Ouvert en octobre 2021, le procès de l’assassinat de Thomas Sankara et ses douze compagnons d’infortune, a livré son verdict le 6 avril 2022. L’ex-président Blaise Compaoré et son tristement célèbre ange gardien Hyacinthe Kafando, aujourd’hui tous deux en exil et jugés par contumace, ont été condamnés à la prison à vie. Le Général Gilbert Diendéré qui est déjà sous le coup d’une lourde condamnation dans le procès du putsch manqué de 2015 en attendant l’examen de son appel interjeté dans cette première procédure judiciaire, a écopé, dans l’affaire Sankara, de la même peine de prison à perpète que ses deux coaccusés ci-dessus cités. Quant aux onze autres mis en cause, ils ont connu des fortunes diverses allant des peines d’emprisonnement ferme pour certains à l’acquittement pour d’autres, en passant par des condamnations avec sursis pour une autre catégorie de prévenus. Un verdict diversement apprécié par les Burkinabè, mais qui est globalement un soulagement pour les familles des victimes.
L’Etat lui-même n’est pas loin de s’estimer victime
Pour autant, la parenthèse de ce procès à rebondissements qui aura tenu en haleine le peuple burkinabè voire au-delà, pendant six mois, n’est pas prête de se fermer de si tôt. Car, si au pénal, les accusés ont été fixés sur leur sort, il reste, au civil, la question des réparations pour les victimes ou leurs ayants droit. Rendez-vous a été donné par le tribunal, le 25 avril 2022, pour les plaidoiries sur les réclamations civiles. Sur la question, les Burkinabè sont curieux de savoir qui va casquer. La question a d’autant plus d’importance que dans l’entendement populaire et en pareilles circonstances, c’est un rôle qui devrait tout de go être tenu par l’Etat. L’avantage étant la solvabilité supposée ou réelle de l’Etat ; toute chose qui faciliterait le dédommagement des victimes ou de leurs ayants droit. Sauf que dans le cas d’espèce, l’Etat lui-même n’est pas loin de s’estimer victime puisque tout au long du procès, il a régulièrement été question « d’attentat à la sûreté de l’Etat », en raison de la mort violente du chef de l’Etat, Thomas Sankara. Toujours est-il que de ce qu’il ressort, la plupart des accusés souhaiteraient voir l’Etat endosser cette responsabilité pour, entre autres raisons, avoir été l’employeur de la plupart des mis en cause dans le coup. Une position que ne partage pas l’Agent judiciaire de l’Etat (AJE) qui a même mis en avant, la solvabilité de certains prévenus. Que sortira-t-il alors de l’audience du 25 avril 2022 ? L’Etat burkinabè acceptera-t-il d’endosser la responsabilité des dédommagements ? Les réparations seront-elles mises au compte des condamnés, individuellement ou solidairement ? On attend de voir. Mais d’ores et déjà, une condamnation solidaire des accusés paraît le scénario le plus compliqué pour les parents des victimes. Les accusés n’étant pas tous logés à la même enseigne.
Il est impératif que la question des indemnisations ne se termine pas par une désillusion totale pour les parents des victimes
En tout état de cause, au-delà de l’émotion créée par la mort brutale de l’icône de la Révolution du 4 août 83 et de ses compagnons d’infortune, ces événements tragiques ont scellé le sort de bien des familles qui se sont vues, du jour au lendemain, privées du principal si ce n’est le seul soutien de la famille. Des destins d’enfants ont été brisés quand certains n’ont pas connu la déscolarisation ou pire, la déchéance pour n’avoir jamais pu se remettre d’une situation qui leur est tombée comme le ciel sur la tête. C’est pourquoi, pour l’histoire, pour la mémoire des disparus, pour la justice des hommes, pour l’apaisement des cœurs dans la perspective du pardon et de la réconciliation nationale, il est important que la question des réparations puisse connaître un traitement conséquent. Certes, cela ne ramènera pas les disparus à la vie. Mais cela pourrait contribuer à reconstruire des vies et, pourquoi pas, à signer un nouveau départ pour certains. Au-delà de sa portée pédagogique, c’est toute la dimension humaine et sociale de ce procès qui est en jeu. Et comme le dit la sagesse africaine, « on n’enterre pas un cadavre en laissant ses pieds dehors ». C’est pourquoi il est impératif que tout soit mis en œuvre pour que, après plus de trois décennies d’attente d’un jugement qui se laissait par moments désirer, la question des indemnisations ne se termine pas par une désillusion totale pour les parents des victimes ou leurs ayants droit. Tout le mal qu’on leur souhaite, c’est de ne pas connaître le même sort que les parents des victimes d’un Hissène Habré qui ont attendu leurs indemnisations comme Godot, jusqu’à la mort de leur bourreau.