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Art et Culture

Tissage dans le village de Soulgo : une histoire scellée avec un fil

Publié le vendredi 26 aout 2022  |  Sidwaya
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A Soulgo, village situé à 5km à l’Est de Ziniaré, chef-lieu de la province de l’Oubritenga, le métier à tisser allie savoir-faire et mythe. La renommée de cette pratique remonte selon des chercheurs au roi Oubri (1495 – 1517), petit-fils maternel des Yônyoosé de Guiloungou. Un pan de l’histoire du royaume moaga que nous vous ferons découvrir.

Soulgo est un village important dans le royaume moaga. Il signifie instrument à tisser. A l’intronisation d’un nouveau Môogo naaba, ce sont des tisserands de ce village qui l’habillent. Les habits confectionnés par le village de Soulgo confèrent au nouvel élu, sa légitimité. Ce rituel remonte au roi Oubri fondateur d’oubritenga. En effet, il était une fois, les habitants de Soulgo, tous des tisserands, étaient surpris de voir le prince Oubri vêtu d’une culotte, d’un boubou et d’un bonnet en peau de mouton.

Pour eux, un chef doit porter des vêtements plus imposants et surtout pas en peaux d’animaux. C’est ainsi qu’ils se mirent au travail et reproduisent pour Oubri, les vêtements en coton et dont il se revêtit avant de continuer sur Guiloungou un autre village non loin de Soulgo. « Depuis lors, à l’intronisation d’un nouveau Môogo Naaba, ce sont les tisserands de Soulgo qui tissent les vêtements à l’image de ceux qu’ils ont confectionnés pour Oubri.

A la mort du Môogo Naaba, il est d’abord habillé de ces vêtements avant d’être enveloppé dans une peau de bœuf pour l’enterrement », a en croire l’anthropologue, Maître de recherche, Dr Jocelyne Vokouma. Ce vendredi 20 mai 2022, il est 10h00 dans ce sanctuaire de la cotonnade. Un calme de ’’cimetière’’ y règne. Toutefois, quelques femmes s’activent à préparer leur métier à tisser (instrument de tissage plus ou moins perfectionné).

Comme le tambour qui fit revenir les habitants au village au passage de Oubri, le vrombissement du moteur de notre véhicule fut perçu comme une alerte aux plus âgés de cette localité qui attendaient visiblement notre venue. Très rapidement, un noyau constitué d’une douzaine de personnes âgées se forme comme cela se fait, jadis, au tour d’un grand feu, lors de la transmission du savoir aux plus jeunes.

Assis à même le sol, dans ses vieux habits rouges, sa houe et sa pipe pres de lui, l’octogénaire Setta Nana, le plus ancien du groupe, se remémore l’histoire de son village comme elle lui a été transmise par ses aînés. Sa voix, visiblement enrouillée par le poids de l’âge ne lui permet pas de se faire entendre. Comme de coutume, il autorise son jeune frère, Pierre Nana à prendre la parole.

« De ce qui nous a été transmis par nos prédécesseurs, nos aïeuls sont venus en ces lieux à l’aide d’une toile comme celle de l’araignée. Ainsi, pour imiter l’invertébré, ils ont commencé à rassembler leur métier à tisser. Mais pour trouver le procédé, cela n’a pas été chose aisée», se souvient-il. A travers son expression, on peut facilement déduire que l’origine du village et le métier de tisserand demeurent un mystère.

Or, pour de nombreux chercheurs tels que Lilliane Diallo, Marcel Poussi, Etienne Nugue, Pierre Ilboudo, Jocelyne Vokouma… et même des cinéastes comme Idrissa Ouédraogo, André Hilou qui ont travaillé sur le tissage, l’histoire du royaume moaga et bien d’autres us et coutumes en pays moaga, les versions sont divergentes. Mais tous s’accordent à dire que la révélation de ce métier et la place qu’il occupe de nos jours, dans les rituels de la chefferie de Ouagadougou, sont liées à Oubri.

Le prince pacificateur
Selon Mme Vokouma, les Yonyoosé de Guiloungou (groupe ethnique vivant dans la région du Plateau central), éprouvé par les exactions perpétrées par de Nïnsi, (autre groupe ethnique), furent appel à leur neveu, Oubri, dont la mère n’est autre que Pugtoenga (femme barbue en langue mooré), une native de Guiloungou, pour pacifier la région.

Mais il convient de signaler que les Nïnsi ne sont d’autres que Sombkeita (les Yerbanga) et Sombméta (les Tapsoba) et les guerriers Tansoaba, les arrières grands-parents de l’actuel Dim Tansoaba et de Gounghin naaba sanem, qui ont conquis en premier, Ouagadougou autrefois appelé Tensoben-tinga, puis Wogré-tinga et enfin Ouagadougou. La suite de cette rencontre qui va marquer l’histoire, c’est Frédéric Yerbanga, potier-céramiste et apparemment descendant de Sombkeita qui nous fait l’économie.

Pour lui, les habitants de Soulgo, tout comme les autres populations de la région, sont informés de l’arrivée de Oubri à Guiloungou pour sauver les Yônyôose du joug nînga débute-t-il. Il était alors convenu que toutes les populations se trouvant le long de son parcours, lui réserve un accueil chaleureux selon M. Yerbanga.


Malheureusement dit-il, les tisserands de Soulgo ont eu une autre compréhension de la situation. Pour eux, se remémore-t-il, Oubri est un méchant chef qui ne laisse rien sur son passage. Ainsi dès l’approche de son cortège de leur village, presque tous les habitants ont fui se cacher dans une brousse aux environs du village.

La sage décision de Oubri
Il ressort dans sa narration, que seul un vieillard demanda à rester afin de rapporter aux autres ce que Oubri et ses compagnons feront dans le village. Pour cela, il demanda à être porté dans un arbre. Et c’est justement sous cet arbre que Oubri et les guerriers de Zoungrana (père de Oubri) qui l’accompagnaient choisissent de se reposer. « Ils y restèrent pendant un long moment », martèle-t-il.

Fatigué, poursuit M. Yerbanga, le vieillard tente de mieux se positionner. Oubri et ses compagnons s’aperçoivent que quelqu’un se trouve percher au-dessus d’eux. A ces dires, Oubri fit descendre ce dernier, mais les guerriers lui demandent son exécution immédiate. Mais celui qui allait devenir le premier Môogho naaba de Ouagadougou refusa et chercha plutôt à savoir où se trouvaient les autres habitants du village.

C’est là, à l’aide d’un tambour, il donna un signal qui rassembla tous les habitants de Soulgo, selon M. Yerbanga. Le rapporteur relate qu’à leur arrivée, le vieillard expliqua tout ce qui s’est passé et surtout comment il est resté en vie grâce à Oubri. Et c’est en reconnaissance de ce geste, avoue-t-il, que les habitants de Soulgo décidèrent de lui confectionner des vêtements en coton “plus jolis” sinon plus imposants.

Une version corroborée par les sages du village qui ajoutent qu’à l’époque, une journée a suffi à ces ’’araignées’’ pour confectionner les nouveaux vêtements de Oubri. « Tout le village se mit aussitôt au travail. Les femmes égrainent et filent le coton, tandis que les hommes préparent la chaîne et la trame et tissent les bandes d’étoffes.

En un temps record, ils ont cousu des vêtements à l’image de ceux en peau qu’il portait. Surpris par la rapidité avec laquelle s’est déroulé le travail, Oubri dit ceci “ ad bâanba sid ya Sulsè’ c’est à dire ’’ceux-ci sont vraiment des tisserands” », se souvient-il de ce qui leur a été expliqué. Dès cet instant, le métier est devenu l’identité du village et un lien très fort est scellé entre les tisserands de Soulgo et le prince Oubri.

Un travail dans le secret absolu
Selon Samuel Nana, un de nos interlocuteurs, ce lien d’amitié a conféré à leur village le droit d’être dans les secrets des dieux dans le royaume. « Chez les moosé, le décès d’un chef n’est rendu public qu’après la désignation de son successeur. Ainsi, jusqu’à l’annonce officielle, seuls quelques privilégiés sont informés de cette disparition dont notre communauté chargée de confectionner les vêtements du prince», confie Samuel Nana.

A l’écouter, ce travail se fait dans le secret absolu et loin des regards indiscrets jusqu’à l’acheminement de ladite tenue au palais royal à Ouagadougou. « Durant les travaux, l’accès au village est strictement interdit à toute personne, car si jamais quelqu’un s’empare de ce vêtement, il devient automatiquement le nouveau roi », explique-t-il.

Mais au-delà de ce devoir que confère au prince élu sa légitimité de chef, celui-ci en retour, leur doit une reconnaissance pour leur fidélité. A entendre Samuel Nana, lorsqu’un Soulga (habitant de Soulgo) se retrouve face à face avec sa majesté, celui-ci doit en principe lui gratifier de cadeaux et même d’une femme s’il le faut.



Outre son caractère rituel, ce métier de tissage dans le village de Soulgo est d’une particularité selon Dr Jocelyne Vokouma. « Lorsque vous voyez ces vêtements, ils sont tous blancs, car rien n’est laissé au hasard dans la confection. Le coton devant servir à sa fabrication est soigneusement sélectionné. Les fils de chaîne et de trame sont bien calibrés et jusqu’au produit final, l’ensemble se fait à la main», éclaire Mme Vokouma.

« Le village de Soulgo, sur plusieurs, plans participe au développement de la commune de Ziniaré », affirme le secrétaire général de la mairie, Bertrand Sawadogo. Selon lui, la relation culturelle entre Soulgo et Ouagadougou est connue au-delà des frontières. « Par ce biais, il y a des visiteurs qui viennent d’Europe, des Etats-Unis et bien d’autres continents pour voir comment cet art est pratiqué, mais aussi, le musée de la cotonnade en ce lieu», précise M. Sawadogo.

Ainsi, tout comme le parc animalier, le site de granite de Laongo et bien d’autres sites de la région, Soulgo permet d’améliorer la visibilité de la région et est d’une valeur inestimable, confirme le secrétaire général. « Le village participe au développement économique de la commune et à résorber le chômage parce que les femmes sont formées et équipées pour mener l’activité, parallèlement au rôle premier du village.

Et on peut dire que c’est rentable pour elles, car c’est dans ça que beaucoup arrivent à assurer l’éducation de leurs enfants et aider leur famille », avoue-t-il. Un pan à préserver à tout prix Bien que cette pratique soit d’une importance capitale dans la vie politique, sociale, économique et culturelle, elle reste non classée parmi les patrimoines culturels du pays. Aujourd’hui, sa conservation est devenue un défi pour les détenteurs de ce savoir-faire.

Suivant le Baloum naaba, administrateur de cette partie du pays selon le découpage du royaume mossi, cette pratique qui est très rare (elle dépend de la longévité du règne du Môogho naaba) laisse un temps aux anciens du village pour préparer la relève. Mais, « De nos, jours, il n’y a que quelques vieux qui tentent de perpétuer cette tradition. Nos enfants ne s’y intéressent plus», déplore Samuel Nana. Il soutient tout de même que des séances de tissage sont pratiquées de temps à autre afin de donner le b.a.-ba du métier aux tout-petits qui sont encore au village.

Egalement, « le défunt chef du village organisait chaque année, sa fête coutumière (Nabasga), une cérémonie au cours de laquelle, tout le monde est tenu de participer aux différents rituels afin d’être imprégné de ce qui est fait», appuie-t-il. De son côté, Maurice Désiré Ouédraogo, expert en textile et représentant-pays de l’Afrique authentique rassure que ce pan de l’histoire ne sera pas dans les oubliettes.

Pour permettre au village de garder l’authenticité de son art, il dresse un musée de la cotonnade sur place. Raphaël Bonkoungou, directeur de cette galerie, précise que l’objectif premier de ce temple de la cotonnade est de préserver ce savoir-faire ancestral et dans un second temps, de montrer aux yeux du monde, que l’Afrique en général et au Burkina Faso en particulier, le tissage traditionnel existe et se pratique toujours.

« Nous avons négligé nos savoir-faire ancestraux, mais de nos jours, c’est ce qui est prisé dans les autres contrées d’où la nécessité pour nous de trouver les moyens pour les valoriser », lance l’expert. Venue d’Italie dans le cadre de la dernière édition de Expo-Yeelba, Marzia Pinzuti, membre de l’Association Yeelba, pense que cet art mérite d’être partagé. « J’étais déjà curieuse quand M. Désiré Ouédraogo est venu à Ouaga en 2000 lors de la conférence et a expliqué le projet qu’il a mis en place.

J’avais vraiment envie de venir sur place pour voir ce qui se passe et je pense que dès notre retour, je vais faire connaitre cette réalité en Italie, car un peu partout dans le monde nous sommes à la recherche de nos origines, nos racines et nos traditions », avait rassuré Mme Pinzuti.
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