Le dimanche 13 mars 2016, la Côte d’Ivoire a subi sa toute première attaque terroriste, à la station balnéaire de Grand-Bassam. Cet attentat revendiqué par Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQIM) a causé la mort d’une vingtaine de personnes. Plus tard, d’autres attaques ont visé le Nord du pays. Mais six ans après, cette date tragique du 13 mars marque toujours l’esprit de quelques rescapés à Grand-Bassam.
Mercredi 23 février 2022, à la plage de la station balnéaire de Grand-Bassam, a une quarantaine de km d’Abidjan, la capitale ivoirienne. Sur cette plage, l’une des plus fréquentées de la Côte d’Ivoire, seul le bruit des vagues se fait entendre. Quelques hommes et femmes ont les pieds dans l’eau. Ce lieu, jadis connu pour l’affluence des Abidjanais et des touristes étrangers qui viennent se détendre et festoyer les week-ends, après une semaine de travail bien chargée pour certains, est de plus en plus vide. Hormis les managers, les maîtres-nageurs et autres marchands ambulants qui se partagent l’espace, les clients, eux, se font rares.
Ils se comptent même au bout des doigts. La raison de ce désintérêt pour cette plage emblématique, l’attaque terroriste du 13 mars 2016, perpétrée par des individus armés. Le bilan humain de ce premier attentat en terre ivoirienne est lourd : une vingtaine de morts sur le sable de Grand-Bassam dont 12 Ivoiriens, majoritairement des jeunes: Salimata Traoré, 23 ans, Carole Kouma Abenan, 24 ans, Emile Djo Bi Djo, 26 ans, Sidney Ehui, 33 ans, Souleymane Bakayoko, 22 ans, Ousmane Sangaré, 16 ans, Oumar Diarrassouba, 23 ans. Trois membres des forces spéciales de la Côte d’Ivoire, quatre Français, une Macédonienne, une Allemande et un Libanais et un Nigérian y laisseront également leur vie. Ce jour-là, peu avant l’attaque, la promotrice de l’espace culturel, Jah Live, Rose Ebirim, prenait un verre sur son site avec son fils, son neveu et les enfants de son voisin. Elle qui a vu les deux premières victimes tombées sous les balles assassines, s’en souvient encore douloureusement. « Le 13 mars 2016 est un jour malheureux pour Grand-Bassam. Je suis obligée de fermer les yeux pour parler de cette attaque. Car, je revis encore cela », confie-t-elle. L’émotion est vive sur son visage. Elle tente de retenir ses larmes, sans succès. Puis silence radio, un silence assez expressif de la peine et la douleur qu’elle a ressenties le jour du drame. Après deux bouffées d’oxygène, Rose Ebirim se ressaisit.
« Chaque 13 mars, je me cache… »
« Excusez- moi. Ce n’est pas facile pour moi », se justifie-t-elle, avant de poursuivre : « Aux environs de 12 heures, j’ai aperçu un homme, d’un air pressé, portant un gilet pare-balles tout en manipulant son arme, qui se dirigeait vers la plage. Devant lui, un couple se dirigeait dans la même direction. Soudain, on entend paf ! Et le monsieur tombe », explique difficilement notre témoin de l’horreur. Entre deux soupirs elle poursuit : « La dame tente de se sauver ». Malheureusement, elle n’ira pas loin, car, elle recevra très vite, elle aussi, une balle dans le dos. En voyant le bourreau tirer sur l’homme, Rose Ebirim est loin de s’imaginer qu’il s’agissait d’une attaque terroriste. Sur le coup, elle pense tout simplement être le témoin d’une course-poursuite entre les enfants en conflit avec la loi, communément appelés ‘’ les microbes ‘’.
Une scène très récurrente dans les rues de la capitale. Et ce d’autant plus qu’une semaine avant le drame, la sécurité avait tenté d’éloigner ces bandits de Grand-Bassam. C’est plus tard, lorsque l’homme en gilet fera un demi-tour pour tirer une 2e fois sur sa première victime, qu’elle se rendra à l’évidence. « Je ne sais pas si je dois le dire ou pas, mais avant de tirer, il a dit Al Ahou Akbar», fait-elle savoir. Elle n’avait pas tort, car plus tard dans la soirée, l’attaque est revendiquée par Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Dans un communiqué officiel, AQMI dévoile même les identités des assaillants dont, Hamza al-Fulani, Abdar-Rahman al-Fulani et Abu Adam al-Ansari. Même si aujourd’hui, Rose Ebirim tente de surmonter son traumatisme, elle se dit toujours hantée par cette date fatidique du 13 mars. « Excusez- moi. Je revis cela encore. Ce n’est pas facile pour moi. Chaque 13 mars, je me cache sous mon lit », lâche-t-elle, les yeux fermés.
Aucun accompagnement psychologique
Pour elle, les assaillants vont peut-être encore frapper, d’autant plus que les auteurs de l’attaque séjournaient déjà sur les lieux depuis janvier 2016. « Vous voyez la cour qui est juste à côté, ils habitaient tous là-bas. C’était dans des bungalows », témoigne Rose Ebirim. Ces bungalows ont, depuis lors, été rasés par la municipalité. Rose n’est pas la seule rescapée de l’attentat du 13 mars. Jean-Luc Kouassi Kouassi, un jeune vendeur d’objets d’art, a lui aussi échappé à la mort. Il avait rendez-vous avec Toufic Hayek, un Libanais de 54 ans, né en Côte d’Ivoire. Ce dernier figure d’ailleurs sur la liste des personnes décédées. « Le Libanais devait acheter des articles avec moi. Je suis venu l’attendre devant l’Etoile du Sud. Mais il était sorti pour marcher sur la plage », relate le jeune Kouassi, le regard perdu. Depuis lors, les images des corps qui gisaient tout au long de la plage le hantent toujours. D’un air apeuré, le survivant confesse : « cela m’a beaucoup perturbé ». Il se bat seul pour surmonter le stress post-traumatique de ce drame. « Je n’ai bénéficié d’aucun accompagnement psychologique. Je trouve des ressources en moi pour surmonter ce mauvais souvenir », affirme-t-il. Assinie Luc-Antoine Tandé, lui également, vit encore sous le choc de cette journée dramatique. « Je revois encore tous ces corps devant moi et surtout celui de mon ami Eric. Cela me donne toujours des frissons, j’ai du mal même à en parler », raconte le rescapé qui cherche vainement les mots, les yeux embués de larmes.
Luc Antoine Tandé, qui a vu son ami d’enfance tombé devant lui, a pu vaincre sa peur et secourir les blessés.
Lui qui se dit « craintif» de nature, ce jour-là, au lieu de prendre ses jambes à son cou, aura cependant le courage de rester sur les lieux pour secourir les blessés avec d’autres survivants. Comme Rose Ebirim, Jean-Luc Kouassi Kouassi et Luc-Antoine Tandé, ils sont nombreux, ces rescapés de l’attentat de Grand-Bassam, qui sont toujours traumatisés. Malgré cette crainte permanente d’être attaqués à tout moment, les Bassamois tentent de ressusciter la station balnéaire. Les managers et opérateurs économiques des lieux jouent leur partition. C’est le cas de l’espace culturel Jah Live avec son projet « Ne pollue pas ma plage », né au lendemain de l’attentat. Cette initiative locale dirigée par Rose Ebirim, la promotrice de l’espace, tente de redonner une image radieuse à la plage à travers la sensibilisation. La municipalité, elle, a amélioré le dispositif sécuritaire des lieux. Une stèle a aussi été érigée à la mémoire des victimes. Chaque 13 mars, un hommage leur est rendu devant l’hôtel Etoile du Sud où a eu lieu le drame.