobilisation que le président demande mérite d’être mieux articulée plutôt que de rester dans l’exhortation ou la culpabilisation collective.
Enfin, il est heureux que Damiba n'ait pas cédé à la tentation de comptabiliser à son actif le mouvement de retour des populations dans certaines communes. Tout le monde sait que ces retours ne sont pas consécutifs à un résultat militaire qui a permis de reprendre les communes. Ces retours se sont faits à l’initiative des terroristes qui ont dicté les conditions. Ce qui n’est pas franchement glorieux pour l’Etat. Les populations sont retournées à Thiou, mais l’Etat n’y est pas.
Au total, c’est de la responsabilité de Damiba qu’il s’agit et c'est ce qui est en jeu. Ses conseillers n’assumeront rien avec lui, car il sera difficile à l’heure du bilan de faire le procès de l’ensemble du peuple pour complicité d’inaction.
Par contre, le procès de Damiba va s’imposer et il sera fait. C’est lui qui a pris la responsabilité de changer les choses. C’est à lui de trouver les flexibilités qui lui permettent d’embarquer le maximum de Burkinabè. Car il faut convenir avec Laurent Bigot, diplomate français, que « Plus de la même chose produira plus du même résultat"